Pourquoi la voiture électrique ne résoudra pas notre mobilité …mais jouera un rôle déterminant

La mobilité de demain ? Moins de kilomètres, moins de voitures et (beaucoup) plus de vélos et de transports collectifs et partagés. Mais ce qui circulera sera électrique et 100% renouvelables.

Contrairement aux croyances et discours souvent entendus, il ne suffira pas d’électrifier tout le parc automobile actuel pour accéder à une mobilité réellement durable et bénéfique à l’ensemble de la société.

La voiture électrique n’est pas une solution technologique « miracle » en soi ni une fausse solution à rejeter.

Elle trouvera simplement sa place au sein d’un ensemble de principes qui permettront à chacun de se déplacer dans un espace public aéré où il fait bon vivre et respirer.

Sans fascination technologique ni polémiques inutiles, nous souhaitons rappeler ici les balises, réflexions et perspectives dans lesquelles l’APERe – qui édite la revue Renouvelle.be – inscrit sa vision d’une société 100% renouvelables, durable et solidaire.

 

Sobriété, efficience et renouvelables

 

En raison du défi climatique notamment, la Belgique et l’Europe souhaitent se libérer des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) et visent un système énergétique zéro carbone d’ici 2050. Dans une perspective durable, cette transition doit aussi prévoir une sortie du nucléaire (l’extraction de l’uranium, le risque d’accident nucléaire et la gestion des déchets contaminés posant d’importantes questions pour l’environnement et la santé).

Bref, l’énergie que nous utiliserons demain – y compris pour nous déplacer – sera produite à 100% par des sources d’énergies renouvelables et décentralisées (éolien, photovoltaïque, …), avec la nécessité de stocker cette électricité verte – comme nous le verrons plus loin.

Or cette perspective 100% renouvelables n’est plausible que si, en parallèle, nous réduisons nos consommations inutiles d’énergie. C’est la démarche NégaWatt : grâce à une plus grande sobriété et efficacité énergétique, nous pourrons couvrir l’ensemble de nos consommations par des sources renouvelables.

En matière de mobilité, le principe de sobriété nous interroge par exemple sur la pertinence de certains déplacements. En Belgique, 35% des déplacements sont inférieurs ou égaux à 5 km. Sur une telle distance, a-t-on besoin d’un véhicule de 1.200 kg (très énergivore) pour transporter une seule personne de 80 kg, alors que d’autres solutions existent, collectives ou individuelles (bus ou vélo à assistance électrique par exemples) ?

C’est pourquoi les autorités publiques travaillent sur 3 axes reconnus pour atteindre une mobilité réellement durable : « Avoid » – « Shift » – « Improve ».

 

Agir sur 3 axes

 

 

Les 2 premiers axes permettent d’éviter et de diminuer le nombre de trajets routiers :

  • « Avoid » : Il s’agit de développer le travail à domicile (ou dans des bureaux partagés proches des transports en commun) et de densifier l’habitat et l’activité économique proches des transports en commun (a contrario, la construction d’un habitat dispersé dans la campagne et qui nécessite l’usage d’une ou plusieurs voitures par ménage sera proscrit).
     
  • « Shift » : Délaisser la voiture au profit des « modes actifs » (marche, vélo) et des transports en commun (ainsi que des réseaux ferroviaires et fluviaux pour les marchandises), avec une intermodalité efficace (bonnes correspondances entre les différents moyens de transport : train, tram, bus, …).
     
  •  « Improve » : Le 3ème axe vise à massifier le transport (augmenter le nombre de passagers par voiture ou de marchandises par camions et bateaux) et à réduire l’impact environnemental (bande prioritaire pour le covoiturage, interdiction progressive du diesel, mise en place de Zones à basses émissions, réduction de la vitesse à 90 Km/h sur autoroute, généralisation d’aspirateurs à poussières fines, fiscalité verte et électrification du parc automobile).

Comme nous le voyons, la voiture électrique n’arrive qu’en 3ème priorité (parmi d’autres mesures non technologiques) et ne s’avère pertinente que si, préalablement, nous réduisons nos besoins de déplacements (moins de kilomètres) et notre recours à la mobilité individuelle (moins de voitures).

Autrement dit, le développement massif de la mobilité douce (marche, trottinette, vélo) et partagée (transports en commun, covoiturage) s’avère aussi essentiel que l’électrification des véhicules.

