Ether Energy ou comment développer l’agrivoltaïsme en Wallonie

Cette entreprise bruxelloise développe désormais des projets qui combinent production photovoltaïque et agriculture. Un modèle intelligent soutenu par la SRIW. Interview.

En Wallonie, les centrales solaires au sol – ou champs solaires – entrent en concurrence avec les activités agricoles et suscitent désormais des débats et des oppositions locales.  

La Wallonie dispose d’espaces limités et compte une densité démographique élevée. Les terres doivent avant tout nourrir sa population. Elle doit en tenir compte dans sa transition énergétique. 

Quatre associations – Natagora, APERe, Terre en vue et IEW – ont d’ailleurs récemment adopté une position commune afin de soutenir un développement plus harmonieux de la filière photovoltaïque, dans la perspective d’une Wallonie 100% renouvelables d’ici 2050.  

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L’entreprise bruxelloise Ether Energy, qui a été confrontée à ce type d’opposition locale, en tire les leçons et développe désormais les tous premiers projets d’agrivoltaïsme en Wallonie. 

Ce type d’applications permet en effet de combiner une production photovoltaïque avec une culture ou un élevage, sur un même terrain, et avec peu d’incidences sur l’environnement et les riverains. 

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Renouvelle a interviewé deux associés de Ether Energy, Pierre de Liedekerke et Alex Houtart, afin d’en savoir plus sur leur expérience de terrain, car leurs projets ouvrent la voie à un agrivoltaïsme intelligent en Wallonie. 

De gauche à droite : Pierre de Liedekerke, Alex Houtart et Jose Luis Aguirre – Ether Energy.

Renouvelle : Au départ, Ether Energy a tenté de développer des projets de centrales solaires au sol en Wallonie. Comment êtes-vous arrivés à vous positionner sur des projets d’agrivoltaïsme ? 

Pierre de Liedekerke et Alex Houtart : Pour nous, l’idée est de développer de grandes installations photovoltaïques d’utilité publique – utility scale en anglais – en injection pure sur le réseau électrique. Les projets en autoconsommation sur toiture sont déjà très développés en Belgique. 

En Europe, de nombreux pays développent à la fois des projets en toiture et au sol. Mais en Belgique, les projets d’utilité publique représentent à peine 1 à 2% des capacités photovoltaïques installées, contre 20% en moyenne en Europe (NDLR : voir le graphique ci-dessous). 

La Wallonie s’est fixée des objectifs photovoltaïques et devrait installer 430 MWc par an d’ici 2025 pour compenser la sortie du nucléaire. Or un champ solaire représente l’équivalent de 5.000 à 8.000 installations résidentielles en toiture, en une fois. 

Renouvelle : Pourquoi cela ne fonctionne pas en Belgique ? 

Nous avons cartographié tous les types de terrains au plan de secteur en Wallonie : industriel, agricole, forestier, résidentiel, … Mais il y a partout des difficultés à mettre en œuvre de grandes installations photovoltaïques car il n’existe pas de parcelles affectées aux énergies renouvelables. En Allemagne par exemple, les Landers peuvent attribuer des terrains à des projets renouvelables d’utilité publique. 

En Wallonie, les centrales solaires, tout comme les parcs éoliens, doivent donc obtenir un permis dérogatoire. C’est une contrainte surmontable mais nous sommes toujours à la merci d’un refus par les autorités compétentes. 

Nous avons par exemple analysé des projets en zone industrielle avec le Bureau Economique de la Province de Namur (BEP) mais c’est très compliqué car ces terrains sont très convoités. Le BEP a par exemple attiré notre attention sur un projet d’expansion d’une zone d’activité économique et il ne voulait pas bloquer le site avec une centrale photovoltaïque. Pourquoi ? Parce qu’un parc d’activité économique est destiné à recevoir des entreprises et qu’une entreprise qui loue le terrain est infiniment plus rentable, même s’il faut attendre 10 ans pour le louer. On nous a proposé une occupation temporaire, disons pour 5 ans, mais cela ne tient pas la route en matière de business model : les banques demandent au minimum 10-15 ans de production pour amortir l’installation solaire. 

Les permis, eux, sont octroyés pour 30 ans renouvelables. 

Renouvelle : Qu’en est-il des friches industrielles, qui représentent un grand potentiel pour le solaire ? 

C’est juste mais pas plus facile pour autant.  Par exemple, la Ville de Namur nous a suggéré un projet sur une ancienne décharge à Limoy : “Commencez par les friches industrielles et les terres polluées car elles sont très disponibles”. Concrètement, nous avons analysé les trois terrains de cette décharge: le premier est une ancienne décharge de déchets ménagers enfouie sous terre, avec une présence de gaz, et la SPAQUE nous a signalé que cette zone était non utilisable car il y avait un risque d’explosion ; les deux autres terrains étaient réhabilités… en zone agricole mais toujours sous surveillance par la SPAQUE, l’un était en cours de reboisement et l’autre était situé à côté du village avec un impact visuel majeur. La conclusion est donc que cet endroit était moins approprié qu’une autre zone, agricole elle aussi, située dans le même périmètre à Wierde mais tout à fait invisible.

