« Gaume Energies » : résultats économiques du stockage solaire

Dans le premier article sur le projet "Gaume Energies", nous revenions sur les résultats énergétiques des différents systèmes de stockage photovoltaïque. "Quid des résultats économiques ?", c'est ce qu'on aborde dans cette seconde partie.

Ces derniers sont présentés selon le mécanisme dans lequel on se trouve : le régime de la compensation (« compteur qui tourne à l’envers ») ou le régime de vente de l’injection.

La première partie de l’analyse du projet est à lire ici.

Régime de la compensation

Pour les installations inférieures à 10 kVA en Région wallonne, où les prosumers peuvent soustraire leur volume d’injection à celui de leur prélèvement grâce au système de compensation (« compteur qui tourne à l’envers »), du moins pour la partie énergie (« commodité »), les économies liées au stockage d’électricité sont limitées.

En effet, l’intérêt financier se concentre uniquement sur les économies réalisables via les frais réseau et plus spécifiquement le tarif prosumer, qui n’est pas une « taxe » (contrairement aux idées reçues) mais un mécanisme garantissant une contribution équitable de tous les utilisateurs aux coûts du réseau électrique. Avant son arrivée, les prosumers se voyaient offrir ces frais sur leur prélèvement. Ce tarif vise également à encourager les prosumers à autoconsommer davantage leur production, réduisant ainsi leur injection et permettant alors d’intégrer plus de capacités de production renouvelable au réseau sans avoir besoin de le renforcer considérablement.

Pour nos 2 maisons pilotes, le montant du tarif prosumer capacitaire est d’environ 410 €/an. C’est le coût de base à partir duquel des économies sont calculées en passant au tarif prosumer proportionnel, un passage qui devient plus intéressant grâce au système de stockage.

Dans la première habitation, le tarif proportionnel permet une économie moyenne de 220 €/an, et dans la seconde habitation, ce montant est de seulement 120 €/an. En comparaison avec le prix de l’investissement (respectivement 18.000 € et 14.400 € TVAC 21%), le temps de retour sur investissement est supérieur à 80 ans dans les 2 cas.

Régime de la vente de l’injection

A partir du 1er janvier 2024, les nouvelles installations photovoltaïques wallonnes de moins de 10 kVA valoriseront dorénavant leur production de 2 manières :

  • Autoconsommation : l’électricité produite qui est consommée simultanément est gratuite et donc évite d’utiliser de l’électricité du réseau au prix de prélèvement (autour de 40 c€/kWh TTC en 2023 en Belgique)
  • Vente de l’injection : l’électricité excédentaire est, quant à elle, revendue à un fournisseur d’énergie au prix d’injection convenu dans le contrat de fourniture avec celui-ci (autour de 6 c€/kWh en 2023 à Bruxelles et en Flandre).

Etant donné l’importante différence entre le prix de prélèvement et le prix d’injection, le stockage de l’électricité revêt une plus grande importance dans ce régime par rapport au régime de la compensation. Sur base des données du projet « Gaume Energie », le calcul des économies réalisables par la batterie uniquement (et non le système de stockage complet) sous le régime de la vente d’injection a été réalisé par Energie Commune.

Pour ce faire, il faut tenir compte du fait que chaque kWh qui aura été autoconsommé par le système de stockage permet de réaliser une plus-value égale à la différence entre le prix de prélèvement et le prix de vente de l’injection, c-à-d 34 c€/kWh. En effet, sans système de stockage, ce kWh excédentaire aurait pu être valorisé au prix d’injection, et l’économie effective n’est donc que la différence entre ces deux prix. Cependant, pour l’électricité stockée par la batterie, il ne faut comptabiliser ce gain que pour l’électricité qui aura été déchargée, déduction faite des pertes liées à son fonctionnement.

En considérant les prix de prélèvement de vente de l’injection mentionnés plus haut, on obtient des économies annuelles de 880€ pour la première habitation, et de 470€ pour la seconde, soit environ 4 fois plus que dans le cas du régime de la compensation. Les montants d’investissements des deux batteries du projet « Gaume Energies » étaient respectivement de 16.900€ et 13.300€ (TVAC 21%) et leur temps de retour sur investissement sont de 21 et 31 ans, bien au-dessus des 12-15 ans de durée de vie des batteries. En 2023, le prix d’une batterie domestique au sodium reste assez élevé (autour de 15.000 €) le prix de la technologie lithium a, lui, bien diminué : une batterie équivalente ne coûte plus que 8.600€. Avec ces prix plus récents, on obtient des temps de retour sur investissement de 28 ans pour le sodium, et 14 ans pour le lithium, ce qui reste très élevé.

