Comment mener une transition énergétique juste et inclusive ?

Un ménage belge sur cinq se trouve en précarité énergétique. Pour améliorer cette situation, de nombreux acteurs agissent sur des outils d’inclusion sociale. Voici quelques pistes inspirantes pour les plans de relance économique.

Selon le baromètre de la fondation Roi Baudouin, 1 ménage belge sur 5 se trouve en situation de précarité énergétique. Ces personnes vivent dans des conditions où se chauffer est difficile et même impossible. Le constat est contradictoire, vu que les ménages avec de faibles revenus consacrent un budget proportionnellement plus élevé pour leurs factures d’énergie et cette situation touche davantage les familles monoparentales et les personnes âgées isolées, souvent locataires. 

La plupart du temps, ces foyers ne disposent pas de revenus de travail, sont confrontés à des problèmes de santé, et les femmes qui vivent seules ont des revenus équivalents moindre que les hommes. Leur situation financière reste une forte contrainte qui mène à des privations, incompatibles avec une vie digne.  

Les causes sont multiples : coût élevé de l’énergie, réticence et difficulté à changer seules de fournisseur (notamment les personnes sachant pas ou peu lire et écrire), exclusion et difficulté à demander de l’aide pour se faire accompagner, informations trop complexes ou manque d’accès à celles-ci, sans compter les abus de fournisseurs qui profitent de la faiblesse et du manque d’information des citoyens faibles. 

Un plan de relance juste et durable 

Or les mesures prises par les autorités belges pour endiguer la pandémie de Covid-19 ont eu un grave impact notamment sur les publics plus vulnérables, comme le relate ce rapport de Unia. 

L’Europe et la Belgique préparent actuellement leurs plans de relance économique. 

La Coalition Corona, qui regroupe de nombreux acteurs solidaires (syndicats, mutualités, associatif), appelle dès lors à mettre le plan de relance post-covid au service de la santé, de la lutte contre la pauvreté et de la transition vers une économie zéro carbone (lire cette carte blanche).

Et s’il était possible et souhaitable d’inclure tout le monde, même les plus démunis, dans la transition énergétique ? 

Comment  mener une transition énergétique juste et inclusive ? Tel était le thème d’un webinaire organisé le 27 avril dernier par Synergrid, la fédération des gestionnaires de réseaux électricité et gaz en Belgique. 

Les gestionnaires de réseaux et de nombreux acteurs de terrain comme les partenaires sociaux sont des relais précieux et des leviers utiles pour diffuser l’information et lutter contre la précarité énergétique. 

Deux principes s’imposent aujourd’hui, tant dans le Green deal européen que dans les plans de relance économique : “Ne pas porter préjudice à l’environnement” (Do not harm) et “Ne laisser personne sur le côté” (“Leave no one behind). 

Les politiques climatiques se conjuguent désormais avec la notion de justice sociale. 

Agir à différents niveaux 

La lutte contre la précarité énergétique nécessite d’agir à plusieurs niveaux et de coordonner des politiques fédérales et régionales, notamment sur les salaires, les logements et le prix de l’énergie. 

Voici quelques pistes inspirantes. 

Rénover les logements 

Man installing thermal roof insulation layer – using mineral wool panels. Attic renovation and insulation concept

Les logements mal isolés sont une cause structurelle de précarité énergétique. Et sans logement abordable et de qualité, les factures d’énergie deviennent incontrôlables. 

N’oublions pas que certaines personnes dans la précarité se chauffent pour un coût exorbitant ou n’osent plus se chauffer pour éviter des factures impayables, ce qui est aussi une source de mal-être psychologique et physique. 

La Wallonie dispose d’un parc de logements anciens et vétustes : 45% des logements se situent dans les plus faibles catégories énergétiques (“F” et “G”), ce qui induit des factures de chauffage très élevées. 

Les plans wallon et bruxellois de relance économique prévoient des investissements importants dans la rénovation énergétique (lire notre article Pour une stratégie de rénovation au cœur de la relance en Wallonie).