Au final, techniquement, ce sont les espaces agricoles qui sont les moins contraignants. C’est pourquoi nous avons développé notre projet un peu plus loin, à Wierde. 

Précisément, comment avez-vous conçu votre projet de Wierde, qui pourrait devenir la première grande installation agrivoltaïque en Wallonie ? 

Projet agrivoltaïque de Wierde. Simulation en image de synthèse. © Ether Energy

Le site répond à de nombreux critères. Il est situé en fin de zone agricole, entre une autoroute et un bois et nous prévoyons la plantation d’une haie sur un côté, il est donc quasi invisible. D’ailleurs, l’enquête publique vient de s’achever et il n’y a eu aucunes réactions des riverains. 

Ensuite, il est situé à moins de 3 km d’une sous-station Elia, pour l’injection de la production solaire dans le réseau, et la sous-station dispose encore de capacité d’accueil, ce qui n’est pas toujours le cas en Wallonie. 3 km, c’est une distance maximale pour la rentabilité du projet car les frais de raccordement sont extrêmement chers en Wallonie : entre 200 et 500.000 € par km. Nous arrivons à un coût d’investissement d’un million €, ce qui est 3 à 4 fois plus cher qu’en France pour un même raccordement. 

Le modèle est propre à chaque site mais la priorité est toujours le projet agricole ; puis nous arrivons avec une solution complémentaire en agrivoltaïsme. 

A Wierde, nous avons développé le projet agricole avec l’Institut de Conseil et d’Etudes en Développement Durable (ICEDD). Nous avons discuté avec le propriétaire exploitant. Il n’était pas intéressé à participer lui-même au projet mais nous pouvons lui louer le terrain, ce qui lui assure un revenu locatif. Ensuite, nous avons conclu un partenariat avec Beelgium, un apiculteur professionnel basé à Isnes (Gembloux). Ils disposent de 450 colonies d’abeilles et ils essayent d’augmenter leur production de miel mais l’accès à la terre est difficile. Par ailleurs, ils travaillent avec un agriculteur local qui fait de l’élevage ovin bio et qui cherche lui aussi un accès à la terre. 

Nous leur donnons donc un accès gratuit à la terre, où ils installeront leurs ruches et feront paître leur moutons (illustration photo ci-dessous). Ils vont ensemencer de la luzerne, une plante mellifère qui résiste bien à la sécheresse et fleurit longtemps, et qui a une haute valeur fourragère. Sous les panneaux solaires, ils planteront du trèfle, une plante mellifère et à haute valeur fourragère qui pousse bien à l’ombre. 

Beelgium, une entreprise de production de miel et de pollens, pourra faire pousser des fleurs sur le terrain, tandis que Ether Energy produira de l’électricité solaire. Un bel exemple de projet gagnant-gagnant. 

Les ruches seront installées durant la floraison, d’avril à juillet, puis seront enlevées pour laisser place aux moutons, de mi-juillet à mars. 

Beelgium pourra ainsi produire 150 kg de miel par hectare, en circuit court. Tandis que l’éleveur pourra élever en moyenne 10 brebis par hectare. 

Des gouttières seront installées le long des panneaux solaires, afin de récolter l’eau de pluie. Les brebis pourront ainsi s’abreuver et, en cas de forte chaleur, s’abriter à l’ombre sous les panneaux. 

Le projet soutient donc deux filières agricoles en difficulté. N’oublions pas que la Belgique importe principalement du miel chinois industriel ; tandis que la viande ovine est importée à 80% principalement depuis le Royaume Uni et la Nouvelle Zélande. Ici, nous aidons des filières locales. Nos terrains sont par exemple déjà clôturés – pour une question d’assurance -, ce qui évite un coût pour l’éleveur. 

En échange, Beelgium assure l’entretien du terrain : éviter la présence de végétaux sur les panneaux, tailler la haie pour éviter un ombrage, … 

Par ailleurs, cette plaine fleurie a un effet positif sur la biodiversité, avec un retour d’insectes par exemple, et permet d’éviter les phénomènes d’érosion, dont on a connu les conséquences dramatiques lors des inondations cet été.  

Et au final, les deux activités combinées offrent une productivité augmentée par rapport à des champs uniquement dédiés à une culture ou à la production électrique. 

Et quelles sont les caractéristiques de l’installation agrivoltaïque ? 

A Wierde, nous avons optés pour des panneaux surélevés monofaciaux, fixes et orientés sud à 25°. De manière générale, des trackers sont souvent plus intéressants mais ici nous sommes dans une cuvette qui a un effet d’ombrage Est-Ouest. 