Il faut souligner que cela ne tient pas compte de la perte de capacité des batteries lié à leur vieillissement, car cet aspect comporte beaucoup d’incertitudes. La viabilité économique en serait davantage réduite si l’on intégrait ce vieillissement.

Notons que pour les installations mises en service avant le 1er janvier 2024, il sera possible de faire le choix de quitter la compensation pour passer au système de vente de l’injection, pour autant qu’elles soient équipées d’un compteur double flux et que cela soit effectivement plus intéressant.

Cependant, il y a de quoi être sceptique quant à la viabilité économique des batteries domestiques électrochimiques.

Aspects environnementaux

Les auteurs du projet se sont penchés sur la question des impacts environnementaux et humains des solutions de stockage. Après investigation et en comparaison des batteries lithium de type LFP et d’égale capacité, les batteries au sodium semblent :

  • avoir une plus grande longévité
  • être plus sûres (ininflammables et non explosives)
  • moins dépendantes de la rareté des matériaux (le sodium existe en abondance sur Terre)

Néanmoins, elles ont une densité énergétique nettement moins grande (3 fois inférieure à celle des batteries au lithium). Elles conviendraient mieux à des usages stationnaires. Les batteries au lithium pourraient donc être privilégiées pour la mobilité.

Le fait qu’aucune des deux technologies n’utilise ni Manganèse ni Cobalt est déjà un point positif concernant les conditions éthiques des travailleurs de la filière extractrice, contrairement aux batteries au lithium de type NMC (Nickel-Manganèse-Cobalt).

De manière générale, les impacts environnementaux liés aux batteries électrochimiques doivent être analysés plus en détail (cycle de vie, conditions sociales et sanitaires de l’extraction des matières premières, risques d’utilisation, rareté des matériaux…), et être mis en balance avec les bénéfices apportés par celles-ci.

Conclusion

Une installation de stockage d’électricité composé d’une batterie et d’un PV heater permet de réduire le taux d’injection jusqu’à 20-30%, portant le taux d’autoconsommation à 70-80%. Mais attention, sous le régime de la compensation (« compteur qui tourne à l’envers »), les économies sont anecdotiques par rapport au coût du système de stockage. Dans le cas du régime de vente de l’injection, bien que les économies soient nettement supérieures, un système de stockage tel qu’il a été conçu dans ce projet pilote n’est pas viable économiquement non plus.

Les batteries seules sont en effet particulièrement difficiles à amortir étant donné leur prix encore fort élevé. Ce projet met aussi en lumière une caractéristique importante des batteries électrochimiques, à savoir leur rendement global inférieur au rendement théorique que l’on retrouve dans les fiches techniques des fabricants. Il est essentiel d’en tenir compte lorsque l’on évalue cette technologie, de la même manière que la durée de vie de ce type de système.

D’autre part, le PVheater semble être une solution intéressante grâce à sa grande capacité d’autoconsommation à moindre coût et à la quantité limitée de matériaux qu’il implique (lire notre article sur le sujet). Etant donné qu’il n’a été enclenché que lorsque la batterie était pleine, il n’a pas été utilisé au maximum de ses capacités, et il est donc difficile de tirer des conclusions sur le PVheater en tant que solution d’autoconsommation unique.

Enfin, évaluer l’impact environnemental des batteries est difficile en raison d’aspects peu comparables, et mérite davantage de recherches. Néanmoins, d’après l’analyse du Parc Naturel de Gaume, les batteries au sodium semblent être moins néfastes pour l’environnement et plus durables que les batteries au lithium pour un usage domestique.

Il est fort probable que le prix d’achat des batteries diminue davantage et qu’elles deviennent rentables dans le futur. Au sein d’Energie Commune, nous pensons qu’il est nécessaire d’étudier davantage l’impact des batteries domestiques sur nos réseaux électriques, et d’évaluer dans quelles conditions elles ont un rôle positif. Car n’oublions pas qu’une batterie a un impact environnemental et que son rôle est de stocker de l’électricité pour la délivrer à un autre moment. Il nous parait donc important de s’assurer que les batteries ne servent pas uniquement à réaliser des gains économiques, mais également des gains environnementaux en facilitant l’évolution de notre mix électrique.