Par ailleurs, des chercheurs ont analysé différentes expériences européennes pour inciter les propriétaires-bailleurs à améliorer la performance énergétique des logements, et notamment l’expérience française des guichets uniques. 

Ce service intégré permet en effet de réunir les professionnels de la rénovation et d’accompagner les propriétaires (bailleurs ou non) tout au long du chantier énergétique tant sur le plan technique, que sur le plan financier ou administratif.  

Ce modèle se développe désormais aussi en Wallonie sous forme d’expériences-pilotes (lire notre article En Wallonie, des plateformes locales aident les ménages à rénover leur logement) ou de coopérative locale à l’exemple de CORENOVE

Ces opérateurs travaillent donc avec les entreprises locales, conseillent le propriétaire dans ses démarches et suivent chaque étape du chantier jusqu’à la validation des nouvelles performances énergétiques du bâtiment rénové (lire notre article Précarité énergétique : comment inciter les propriétaires-bailleurs à rénover les logements loués ?). 

Enfin, des associations comme l’asbl Empreintes accompagne des citoyens inscrits au CPAS. Elle propose régulièrement des cycles de formation « Eco-watcher » pour acquérir en groupes conviviaux des gestes simples d’utilisation de l’énergie quand rénover n’est pas (encore) possible. 

Informer et agir sur le prix de l’énergie 

Le Gouvernement fédéral travaille actuellement sur une définition de la précarité énergétique, avec des indicateurs vérifiables permettant d’octroyer des droits à une aide 

A ce jour, des protections existent comme le statut de “client protégé, qui donne droit au tarif social, aux trêves estivales et hivernales (période pendant laquelle aucune coupure d’énergie et d’eau ne peut être effectuée) ou à l’intervention du CPAS. 

Des procédures de plaintes et recours extra-judiciaires (plus rapides et plus simples) permettent aussi de résoudre des situations difficiles. Or de nombreuses personnes précarisées ne connaissent pas ces droits ou n’osent/ne savent pas en faire la demande.  

Tout citoyen peut faire appel gratuitement aux services du Centre d’appui social énergie : 02/526 03 00 ou  socialenergie@fdss.be 

Lors du webinaire Synergrid, Marie-Pierre Fauconnier, CEO de Sibelga, a ainsi témoigné : “Nous jouons un rôle préventif pour éviter les coupures d’énergie, ce qui est dramatique. Nous appelons les citoyens concernés, en collaboration avec les partenaires sociaux. Nous leur disons : “Contactez votre CPAS pour faire valoir vos droits à une fourniture sociale”.  

Les CPAS développent de nombreux moyens humains pour accompagner les citoyens mais l’information reste dense et complexe et les démarches souvent longues et difficiles pour faire valoir les droits des citoyens. 

A cet effet, des acteurs comme le Fond social énergie propose des formations pour les travailleurs sociaux et des campagnes de sensibilisation, notamment celle du printemps 2021 sur les risques de coupure faisant suite à la prolongation de la protection hivernale.  

Sibelga développe également une communication et des outils simples – en plusieurs langues internationales, afin de toucher les communautés allochtones – permettant de mieux connaître sa consommation d’énergie et son coût, afin de mieux maîtriser son budget énergie. 

Différents acteurs – tels que la CREG ou Test-Achat – lancent régulièrement des campagnes grand public afin d’inciter les citoyens à comparer et changer de fournisseur d’énergie. Il est en effet possible d’économiser jusqu’à 400€ par an.  

Les clients précarisés ne sont souvent pas au courant ou ne s’y retrouvent pas dans les démarches à effectuer. Les travailleurs sociaux se doivent d’informer et accompagner ce public.

Au niveau politique, le Réseau wallon pour l’accès durable à l’énergie (RWADE) plaide pour un droit d’accès à l’énergie pour tous, conforme au droit au logement décent et à la dignité humaine.