Ce dispositif durable se trouve au coeur du Plan wallon Air-Climat-Energie 2030 et de la Stratégie régionale de Mobilité (lire notre article Une mobilité wallonne plus durable d’ici 2030).

D’ici 2030, les Wallons utiliseront moins la voiture et plus souvent les modes doux et collectifs. Source : Stratégie régionale de Mobilité.

 

Trop de voitures

 

De manière générale, trop de voitures circulent aujourd’hui en Belgique (près de 6 millions, dont 550.000 à 670.000 voitures-salaires), ce qui, outre la pollution atmosphérique, occasionne de nombreux autres impacts négatifs : embouteillages, pertes économiques, accidents de la route, espaces publics empiété par des aménagements « tout-voitures » (voiries, parkings, …) au détriment des piétons, des cyclistes et des transports en commun.

Et 6 millions de voitures, même électriques, cela reste trop.

L’enjeu d’une mobilité durable ne consiste donc pas à simplement remplacer le parc automobile actuel par des véhicules zéro carbone mais bien à réduire préalablement l’usage de la voiture (pour atteindre par exemple un parc de 4 millions de véhicules) et développer les autres moyens de transport.

A Bruxelles, le Plan régional Good Move montre bien qu’une mobilité durable joue non seulement sur des objectifs environnementaux (moins d’émissions de CO2) mais aussi de sécurité routière, de qualité de vie, de santé, de développement économique, d’inclusion sociale, …

Bref, vive la marche, le vélo, le bus, le train et les voitures partagées !

 

Des carburants alternatifs

 

Passons à présent aux carburants propres qui devront remplacer l’essence et le diesel. Ces carburants alternatifs sont en réalité nombreux et posent chacun des avantages et inconvénients.

La filière des agrocarburants, pionnière en ce domaine, montre aujourd’hui toutes ses limites. La 1ère génération fut vivement contestée en raison d’un conflit d’usage avec les terres vivrières (carburant ou nourriture ?), tandis que les 2ème et 3ème générations (résidus forestier et algues) évitent cette compétition mais peinent à développer une production industrielle à grande échelle (lire par exemple cette ressource pédagogique).

La filière du biogaz ne pourra pas non plus se généraliser, en raison des surfaces agricoles nécessaires.

Ces différents carburants verts co-existeront encore quelques temps mais, à court, moyen et long termes, seuls deux vecteurs sont crédibles et complémentaires pour atteindre une mobilité 100% renouvelables : l’électricité et l’hydrogène, produits à partir du photovoltaïque et de l’éolien. Voici pourquoi.

 

Deux scénarios crédibles : l’électrique et l’hydrogène

 

Pour atteindre une Europe 100% renouvelables d’ici 2050, il est nécessaire d’intégrer massivement les productions éoliennes et photovoltaïques, notamment. Or ces productions sont variables selon la météo. Il faut donc les stocker quand elles sont abondantes (beaucoup de soleil en été et de vent en hiver) pour les restituer au réseau électrique quand il y a moins de soleil ou de vent.

Ce stockage de l’électricité verte se développe aujourd’hui via des batteries électriques ou sous forme d’hydrogène vert (lire notre article Premier projet industriel en Belgique pour convertir l’électricité verte en hydrogène) et ces deux modes de stockages pourraient se généraliser très rapidement, grâce notamment à …la mobilité.

En effet, les mobilités électrique et hydrogène peuvent servir de stockage et de soutien au développement d’un réseau électrique totalement décarboné.

Dans le scénario électrique, les millions de véhicules équipés de batteries pourront se connecter au réseau électrique (on parle de « vehicle-to-grid »), stocker la production photovoltaïque quand elle est abondante – vers midi au moment du pic de production solaire – et la restituer le soir quand la demande d’électricité est plus importante sur le réseau et la production plus faible.

Les voitures électriques joueront donc ici un rôle de stockage mobile, couplé au développement du photovoltaïque (voir plus bas).

Pour les véhicules lourds tels que les camions de marchandises, l’électrification s’avère par contre non pertinente, dans l’état actuel de la technologie, car ils auraient besoin de batteries disproportionnées. Dans de tels cas, le vecteur hydrogène se révèle beaucoup plus approprié car une petite pile à combustible suffit pour activer la mobilité. Ce carburant s’avère également pertinent pour les trains qui circulent sur des lignes non électrifiées (lire notre article Les premiers trains à hydrogène sont sur les rails, pour une mobilité plus propre).

