Les combustibles fossiles dans la catégorie des poids lourds

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Notre série sur les matériaux de la transition énergétique touche à sa fin. Dans ce dernier volet, nous avons comparé l’impact lié aux besoins de ces matériaux, entre le renouvelable et le fossile.

Après avoir abordé la présence des matériaux essentiels dans nos technologies renouvelables et leur criticité, nous en avions conclu que, au-delà de la simple disponibilité géologique, ce sont davantage des critères externes comme la géopolitique et la concentration excessive de ces ressources, entre autres, qui suscitent des inquiétudes et pourraient potentiellement perturber l’approvisionnement dans le futur.

Selon une étude prospective menée par Hannah Ritchie, qui a examiné 75 scénarios, il apparait que nous disposons actuellement de quantités suffisantes de matériaux pour parvenir à la décarbonation de nos systèmes électriques. En effet, la demande anticipée jusqu’en 2050 ne représente pas plus de 15% des réserves pour la plupart de ces matériaux. Cependant, cela soulève la question cruciale de savoir s’il est souhaitable d’exploiter ces réserves.

Les technologies renouvelables décriées  

Les technologies renouvelables nécessitant davantage de métaux par rapport aux autres moyens de production d’électricité, et entrainant les impacts explorés dans notre précédent article de la série, sont associés au mythe selon lequel la transition énergétique entraînera immanquablement une hausse significative des activités minières.  Pourtant cela est faux. Malgré nos efforts pour minimiser la production et la consommation, nos sociétés auront toujours besoin d’énergie pour fonctionner. Or, les énergies renouvelables viennent remplacer des énergies fossiles dont les exigences extractives et les conséquences environnementales sont incomparables. Un éclairage approfondi et une mise en perspective s’imposent dans ce contexte.

Ne pas laisser passer les combustibles fossiles sous le radar

Il existe deux différences fondamentales entre les combustibles fossiles et les matériaux nécessaires pour les technologies renouvelables.

Premièrement, le problème est qu’on ne considère que les stocks, c’est-à-dire, ce dont on a besoin pour construire le générateur ou la voiture. Les flux, c’est-à-dire, l’énergie nécessaire pour les faire fonctionner, ne sont, eux, pas pris en compte. Mais ces derniers sont bien plus importants que les stocks. Les métaux critiques utilisés pour les énergies renouvelables ou les véhicules électriques le sont pour des équipements ayant une durée de vie de 10 à 30 ans minimum et qui ne consomment aucun combustible. Par exemple, on a besoin de 6,5 tonnes de silicium pour construire 1MW d’énergie solaire. Sur sa durée de 30 ans, 1MW de capacité solaire va générer plus de 40 000 MWh d’électricité, le besoin en minéraux n’est donc que de 0,15kg par MWh. Comparez cela à une centrale au charbon : les besoins en minéraux critiques seront certes moins importants mais il faudra 350 kg de charbon pour produire 1MWh. Selon ce calcul, la production d’électricité à partir de charbon nécessitera initialement moins de matériaux que celle à partir de l’énergie solaire.

Cependant, sur sa durée de vie, le charbon nécessitera 2000 fois plus de matériaux pour la même unité d’énergie produite que le solaire. Ainsi, l’extraction de métaux pour la transition augmentera de manière significative mais sera contrebalancée par la réduction de celle du charbon. Même chose pour les transports, une voiture moyenne consomme environ une tonne de pétrole par an, soit 15 tonnes sur sa durée de vie. Les véhicules électriques, eux, nécessitent seulement 210 kg de minéraux essentiels. Ainsi, le poids du pétrole est 71 fois supérieur à celui des minéraux. Développer le renouvelable diminue donc l’extractivisme au niveau mondial, la consommation de combustible étant bien plus importante. L’activité minière mondiale devrait diminuer à mesure que les énergies propres remplacent les combustibles fossiles.

Deuxièmement, les matériaux des technologies renouvelables offrent des possibilités de réutilisation et de recyclage, réduisant ainsi la nécessité d’une extraction primaire continue contrairement aux combustibles fossiles utilisés de façon dissipative qui, comme le pétrole, ne sont brûlés qu’une fois. Ainsi, en appliquant les principes de l’économie circulaire et en recyclant les matériaux utilisés, nous pourrions potentiellement ramener l’exploitation minière liée à l’énergie à un niveau inférieur à son état actuel, une fois que les stocks de métaux dans les technologies renouvelables auront été établis, ce qui devrait se produire après 2050.

Ainsi, cette comparaison démontre bien que l’extraction de matériaux liée au charbon, au gaz et au pétrole est tout sauf négligeable. On parle de 15 milliards de tonnes consommées annuellement (chiffres de 2019) impossible à réutiliser ou recycler. Par comparaison, les métaux, recyclables, liés à la transition énergétique dans le scénario SDES de l’IEA, sont aux alentours de 7 millions de tonnes en 2020 et de 28 millions de tonnes en 2040, c’est-à-dire encore 500 fois moins de ressources que les carburants fossiles de nos jours, soit une réduction de 99,8%. Pour l’environnement, c’est sans regret. Même si les prévisions devaient encore grossir d’ici 2050, les volumes et les impacts environnementaux ne seront jamais comparables aux énergies fossiles aujourd’hui.

Questionner démocratiquement nos besoins  

Il n’y a pas de solution énergétique gratuite. Tout aura un coût. Il est clair que l’activité minière a des impacts négatifs sur l’environnement et nos sociétés. Mais nous sommes face à un choix : d’un côté, une solution coûteuse basée sur les combustibles fossiles et de l’autre, une solution plus abordable basée sur les énergies propres. Ces dernières nous permettraient d’économiser de l’argent tout en réduisant significativement l’impact climatique mais à condition qu’elles remplacent bien les fossiles, et non pas juste s’y ajouter comme actuellement.

Transitionner vers un monde où les combustibles fossiles seraient beaucoup moins sollicités n’est pas une raison suffisante pour cesser de s’intéresser à tous les éléments liés à l’exploitation des ressources naturelles. De nouveaux métaux devront être sortis de terre pour la transition et cela ne sera jamais sans impact. Le défi sera de le minimiser en réduisant drastiquement nos consommations grâce à la sobriété, l’efficacité, le recyclage et en améliorant les pratiques sociales et environnementales du secteur minier pour ne pas reproduire les schémas désastreux du passé.

Cela nécessitera de questionner collectivement et démocratiquement nos besoins pour réduire notre demande en énergie. Aucun choix n’est idéal mais il faudra bien que nous choisissions et cela nécessitera des investissements énormes et des changements de style de vie importants plus sobres en ressources.