La France s’ouvre à l’autoconsommation collective

La France a adopté un cadre réglementaire qui permet l’autoconsommation collective au sein d’un bâtiment ou d’un quartier. Une réelle solution d’avenir qui devrait inspirer la Belgique. Mais la mise en œuvre n’est pas sans embuches. Explications de Mélodie de l’Epine (HESPUL).

La France connaît actuellement un débat riche et inspirant sur la mise œuvre de l’ordonnance du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité. Ce nouveau cadre réglementaire – ratifié en février 2017 – ouvre la possibilité aux installations renouvelables de moins de 100 kW de disposer d’une autoconsommation collective au sein d’un immeuble, un lotissement ou un quartier en aval d’un même poste de distribution.

Telle que prévue en France, l’autoconsommation collective permet de bénéficier de l’effet de foisonnement d’usages électriques d’acteurs différents (résidentiel, bureaux, école, commerce, …) qui se trouvent en aval d’un même poste de distribution électrique. Cela  permet une autoconsommation «naturelle» beaucoup plus importante que dans le cadre d’une vision sur un bâtiment unique, à coût faible. En effet, ce haut taux d’autoconsommation permet de réduire fortement les besoins d’outils de pilotage ou de batteries.

Cependant, le récent arsenal réglementaire encadrant la mise en œuvre comporte des dispositions complexes et très restrictives, qui risquent de freiner les projets. Explications de Mélodie de l’Epine, coordinatrice du pôle photovoltaïque de l’association HESPUL (photo ci-dessous).

Michel Huart (Renouvelle) : Le cadre réglementaire donne également un statut à l’autoconsommation collective. Quelle en est sa définition ?

Mélodie de l’Epine (HESPUL) : C’est le fait de réunir, au sein d’une même personne morale, un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs, en aval d’un même poste de distribution. La production sera défalquée sur la facture des consommateurs, selon une clé de répartition décidée entre eux.

Le problème, c’est que la clé est basée sur un pas de temps d’une demi-heure. Or l’idée de la consommation collective, c’est de bénéficier d’un foisonnement des usages au sein d’un quartier – résidentiel, bureaux, commerces, … – et de consommer l’équivalent de la production. Mais pas sur l’instantané. On a besoin du foisonnement de temps pour éviter les dérives des pics de production sur l’instantané.

M.H. : Vous auriez plutôt choisi quel pas de temps ?

M. de E. : C’aurait été plus intéressant de prendre sur une demi-journée ou une journée. Cela aurait permis d’équilibrer la consommation entre les commerces – qui consomment surtout en journée – et les habitations, plutôt occupées le soir.

M.H. : Comment se calcule la clé de répartition entre consommateurs ? Sur base de compteurs synchronisés ?

M. de E. : Toute les demi-heures, la clé de répartition est appliquée, sur base des consommations et des productions mesurées.

Pour ce faire, on utilise les compteurs communicants Linky, en cours de déploiement en France et qui seront généralisés d’ici 2020. Il s’agit simplement de poser un algorithme sur les index des compteurs qui mesurent les flux avec un pas de  de temps de 10 minutes.

Une famille qui consomme de l’électricité par exemple le matin entre 7h et 9h et le soir à partir de 16h30 recevra une part de de la production pour ces tranches horaires uniquement et rien en journée c-à-d quand ils sont à l’école ou au travail et ne consomment pas.

Si nous avons 3 consommateurs pour une installation et que la clef de répartition est de 1/3, chacun recevra 1/3 de la production. Mais que se passe-t-il quand un des consommateurs ne consomme pas tel jour? Cela devient un excédent et le producteur doit le vendre sur le marché. Cela veut aussi dire que ce consommateur n’aura pas eu d’autoconsommation ce jour-là, contrairement aux deux autres consommateurs.

M.H. : Comment se passe la mise en œuvre jusqu’à présent ?

M. de E. : C’est un casse-tête juridique. Nous sommes dans une démarche expérimentale et il n’y a pas encore de réalisations. Ainsi par exemple, il y a des solutions à imaginer sur la manière d’appliquer le TURPE (NDLR : Tarif d’Utilisation du Réseau Publique d’Electricité soit le tarif régulé pour le transport et la distribution) dans le cas de figure de l’autoconsommation collective. Avec le cadre actuel, le risque est de faire payer plusieurs fois la redevance.

Imaginez par exemple un immeuble qui comporte dix logements et deux étages de bureaux et commerces. Le toit est équipé d’une installation photovoltaïque qui injecte sur le réseau. Elle paie l’utilisation du réseau comme si elle vendait la totalité de l’électricité (NDLR : En Belgique, la taxe d’injection est appliquée uniquement pour les installations dont la puissance de raccordement est supérieure à 10 kVA. Elle est de 0,09644 c€/kWh). Les consommateurs dans l’immeuble paient également une contribution pour l’utilisation du réseau. On va réduire leur facture avec leur part de production. Mais du coup, ils sont considérés comme producteurs et risquent de devoir payer aussi la contribution de production.

Pour une vente en surplus, cela représente 20€ TTC par an. Et si on doit payer 20€ par an par consommateur en plus du TURPE du producteur, l’équilibre économique de l’opération d’autoconsommation collective devient très fragile voire impossible. En autoconsommation individuelle, on ne paye qu’un TURPE « consommation et production », alors qu’en collectif on paierait autant de fois qu’il y a de consommateurs. C’est pourquoi les acteurs du marché discutent pour l’instant d’un micro-TURPE pour l’autoconsommation collective.

M.H. : Comment voyez-vous l’avenir de l’autoconsommation collective en France ?

M. de E. : Là où je vois une réelle opportunité, c’est dans un logement social. Le bailleur social investit dans une installation d’autoconsommation collective et facture l’électricité solaire à ses locataires à un prix très compétitif –à 5 centime le kWh par exemple. Les locataires voient ainsi une baisse de leur facture énergétique. Le bailleur peut également vendre les excédents sur le marché ou les affecter à d’autres bâtiments proches qu’il gère. C’est un modèle social qui a beaucoup d’avantages. Et on évite les contraintes du type « mon installation ne doit pas produire plus que ce que mes consommateurs consomment ».

Le quartier Gelbes Vierrel Hellersdorf à Berlin est l’une des réalisations les plus importantes d’autoconsommation collective en Allemagne. La France étudie ses premiers projets. A quand la Belgique ?