Dans le cas des bus, l’électrification peut s’avérer pertinente s’ils sont équipés de batteries de taille raisonnable mais régulièrement rechargées aux arrêts (lire notre article Bruxelles développe ses infrastructures pour bus électriques). Ce qui n’empêche pas de voir aussi des bus à hydrogène déjà circuler dans nos villes.

Ces deux carburants complémentaires se développeront en parallèle, au fur et à mesure que les réseaux de distribution ou de recharge s’élargiront sur nos territoires.

La distribution d’hydrogène ressemble très fort à l’approvisionnement actuel : « On fait le plein à la pompe ».

Le scénario électrique, par contre, implique de nombreux points de recharge, à proximité d’un maximum de bâtiments équipés en photovoltaïque.

La voiture électrique jouera un rôle déterminant pour intégrer et stocker massivement les productions photovoltaïques et les restituer sur le réseau électrique.

 

Un stockage mobile de l’électricité solaire

 

Les véhicules électriques connectés au réseau se mettront donc au service de l’équilibrage d’un réseau électrique totalement décarboné.

Cependant, ce développement doit tenir compte des caractéristiques propres à la production photovoltaïque, qui s’avère être la source d’énergie idéale pour soutenir cette mobilité électrique.

La course actuelle aux bornes de recharge rapide, par exemple, laisse croire que l’on peut simplement transposer le modèle actuel – faire le plein à la station essence – vers le modèle électrique. C’est oublier un peu vite que cette recharge doit avoir lieu au moment de la production d’électricité solaire.

Un modèle plus pertinent s’ouvre ici, du moins dans une première étape de la transition : étant donné qu’une voiture passe en moyenne 22h par jour à proximité d’un bâtiment (maison, bureau, magasin, parking public, …) et donc d’une toiture, il s’agit d’équiper massivement ces bâtiments en photovoltaïque, couplés à un réseau de recharge …lente, avec de simples prises domestiques et communicantes, afin de stocker un maximum d’électricité solaire – ce qui serait impossible avec des bornes rapides (lire notre article Voitures électriques : pour un réseau de recharge … lente! ).

Dans la même logique, la course actuelle aux batteries toujours plus grandes – motivée par l’illusion d’un besoin très élevé d’autonomie – s’avère souvent inutile : en Belgique, une voiture parcourt en moyenne 50 km et peut donc se satisfaire d’une batterie plus petite, plus légère, moins énergivore et moins coûteuse. Il s’agit donc avant tout d’estimer les besoins réels d’autonomie et de déplacements (lire notre article Voitures électriques : « J’ai besoin d’une grande autonomie ». Vraiment ?)

 

Voitures solaires et autonomes

 

Ce modèle de stockage mobile à recharge lente trouve cependant une limite à plus long terme : est-il bien logique de concevoir des voitures qui resteront la plupart du temps stationnées à proximité d’un bâtiment solaire ?

Dans une deuxième étape de la transition, on peut imaginer la généralisation des voitures électriques solaires. Celles-ci, couvertes de panneaux photovoltaïques, se rechargeront elles-mêmes à la lumière du soleil et n’auront plus besoin de stationner près d’une borne de recharge.

Un premier modèle a été dévoilé en 2019 : la Lightyear One (photo ci-dessous).

 

Ce concept s’annonce vertueux car, pour couvrir la consommation électrique du véhicule, on s’appuie sur l’aérodynamisme et la légèreté, à l’inverse de la tendance actuelle de l’industrie automobile (lire nos articles Des voitures toujours plus lourdes et énergivores : à quand une norme européenne ? et Lightyear One : l’efficience énergétique au service de la mobilité électro-solaire).

Une autre perspective pourrait également modifier profondément notre mobilité : les voitures autonomes, sans chauffeur, pilotées grâce à des capteurs et une gestion informatisée.

Ces voitures électriques pourraient circuler en permanence – c’est bien le but d’un véhicule ! – et seraient utilisées comme un taxi partagé, à la demande (lire notre article 2016, année charnière pour le véhicule électrique ).

Il ne serait alors plus nécessaire de posséder une voiture puisqu’il serait possible d’utiliser une voiture autonome uniquement lorsqu’on en a besoin. Un citoyen pourrait par exemple prendre un train ou un bus sur les grands axes puis emprunter une voiture autonome pour un trajet final plus personnalisé.

