L’énergie durable se développera sans « terres rares »

Des polémiques récentes pointent l’usage de « terres rares », notamment dans l’éolien et les voitures électriques. L’extraction de ces métaux est effectivement néfaste pour l’environnement et la santé. Et les technologies durables développent aujourd’hui des alternatives. Un exemple qui devrait être suivi par de nombreux autres secteurs économiques.

La publication récente du livre « La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique », par le journaliste français Guillaume Pitron, relance une polémique régulière depuis quelques années : « La croissance des énergies renouvelables et de la mobilité électrique impliquerait une utilisation massive de métaux appelés « terres rares », dont l’extraction et la production sont nocives pour l’environnement et la santé. »

Vous pouvez lire les arguments de Guillaume Pitron dans cette interview réalisée par la revue Techniques Ingénieurs et commander son ouvrage ici.

Comme dans tout débat sociétal, il est utile de confronter les points de vue pour se forger une opinion.

Renouvelle.be, revue dédiée à l’actualité de l’énergie durable, réalisée par une association spécialisée et sans but lucratif (l’APERe asbl) et soutenue par les pouvoirs publics, notamment pour son rôle d’éducation permanente, souhaite donc développer ici un point de vue non-polémique sur ce débat pertinent.

Nous allons voir qu’un développement durable est possible et souhaitable sans avoir recours aux « terres rares ».

Qu’est-ce que les « terres rares » ?

Les terres rares sont un ensemble de 17 éléments chimiques du fameux tableau de Mendeleïev que tous les écoliers ont un jour appris à connaître. Pour une définition complète: Wikipedia.

Les terres rares regroupent 17 métaux différents utilisés dans de nombreuses applications technologiques.

Les oxydes et alliages métalliques de ces éléments sont utilisés dans de très nombreuses applications :

  • Pour fabriquer des pots catalytiques automobiles et raffiner du pétrole (24% des usages).
  • Pour fabriquer des aimants permanents (23% des usages), que l’on retrouve dans les moteurs et générateurs électriques, les smartphones et tablettes, des technologies militaires, certaines éoliennes, …
  • Pour fabriquer de la poudre de polissage (12% des usages), utilisée pour tous les types d’écrans : téléviseurs LCD, ordinateurs, smartphones, tablettes, … Autant d’objets courants dont la production s’est considérablement accélérée cette dernière décennie.

Vous trouverez une analyse détaillée des applications dans le Panorama 2014 du marché des Terres rares et dans la présentation du projet européen EURARE.

Les terres rares se retrouvent notamment dans les moteurs électriques à aimants permanents (utilisés dans de nombreuses industries) et dans les smartphones.

Répartition de la production de terres rares par pays et consommation de terres rares par applications en 2015, d’après l’article « Global Potential of Rare Earth Resources and Rare Earth Demand from Clean Technologies » (2017).

Sont-elles vraiment rares ?

Le nom de « terres rares » vient du fait qu’on les a découvertes à la fin du 18ème siècle dans des minerais (d’où le nom de « terres »), peu courants en ces temps-là et difficiles à séparer les uns des autres avec les techniques utilisées à l’époque.

Le terme « rare » ne fait pas allusion à la rareté de ces éléments, mais à la rareté de leur gisement. En effet, ils se trouvent en quantité assez abondante dans l’écorce terrestre, mais ils y sont fortement dilués. Leurs caractéristiques physico-chimiques font qu’ils sont rarement à des niveaux de concentration suffisants pour être exploitables.

En 2017, une publication du journal scientifique Minerals estimait que les réserves mondiales d’oxydes de terres rares s’élevaient à 478 millions de tonnes. Au rythme de la consommation actuelle (de l’ordre de 130 000 tonnes/an), nous en avons dès lors pour plusieurs centaines d’années. Même en cas de forte croissance de la demande, il n’y aura pas de pénurie.

Par ailleurs, les réserves sont réparties sur plusieurs continents (carte ci-dessous).

Un marché qui se diversifie

Au cours des années 2000, la Chine a assuré un quasi-monopole sur le marché des « terres rares », par une politique de quotas et de dumping des prix. Mais, depuis la flambée des prix en 2011, le marché s’est diversifié.

La Chine reste de loin le premier producteur mondial, suivie par l’Australie (site de Mount Weld) et la Russie. Mais une cinquantaine de projets avancent rapidement dans 34 pays, répartis sur 5 continents.

Des scientifiques japonais ont par exemple identifié et analysé des gisements de terres rares dans les fonds marins de l’Océan Pacifique, estimant que cette seule réserve pourrait représenter plusieurs centaines d’années de la consommation mondiale.