Mais il est important que ce plaidoyer soit soutenu par d’autres acteurs et structures qui n’ont pas de lien direct avec l’énergie. Parce que finalement, l’énergie nous concerne tous, non ? 

Ainsi par exemple, le Gils à Liège regroupe pas moins de 40 CPAS et lutte contre le surendettement. Parce que souvent, la précarité énergétique est liée à d’autres problèmes de dettes ou d’exclusion sociale. Ils proposent des outils de sensibilisation comme des publications.  

Enfin, le déploiement des compteurs intelligents pourrait offrir une nouvelle opportunité pour les ménages d’accéder à des tarifs avantageux. A Bruxelles, Brugel – régulateur du marché bruxellois de l’énergie – soutient un déploiement rapide des compteurs connectés au profit notamment des ménages (lire notre article Compteurs intelligents : La Région bruxelloise balise un déploiement au profit des ménages

Une taxe carbone socialement juste 

Le Gouvernement fédéral réfléchit actuellement à l’instauration d’une taxe carbone. Cette fiscalité sur les énergies fossiles vise à faire contribuer les secteurs polluants en vue de financer les alternatives plus respectueuses de l’environnement. 

Mais une taxe carbone socialement injuste s’avère intenable, comme l’a démontré le mouvement des Gilets jaunes en France et en Belgique. 

De nombreux acteurs de terrains plaident dès lors pour une taxe carbone accompagnée de mesures favorables aux ménages (lire notre article La taxe carbone belge sera-t-elle juste ?).  

Bonne nouvelle : Selon une récente étude de la Banque nationale belge, une taxe carbone qui prévoit une redistribution des recettes peut s’avérer bénéfique pour l’économie, les ménages et le climat (lire notre article). 

Des communautés d’énergie inclusives 

© Fanny Monier – City Mine(d)/La Pile 

Le développement actuel des Communautés d’énergie représente sans doute l’une des pistes les plus prometteuses pour une transition énergétique juste et inclusive. 

En effet, il est désormais possible de partager une production d’électricité renouvelable – par exemple une installation photovoltaïque sur le toit d’une école – avec les habitants du quartier, notamment les locataires qui n’ont pas la possibilité d’installer eux même un équipement solaire. 

Cette dynamique permet de développer une production et une consommation locale d’énergie renouvelable et d’offrir un tarif avantageux notamment aux citoyens à revenus modestes. 

L’APERe travaille par exemple sur un projet-pilote à Saint-Gilles où la production photovoltaïque est partagée au bénéfice des locataires de logements sociaux (illustration ci-dessus). 

Et ce modèle est appelé à se développer partout en Belgique et en Europe (lire nos articles La première communauté d’énergie renouvelable de Belgique prend son envol , Les communautés d’énergie, une forme d’économie sociale et Les communautés d’énergie, un modèle d’avenir). 

Une campagne pour une transition solidaire 

Autre initiative motivante : l’APERe a récemment lancé une campagne de sensibilisation : “Et vous l’énergie, vous en pensez quoi ?” 

Saviez-vous que les énergies renouvelables ont le potentiel de sortir des ménages de la précarité ? 

Quel que soit votre profil, y compris ceux concernés par la précarité énergétique, ce défi vous offre la possibilité de vous joindre à une initiative positive et de mieux comprendre le monde de l’énergie. 

Cette campagne se déroule en trois étapes entre mars et décembre 2021. À chaque étape, un challenge vous invite à compléter un formulaire de dix questions, disponible en ligne et en version papier. 

Chaque questionnaire rapide de 10 questions vous aidera à mieux comprendre où vous vous situez, et ce que vous pouvez faire pour maîtriser votre consommation d’énergie et diminuer votre impact sur l’environnement. À la fin de la campagne, les personnes qui auront relevé les trois challenges recevront… un cadeau. 

En savoir plus sur la campagne 

A travers ses différents projets et campagnes, l’APERe estime qu’il est possible de construire ensemble une transition énergétique renouvelable, juste et solidaire.