Une énergie durable accessible à tout le monde ? C’est la promesse de l’ODD 7 (objectif de développement durable n°7) pour 2030 et c’est un enjeu majeur pour l’Afrique.
En 2021, 567 millions de personnes en Afrique subsaharienne n’avaient pas accès à l’électricité, représentant plus de 80 % de la population mondiale dépourvue d’accès.
Le recours aux énergies renouvelables serait-il la solution miracle pour répondre à l’enjeu de l’accessibilité ? Quels avantages et risques pour le continent africain ?
La transition énergétique en Afrique, un remède miracle ?
Comptant actuellement 1,3 milliard d’habitants, l’Afrique verra sa population grimper à 2,5 milliards en 2050. Plus de 40 % de celle-ci (plus de 600 millions de personnes) vit aujourd’hui sans aucun raccordement à l’électricité. L’investissement massif dans les énergies renouvelables en Afrique pourrait non seulement répondre au défi de l’accessibilité mais aussi contribuer à la baisse mondiale des émissions de gaz à effet de serre et donc au changement climatique.
La transition énergétique en Afrique est déjà en marche depuis quelques années. Au Maroc, c’est une capacité d’environ 4 GW de déjà installée, représentant 40% du total de production électrique. Une partie provenant de la centrale solaire de Noor Ouarzazate, le plus grand parc solaire concentré du monde. Autre exemple au Kenya où la majeure partie de l’électricité est issue des énergies renouvelables notamment grâce aux productions de ses centrales hydroélectriques et géothermiques ainsi que de ses parcs éoliens et solaires.
Le changement vers le renouvelable crée des synergies entre les pays : le Kenya, l’Afrique du Sud, la Namibie, l’Égypte, le Maroc et la Mauritanie ont lancé l’Africa Green Hydrogen Alliance pour faire du continent le principal pôle de développement de l’hydrogène vert, à la fois pour une utilisation domestique et en vue du marché d’exportation.
Néo-colonialisme vert ou accord win-win ?
Si nous prenons du recul pour analyser la situation d’un point de vue mondial, la transition énergétique africaine aurait tout son sens. Selon Per Magnus Nysveen, analyste chez Rystad Energy : « L’Afrique concentre la moitié des ressources solaires disponibles dans le monde. C’est l’équivalent des Etats-Unis, de la Chine et de l’Inde, c’est trois à quatre fois les ressources de l’Australie, pourtant déjà bien pourvue ». Certaines régions combinent même un fort potentiel solaire et éolien, ce qui peut permettre de résoudre en partie le problème de la variabilité de production de ces sources d’énergie.
Mais les investissements occidentaux dans le renouvelable en Afrique font débat : d’une part, il y a le rêve occidental de créer de nouvelles routes qui partiraient des pays où les énergies renouvelables sont abondantes pour acheminer de l’hydrogène vert vers les grands pôles industriels du nord de l’Europe; d’autre part, il y a l’inquiétude de certains pays africains qui redoutent d’être spoliés de leurs ressources au profit de puissances étrangères.
Penser aux communautés autochtones
La transition énergétique bien que nécessaire ne pourra pas se faire n’importe comment. À la veille de l’Africa Climate Summit de Nairobi, en septembre 2023, l’African Region Indigenous People (Arip) attirait l’attention sur les risques encourus par les populations autochtones : “Les investissements dans les énergies renouvelables ne doivent pas restreindre l’accès des communautés de bergers aux pâturages ni empêcher la mobilité du bétail. En outre, le sommet doit prendre en compte le rôle joué par les pâturages en matière d’absorption du carbone et les protéger d’une éventuelle utilisation néfaste pour l’environnement”.
Ce premier sommet africain de l’énergie a pu accoucher d’une déclaration ambitieuse, en se positionnant pour une taxe carbone mondiale et pour une réforme des institutions financières internationales afin de financer l’action climatique en Afrique.
Les métaux précieux, la face cachée de la transition énergétique
Personne ne questionnera le bien fondé du passage au renouvelable mais ne faisons pas l’autruche : l’Afrique, réservoir d’une bonne partie des matériaux de la transition énergétique mondiale, paie un lourd tribut. Une situation qui pourrait s’aggraver.
Plusieurs pays africains ont été touchés par le développement des énergies renouvelables dans le monde et par l’exploitation minière qui y est liée. La Côte d’Ivoire a, par exemple, perdu 99 km² de forêt et d’autres pays comme l’Angola ou la République démocratique, entre autres, ont également perdu une partie de leur couverture forestière à cause des activités minières. 77 % des initiatives mondiales pour l’extraction de minéraux de transition énergétique sont situées sur ou à proximité de terres communautaires africaines.
Ne pas se tromper de responsables
S’il faut tenir compte de cette réalité, n’oublions pas le bilan catastrophique des énergies fossiles en Afrique qui ont un impact désastreux pour les populations et leur environnement. Amnesty International a dénoncé, à maintes reprises, les conséquences et les abus de l’exploitation pétrolière par Shell au Nigeria ou les risques du projet d’oléoduc EACOP de Total en Ouganda et en Tanzanie. Sans parler de la pollution occasionnée par les mines de charbon.
Il est paradoxal que l’Afrique, qui fournit tant de matières premières pour la transition énergétique au reste du monde, ne profite pas elle-même de cette transition. Certains pays comme la Namibie, l’Egypte, le Maroc ou la Mauritanie misent d’ailleurs sur l’hydrogène vert qui pourrait représenter à la fois une ressource essentielle mais aussi un débouché stratégique pour l’exportation.
Ne pas répéter l’histoire
Comme ailleurs dans le monde, les solutions ne sont pas binaires et la transition énergétique en Afrique doit aussi veiller à protéger les populations les plus vulnérables. À l’instar du commerce d’autres ressources, il s’agit d’abord de respecter la souveraineté des pays africains dans leur choix et dans leurs stratégies énergétiques. D’autre part, il ne faut pas voir ce continent comme homogène avec les mêmes solutions applicables partout.
Une étude publiée en 2022 dans la revue Nature Energy, souligne que certains pays gagneraient à installer dans un premier temps des systèmes de production hybrides à base de photovoltaïque et de diesel, tandis que d’autres pourraient miser sur l’hydroélectricité, le solaire et l’éolien. Mais les chercheurs s’accordent sur un point : les énergies renouvelables sont, à bien des égards, plus indiquées que de nouveaux projets gaziers, par exemple (pour des raisons climatiques et pour la création d’emplois).
Dans la deuxième partie de cette analyse, nous verrons que l’Afrique ne pourra pas réaliser toute seule une transition rapide vers le renouvelable sans la mobilisation des institutions internationales ainsi que des pays riches, premiers responsables du changement climatique.
Un effort commun pas seulement pour l’Afrique mais pour toute la planète.