Des impacts environnementaux néfastes

Les « terres rares » peuvent donc répondre à la demande du marché. Faut-il pour autant s’en réjouir ?

Dans la plupart des pays concernés, les techniques d’extraction et de purification des terres rares sont polluantes pour le sol et l’eau. Elles nécessitent des procédés hydrométallurgiques et des bains d’acides qui rejettent des métaux lourds, de l’acide sulfurique ainsi que des éléments radioactifs (uranium et thorium).

En Chine, la radioactivité mesurée dans les villages de Mongolie-Intérieure proches de l’exploitation de terres rares de Baotou est de 32 fois la normale (à Tchernobyl, elle est de 14 fois la normale) ; tandis que de nombreux cas de cancer sont attribués à l’exploitation des terres rares.

Ces pollutions ont été dénoncées par Greenpeace Chine et par plusieurs associations environnementales internationales.

Sur le site de Baotou (Chine), la plus grande raffinerie de terres rares au monde rejette des résidus radioactifs dans un lac artificiel adjacent. Photo : Unknown Fields

Il est pourtant aujourd’hui possible d’extraire et de produire des « terres rares » en respectant des normes environnementales et sanitaires sévères. Ces normes devraient s’appliquer dans tous les pays concernés, notamment les Etats plus laxistes à l’égard de l’environnement et de la santé de la population locale.

Mais le marché est-il prêt à intégrer les coûts nécessaires pour rendre cette activité plus respectueuse de l’environnement et de la santé humaine ?

Pour un développement durable sans terres rares

La transition énergétique en Europe ne peut se faire au détriment des écosystèmes et des populations locales ailleurs dans le monde.

Pour améliorer la durabilité de leur activité, les secteurs économiques concernés devraient donc mettre en œuvre des process ou des composants « low tech » sans terres rares. Or, les secteurs de la mobilité électrique et de l’éolien montrent actuellement l’exemple.

La mobilité électrique n’a plus besoin de terres rares

Les véhicules électriques sont parfois pointés du doigt dans ce débat, pour leurs besoins en aimants permanents fabriqués à partir de « terres rares ».

Or, les constructeurs de véhicules électriques peuvent et veulent se passer de « terres rares », explique l’association AMPERes dans cet article. Il suffit de remplacer le rôle des aimants par une bobine d’excitation. Des modèles comme par exemple la Renault Zoé (la plus vendue en Europe) ou les Tesla (les plus vendues en Amérique) utilisent cette technologie et leur moteur ne contient donc pas de « terres rares ».

En ce qui concerne les batteries, les anciens modèles – qui contenaient des « terres rares » – sont aujourd’hui remplacés par des batteries Li-ion, aux performances bien plus élevées, et qui ne contiennent pas de « terres rares ».

Par conséquent, l’avenir et le développement de la mobilité électrique ne dépend nullement de l’exploitation de terres rares. Par contre, le raffinage du pétrole et les pots catalytiques des voitures thermiques qui, eux, ne peuvent pas se passer de « terres rares », figurent parmi les plus gros consommateurs. Comme d’ailleurs de nombreux appareils électroménagers, technologiques ou industriels.

Cependant, notons que l’usage de batteries Li-ion ouvre d’autres questions : Quelles sont les réserves réelles de lithium ? Son extraction peut-elle se faire sans nuire aux écosystèmes concernés (Chine, Bolivie, Chili, …) ? Ce débat environnemental doit aussi être considéré.

Par ailleurs, soulignons que l’Europe souhaite développer une économie circulaire des batteries pour véhicules électriques, permettant de les recycler et leurs donner plusieurs vies et en maximiser ainsi leur usage, ce qui réduira fortement nos besoins d’extraire de nouveaux métaux pour en fabriquer des neuves.

De manière générale, les associations environnementales soutiennent le scénario d’un parc automobile 100% électrique en Europe d’ici 2050, combiné à une diminution drastique des besoins de transport, afin – notamment – de faire chuter la pollution actuelle de l’air, générée par les voitures thermiques et responsable de 467.000 morts prématurées chaque année (lire l’étude de la European Climate Foundation).

Les scientifiques ont également analysé le bilan CO2 complet des véhicules électriques en Europe. D’ici 2030, ces véhicules émettront 66% de CO2 de moins qu’une voiture diesel et, d’ici 2050, 80% de CO2 de moins ! Le bilan environnemental sera donc nettement positif en Europe (lire notre article 2 millions de voitures électriques en Belgique ?).

