Namur: le premier projet agrivoltaïque de Belgique produira avant la fin de l’été.

Agrivoltaïsme à Namur

EtherEnergy a implémenté un premier vaste projet agrivoltaïque en région namuroise et démarrera l'injection de l'énergie produite d'ici la fin de l'été.

A l’heure où la Ville de Namur vient d’annoncer un nouveau projet de champ photovoltaïque à Salzinnes, le précédent, premier vrai projet du genre en Belgique, devrait commencer à injecter de l’électricité cet été…à Wierde, une autre commune namuroise. Nous vous en parlions il y a quelques temps, mais nous avons voulu en savoir plus. Et surtout analyser les différentes phases d’un tel projet. Et ses raisons d’être. Rencontre avec Alex Houtart, Partner chez EtherEnergy, le porteur du projet qui n’en est pas à son coup d’essai…du moins en Belgique.

Renouvelle : Alex, bravo pour ce nouveau projet qui voit enfin le jour. Cela n’a sans doute pas été simple ?

Alex : Non en effet. Même si, au final, les principaux obstacles que nous redoutions se sont révélés en fait transformés en leviers plus qu’autre chose. Depuis le début, tous les freins qu’on a eus, étaient en grande partie dus à une mauvaise compréhension de la part de nos interlocuteurs qui pensaient que nous allions couvrir une zone agricole avec des panneaux solaires. Grâce à une ouverture de la discussion au cours de rencontres franches et à des explications détaillées, ces freins ont été convertis en enthousiasme. Nous devons ainsi noter le soutien remarquable de la ville de Namur par exemple qui s’était révélée frileuse au début mais a su rapidement voir une belle opportunité dans l’intérêt général. Il en a été de même avec la direction Nature et Forêt. Ici aussi, nous avons dû leur montrer que l’on apportait quelque chose à la biodiversité et l’écologie sur place et que nous ne « confisquions » finalement pas des terres nourricières. En effet, et c’est un premier élément important à prendre en compte, c’est que pas un mètre carré n’est retiré à l’agriculture. L’ensemble du projet et du terrain restent d’abord et surtout agricoles. On y couple une plus-value (écologique et économique) environnementale certes, mais tout projet agrivoltaïque (du moins chez nous) est d’abord pensé sous un angle agricole plutôt qu’un angle énergéticien. Une fois que l’on a compris ça, il y a plein d’applications, possibles. Même si bien sûr, y faire de l’élevage sera sans doute plus intéressant et facile que de la culture.

Renouvelle : Et avec le gestionnaire de réseau de distribution ? Sans doute, cela n’a pas été simple non plus ?

Alex : Nous avons eu en effet beaucoup de discussions aussi avec Ores. Autour d’une chose principalement : le cout de connexion. C’est sans doute le cout le plus important de l’ensemble car il est défini en fonction de la distance par rapport à la sous-station. C’est même cela qui rend le projet rentable ou pas. Car la rentabilité électrique au mètre carré n’est pas la même que l’on soit en toiture ou sur champs. En effet, en agrivoltaïsme, on retire une rangée de panneaux sur deux, voire deux sur troispar rapport au PV classique.  

Renouvelle : Il me semble avoir vu que la cabine n’était pas si loin que cela des panneaux.

Alex : Oui et non. Nous devions trouver le chemin de connexion au plus court. Le champ est à 800 m de la sous-station mais il n’y a pas de route carrossable entre les deux. On aurait pu faire une petite tranchée. Mais Ores nous a dit que ce ne serait pas possible car, en cas de souci, ils n’ont pas d’engins adaptés pour ce genre de terrain et pour pouvoir y intervenir. Résultat, on s’est retrouvés avec un tracé de de connexion facturée de 3 km au lieu des 800 m. En revanche, ils ont fait un travail intense sur l’orientation client, et ce, dès que le tracé a été validé. Ils ont été à nos côtés, ils ont bien intégré le projet, réarrangé les plannings pour pouvoir suivre l’évolution du chantier. Bravo à eux et à la société Perpetum, qui a assuré le chantier.

© EtherEnergy

La nature édicte les règles…

Renouvelle : Combiner un chantier pareil avec les aléas de la nature en matière de culture, d’élevage et de ruches, est-ce que cela a été facile ?