Ce scénario n’est pas si futuriste que cela, au vu des tests déjà effectués dans différents pays.

La voiture autonome trouve tout son sens dans les régions urbaines, où de nombreux usagers peuvent faire appel à ce service permanent.

Dans les régions rurales et moins peuplées, les habitants pourront plutôt utiliser des voitures électriques partagées.

Pour mieux comprendre ces évolutions possibles ou déjà en cours, nous vous invitons à lire la vision d’AMPERes, Association belge pour une Mobilité Propre Electrique et Responsable.

 

Un bilan environnemental positif

 

Voyons à présent l’impact environnemental d’une électrification des voitures, grâce à cette analyse d’AMPERes :

Alors que d’anciennes études faisaient état de résultats mitigés voire négatifs en ce qui concerne les émissions de CO2 pour l’ensemble du cycle de vie des véhicules électriques, une étude récente de la VUB pour le compte de l’ONG européenne Transport & Environment fait aujourd’hui référence.

Sur base de données actualisées, les chercheurs universitaires ont ainsi établi que sur l’ensemble de leur cycle de vie, et même lorsqu’ils sont alimentés par de l’électricité produite majoritairement par des centrales au charbon très polluantes (comme en Pologne, par exemple), les véhicules électriques émettent significativement moins de CO2 que les véhicules thermiques (-25 %).

Alimentées par le mix de production électrique de la Belgique (pas de centrale au charbon, large part de nucléaire et montée en puissance des renouvelables), les véhicules électriques émettent 65 % de CO2 en moins. Et en Suède, où les énergies renouvelables sont majoritaires, c’est même 85 % en moins. Si l’on tient compte du mix électrique moyen sur l’ensemble de l’Europe, c’est une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre que les véhicules électriques permettraient d’obtenir (voir graphique ci-dessous).

Les scientifiques ont également extrapolé leurs résultats pour prédire les émissions des véhicules électriques en 2030 et 2050 si l’Union européenne atteint les objectifs qu’elle s’est fixés en matière de décarbonation de la production d’électricité (croissance des renouvelables) : en 2030 la réduction des émissions des véhicules électriques en Europe serait de 66 % par rapport aux émissions des diesel et en 2050 de 80 % ! 

Ce bilan CO2 positif est confirmé par une étude du MIT (lire cette analyse) et par la revue spécialisée CarbonBrief.

Et, dans notre perspective d’un mix énergétique 100% renouvelables, la mobilité électrique sera Zéro carbone, y compris pour la fabrication des véhicules.

A contrario, rappelons que le parc automobile actuel, thermique et fossile, est particulièrement nocif pour le climat et la santé. En Europe, les transports actuels représentent un quart des émissions de gaz à effet de serre ; tandis que la pollution cause 400.000 décès prématurés par an.

Enfin, les critiques ou polémiques récurrentes sur certains éléments parfois utilisés dans la fabrication de véhicules électriques doivent être relativisées. Le secteur de l’énergie durable est bien conscient des impacts environnementaux et développe déjà des composants alternatifs sans ou à faible impact environnemental.

En ce qui concerne les terres rares par exemple, ces métaux ne sont plus utilisés (lire notre article L’énergie durable se développera sans « terres rares »).

Quant au lithium ou au cobalt (en quantités limitées sur terre), l’industrie automobile pourra progressivement diminuer leur usage voire s’en passer. L’innovation s’oriente en effet vers les batteries au soufre, au sodium, au zinc ou les piles salines, autant de matériaux abondants et/ou à faible impact environnemental (lire notre article L’Europe développera des batteries plus durables).

Par ailleurs, notons que les batteries en fin de vie trouvent d’ores et déjà une deuxième vie au sein d’un modèle d’économie circulaire (lire notre article Des batteries usagées de véhicules électriques serviront à équilibrer le réseau électrique belge).

Les véhicules à hydrogène, quant à eux, suscitent peu de questions environnementales car les piles à combustibles sont plus légères que des batteries et moins consommatrices de matière.

Au final, les voitures électriques et à hydrogène trouveront ainsi leur juste place dans un modèle de mobilité et de production énergétique 100% renouvelables en Belgique et en Europe.

 

Lire également nos articles :

 

L’Europe encourage la mobilité électrique et l’autoconsommation collective

 Taxer les voitures selon leur poids : plus efficace que le CO2 ?

L’Agence Internationale de l’Energie se penche sur la voiture solaire