L’éolien sans terres rares montre l’exemple

Au niveau de l’éolien, des « terres rares » (le néodyme en particulier) sont parfois utilisées pour la fabrication des aimants permanents qui équipent les génératrices synchrones. En fonction de la technologie (avec ou sans boîte de vitesse) et de la vitesse d’entraînement, l’utilisation de terres rares peut être plus ou moins importante. Il peut représenter 1/3 du poids des aimants permanents (lire cet article de la revue scientifique « Resources Policy »).

L’éolien onshore se développe principalement sans utiliser de « terres rares ». En Wallonie par exemple, l’essentiel de la technologie éolienne installée n’utilise pas d’aimants permanents (les turbines Enercon et Senvion, les plus installées, en sont totalement dépourvues).

En éolien offshore, les aimants permanents restent intéressants, essentiellement pour des raisons de compacité des génératrices, d’efficacité et de moindre coût de maintenance.

La flambée des prix des terres rares en 2011 a encouragé les producteurs éoliens à se tourner vers des alternatives, pour stabiliser le risque prix par rapport à cette ressource.

Le projet de recherche européen EcoSwing développe des génératrices avec supra conducteurs qui nécessiteront 100 fois moins de « terres rares ».

La recherche et développement va bon train pour diminuer voire supprimer totalement la dépendance aux « terres rares » dans l’éolien (lire à ce sujet le rapport du JRC au sujet de la technologie éolienne). Il s’agit d’optimiser les turbines ou de trouver des alternatives qui pourraient remplacer les terres rares par des composants aux propriétés similaires.

Ainsi, des avancées dans la fabrication des aimants permanents et le design des génératrices permettent déjà de réduire le besoin de terres rares. Des génératrices avec supra conducteurs pourraient aussi permettre de diminuer le poids de la génératrice et réduire fortement l’usage des terres rares (de 200 kg/MW à moins de 2 kg/MW). Un projet de recherche européen est en cours à ce sujet et prévoit de mettre en service une turbine de 3,6 MW en near-shore au Danemark en 2019.

Les avancées les plus récentes en recherche permettent même la substitution directe des « terres rares ». Une première mondiale de génératrice synchrone à aimants permanents avec de la ferrite a été développée par l’entreprise anglaise GreenSpur Renewables : des turbines de 3 et 6 MW sont installées et une turbine de 15 MW est attendue pour 2021.

L’entreprise anglaise GreenSpur Renewables a développé la première génératrice synchrone à aimants permanents avec de la ferrite, en substitution aux terres rares.

Par ailleurs, des études se penchent sur le recyclage des aimants, dans l’idée d’une économie circulaire, ce qui est bénéfique pour l’environnement et réduit la criticité de la ressource.

Suivant l’analyse de cet article de la revue scientifique « Resources Policy », les stratégies de substitution dépendront sans conteste de l’évolution des prix sur le marché et des avantages technico économiques des alternatives sans « terres rares ».

Il semble néanmoins réaliste de penser que, d’ici à quelques années, les recherches en cours permettront de minimiser voire même de supprimer totalement l’utilisation de terres rares dans l’éolien.

Rappelons enfin que les associations environnementales soutiennent le scénario d’une Europe 100% énergies renouvelables d’ici 2050, combiné à une réduction drastique de la demande d’énergie, vu ses effets positifs pour l’environnement, le climat, la santé et le développement économique.

En conclusion

Le développement d’une énergie durable en Europe – mobilité électrique, production d’énergie éolienne, … – ne peut se faire au détriment d’un écosystème et d’une population locale ailleurs dans le monde.

Or les technologies d’énergies renouvelables et les véhicules électriques souhaitent se passer des « terres rares » pour assurer leur croissance.

Les « terres rares » sont par contre utilisées dans de nombreux appareils électroménagers, technologiques ou industriels. Le consommateur doit être conscient que des terres rares se retrouvent dans de nombreux équipements de son quotidien (smartphone, ordinateur, écran LCD, …).

Dans une perspective de soutenabilité, il est donc souhaitable de réduire et de remplacer l’usage de « terres rares » dans les nombreuses applications courantes. A l’exemple de l’éolien et de la mobilité électrique, de nombreux autres secteurs économiques devraient mettre aussi en œuvre des process ou des composants industriels alternatifs respectueux de l’environnement. A quand un label « Smartphone sans terres rares » ?

Par ailleurs, parallèlement à un abandon progressif de cette ressource, des législations environnementales très strictes devraient être mises en place dans les pays où ont lieu l’extraction de « terres rares », afin de protéger les sols, l’eau et la santé humaine.