Les rangées sont espacées de 4 mètres c’est-à-dire un espacement double, pour laisser de la place et du soleil au projet agricole. Cette configuration est évidemment moins intéressante qu’un champ solaire, où les rangées sont très rapprochées. 

Mais comme nous sommes sur un site de 13,8 hectares, nous atteignons une capacité installée de 10 MWc (illustrations ci-dessous), ce qui est suffisamment rentable en injection pure sur le réseau. La productivité photovoltaïque se situe entre 950 et 1050 kWh par kWc pour ce projet. 

Projet agrivoltaïque de Wierde. Simulation en image de synthèse. © Ether Energy
Projet agrivoltaïque de Wierde. Simulation en image de synthèse. © Ether Energy

Quand prévoyez-vous une mise en production ? 

En cas d’avis favorables de l’administrateur délégué de la Région wallonne et du collège communale – attendus d’ici fin octobre -, nous lancerons un appel d’offre pour le matériel puis nous travaillerons sur le montage financier et, enfin, la construction proprement dite. Nous visons une mise en production début 2023. 

Vous avez également un projet agrivoltaïque à Achênes près de Ciney. Travaillez-vous sur le même modèle ? 

C’est un peu différent. Nous louons aussi un terrain à deux agriculteurs exploitants mais nous collaborons avec la commune de Ciney. Celle-ci a lancé un appel aux agriculteurs locaux et nous avons 10 jeunes candidats pour y élever des moutons sur 6 parcelles. 

Nous nous intégrons dans un écosystème local car il y a un abattoir à Ciney avec une nouvelle ligne d’abatage ovins. Il y a également de nombreuses boucheries à Ciney. Auparavant, les bêtes étaient transportées jusqu’en France pour l’abatage puis ramenées en Wallonie. Ici nous sommes en circuit court, grâce à la participation des acteurs locaux. 

Les projets agricole et agrivoltaïque sont en cours de définition.

Vous avez reçu un soutien de la Société régionale d’Investissement de Wallonie (SRIW) pour développer un programme baptisé Wallonie.solar. En quoi consiste-t-il ? 

En effet. La SRIW cherchait des acteurs capables d’accélérer la transition énergétique, dans le contexte de la sortie du nucléaire en Belgique et du Green deal européen. 

Elle avait déjà beaucoup investi dans l’éolien, y compris offshore, et dans le photovoltaïque en toiture et donc en autoconsommation, mais jamais dans les centrales photovoltaïques d’utilité publique. 

Nous leur avons donc proposé un partenariat public-privé. 

L’objectif est de développer des champs photovoltaïques eco-responsables pour un minimum de 250 MWc à l’horizon 2025, produisant l’équivalent de la consommation électrique de 130.000 familles wallonnes. 

Le photovoltaïque au sol est la source d’énergie renouvelable la moins chère pour le citoyen et permet une cohabitation harmonieuse avec le paysage, l’agriculture et la biodiversité. Les champs Wallonie.solar sont conçus avec des techniques zéro béton, démontables et recyclables. 

Nous explorons différents types de terrains : industriels, friches, décharges ou lacs artificiels, zones agricoles, parkings et hangars. 

Nous sommes également impatients de voir se développer les Communautés d’énergie et les Zonings à Energie Locale DurAble (ZELDA), qui permettront des productions solaires en injection sur le réseau avec un partage locale de l’électricité entre plusieurs consommateurs.

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Prévoyez-vous un financement citoyen ? 

Oui. Cela fait partie de notre accord avec la SRIW. Nous proposons un financement participatif quand le projet est accepté, ce qui est moins risqué pour le citoyen. 

Cela peut se faire sous forme de crowdfunding ou de coopérative citoyenne locale. 

La formule que nous préférons, c’est l’emprunt subordonné, qui comporte moins de risque car, en cas de problème, les citoyens sont remboursés avant les actionnaires. Et l’emprunt offre un niveau de rentabilité similaire à celui d’une part de coopérative. 

Certains acteurs s’inquiètent de la multiplication des centrales solaires dans les zones agricoles, y compris en agrivoltaïsme. Que leur répondez-vous ?

En fait, 44% du territoire wallon est en zone agricole, soit 742.169 ha. Si tout le photovoltaïque au sol
du Plan Climat Énergie était réalisé en zone agricole, l’occupation serait de moins de 0.1%.

En Flandre, la KU Leuven développe un projet-pilote d’agrivoltaïsme sur un verger de poiriers. Plus d’infos : Nl Fr.
Dans son plan de relance économique, l’Italie va consacrer 1,1 milliard € à l’agrivoltaïsme et 2 milliards € aux Communautés d’énergie et au stockage. Plus d’infos : PV-magazine.fr ENEA