Alex : Au niveau des moutons, vu qu’on est un peu en avance par rapport au planning prévu, (avec la nature et les animaux, on découvre à chaque étape), il a fallu jongler pour imbriquer au planning la saisonnalité de l’agnelage, des semis de plantes mellifères et… les échéances d’un chantier électrique. Ainsi, par exemple, quand on met des panneaux, il est plus compliqué de mettre des semis en dessous des panneaux une fois qu’ils sont mis. Par contre, entre les panneaux, on peut passer avec un tracteur pour réensemencer.  Comme il faut préparer le terrain pour nourrir les agneaux et moutons dès leur arrivée- de même avec les plantes mellifères pour les abeilles – on a effectué des semis sur les zones des panneaux avant de les mettre. Cela implique qu’on doive attendre que ça soit fait avant d’installer les panneaux là où pour les autres chantiers, on va pour voir installer les panneaux le plus vite. Beelgium (le gestionnaire des ruches) a du aussi adapter sa période de semis des plantes mellifères pour les surfaces sous panneaux parce qu’il y avait encore des passages d’engins de chantier à la période qui aurait été idéale pour ensemencer. Bref, on a du composer avec tout mais en donnant priorité aux composantes naturelles. Rien de simple mais, à terme, le résultat sera là. Les moutons paissent désormais au milieu de panneaux et de fourrage qui pousse bien. Et les abeilles vont bientôt pouvoir butiner. Il ne reste qu’à prévoir l’injection pour cet été et le projet sera complet.

Renouvelle : Et au niveau du cadre législatif, on en est où ?

Alex : Je pense qu’on peut parler d’un nouveau mode de compromis à la belge. D’une part, on a une circulaire qui interdit ce genre de pratique et, de l’autre, le Codt (Code du développement territorial wallon) qui, lui, ne l’interdit pas. On a donc du bousculer un peu les « anti-par-principe ». Et on a commencé par le projet agricole. C’est ce qui nous a permis d’expliquer lors du permis pourquoi on mettait un panneau sur 3 par rapport aux implémentations habituelles et comment on faisait pour maintenir 100% de l’activité agricole.

Renouvelle : Que faudrait-il faire pour éviter ces problèmes réglementaires à l’avenir ?

Alex : Il est clair qu’il faut un cadre normatif. En France par exemple, ils ont très vite mis fin aux projets dits « alibi ». On met 3 moutons pour décorer et on fait un champ photovoltaïque. Ils ont désormais résolu ça avec la loi sur l’accélération de l’agrivoltaïsme qui offre un cadre extrêmement précis. Chose qui n’existe pas chez nous et c’est sans doute là-dessus qu’il faudrait travailler. Car l’interdiction de principe est, dans l’absolu en non-concordance (et donc illégale à notre sens) avec le Codt et avec la règlementation européenne. Mais en outre, elle est non judicieuse avec les objectifs de décarbonation.

Renouvelle : la question que se posent beaucoup : Pourquoi pas sur les toits des fermes plutôt que sur de la terre nourricière ?

Alex : Très bonne question. Soulignons d’abord qu’aujourd’hui en Wallonie, 94% des panneaux solaires sont installés en toiture, ce qui reste la grande priorité. Mais pour atteindre les objectifs du PACE Wallon 2030, il faut quadrupler la vitesse d’installation du photovoltaïque.  Il faut donc continuer les toitures et surtout les compléter par des grandes installations au sol sans quoi il est impossible d’atteindre nos objectifs climatiques.   Ensuite, la réponse est aussi technique : grâce aux panneaux au sol, qui, rappelons-le, permettent de maintenir une activité agricole à 100% sur la terre, l’électricité produite est injectée sur le réseau régional en moyenne tension. A l’inverse, en toiture, on est connectés au réseau local de basse tension, avec tous les problèmes de surtension qu’on voit apparaître lorsqu’il y a trop de panneaux dans la même rue.  Vous imaginez si on en met 4 fois plus ?  Ainsi, le projet de Wierde, c’est l’équivalent de 3.000 toitures. Mais le point d’injection diffusera pour tout le Namurois. Avant d’injecter, on a du avoir l’autorisation et la validation d’Ores quant à la capacité d’absorption de toute cette électricité par Namur. On a aujourd’hui la garantie qu’on ne créera pas de surtension. Si on voulait un projet équivalent à Wierde en toiture, il faudrait 10 hectares de toiture. Le point de rupture, c’est un Méga, soit environ 1 hectare. En général au-dessus d’un Méga, on passe en moyenne tension. Et des granges avec un hectare de toiture bien orienté en Belgique et proche d’un point de connexion en moyenne tension, il n’y en a pas vraiment. L’agrivoltaïsme a donc plus d’une raison d’être.