« La géothermie solaire, c’est 100% d’énergies renouvelables pour un bâtiment performant »

Selon Benjamin Wilkin (APERe), l'application BrugeoTool va stimuler les projets géothermiques à Bruxelles. Combinées au photovoltaïque, les pompes à chaleur pourront chauffer et refroidir des bâtiments basse énergie 100% renouvelables. Il plaide pour des forages totalement subsidiés. Interview.

 

La Région bruxelloise a cartographié les potentialités géothermiques de faible profondeur sur son territoire et l’appli BrugeoTool guidera désormais les professionnels qui souhaitent développer un projet à Bruxelles (lire notre article Une application pour connaître le potentiel géothermique à Bruxelles).

Pour mieux connaître les perspectives de cet outil et de la filière géothermique à Bruxelles, Renouvelle a interrogé Benjamin Wilkin, directeur de l’APERe.

Cet outil change-t-il le contexte de développement de la filière géothermique de faible profondeur à Bruxelles ? 

 

Tout à fait. Bien qu’assez technique à ce stade – et donc peut accessible pour le grand public –, cet outil permet l’accès à l’information pour les professionnels du bâtiment qui souhaitent planifier un projet et estimer l’intérêt de la géothermie en première phase d’analyse. 

Le gisement de chaleur naturel et renouvelable de Bruxelles est maintenant accessible pour être quantifié point par point. 

Il faut espérer que de la publicité soit faite autour de nouveaux projets afin de répandre l’idée, dans le secteur des entrepreneurs et des architectes, qu’il s’agit d’une possibilité à explorer dans leurs projets.

 

Cela peut-il favoriser le développer de réseaux de chaleur à Bruxelles ? 

 

Pourquoi pas. La chaleur remontée du sol peut effectivement être partagée entre plusieurs utilisateurs différents, c’est donc une nouvelle opportunité pour un regard neuf sur les réseaux de chaleur. 

Mais surtout, c’est un nouveau regard sur un des rare gisement renouvelable conséquent que possède une ville-région comme Bruxelles. Si l’on sait que le soleil y est bien présent, que des éoliennes y sont très peu pertinentes par manque de place (oublions les petites éoliennes), qu’il n’y a pas d’hydroénergie et que la biomasse est limitée à la valorisation des déchets organiques,  il est moins commun de souligner que la chaleur du sous-sol nous est accessible et y est déjà stockée. 

Ce gisement nous apporte donc une solution qui, d’une part, nous demande moins de flexibilité que l’électricité renouvelable (dont les sources ont une variabilité plus importante) et qui, d’autre part, peut se contenter de performance énergétique de bâtiment de type basse énergie ou très basse énergie.  

Ce dernier point est crucial car transformer un parc de logement existant entièrement en passif n’est pas possible partout et surtout dans les villes qui possèdent beaucoup de contraintes (rénovation, urbanisme, place, architecture, …).

 

Quels sont les projets réalisés ou en cours qui méritent d’être cités en exemples à suivre ? 

 

Il y a les grands projets, comme le récent hôpital à Delta, mais aussi le siège de Engie à proximité de la gare du Nord par exemple. 

Il y a aussi des plus petits projets bien entendu. 

L’hôpital Delta Chirec compte l’un des 35 puits géothermiques opérationnels à Bruxellles. 

 

A terme, à quelle part du mix énergétique bruxellois la géothermie pourrait-t-elle contribuer ? 

 

Pour répondre à cette question, mieux vaut regarder l’ensemble du système. 

La source a comme avantage d’être disponible, toute l’année, à 10-12°C. Avec une pompe à chaleur, cette température peut être relevée à 35-60°C avec un coefficient de performance de 4 à 5. 

Cela signifie que pour fournir 1 unité de chaleur nécessaire, la pompe à chaleur va consommer un quart à un cinquième d’électricité. 

Pour l’hiver c’est un peu magique car personne n’ignore que nos panneaux solaires produisent moins d’électricité en période hivernale, saison qui concentre les besoins de chaleurs.  

Mais grâce aux principes thermodynamiques de la pompe à chaleur, et pour autant que la pompe à chaleur soit alimentée par des panneaux photovoltaïques, c’est comme si on multipliait leur productivité par 3 ou 4 à un moment où on en a besoin. 

Autrement dit, on pourrait considérer – mais c’est une image – que nos panneaux solaires photovoltaïques pourraient avoir, en hiver, presque la même production utile qu’en été, s’ils sont combinés à un forage géothermique et à une pompe à chaleur dans un bâtiment basse énergie. 

Et comme les pompes à chaleurs peuvent être l’unique source de chaleur dans des bâtiments performants sans êtres passifs, on a là une possible combinaison gagnante pour vivre sur nos propres ressources énergétiques, à un pourcentage très proche des 100% en tout cas. 

Pieux géothermiques

 

Pour y arriver, quels sont les autres freins à lever (technologique, réglementaire, financier, …) pour voir se développer une véritable filière géothermique à Bruxelles ?

 

Le frein de l’accès à l’information vient d’être levé, rappelons cette bonne nouvelle. 

Le frein suivant semble être le coût. En effet, le forage apporte des surcoûts car, à l’inverse des solutions carbonées comme le gaz ou le mazout, il faut créer l’infrastructure d’accès; alors que le réseau de gaz ou les routes pour les camions existent. 

C’est paradoxal, alors que la source est la plus proche de toutes. Comme solution, on pourrait imaginer que, moyennant des conditions de performance du bâtiment (ce qui existe déjà avec la PEB) et le fait de placer des panneaux solaires, les coûts de forage soient totalement pris en charge par les pouvoirs publics.

Sondage à Anderlecht dans le cadre de la cartographie géothermique. 

 

Totalement subsidiés ? Ne serait-ce pas un concurrence déloyale ou favoriser certaines personnes déjà favorisées ?

 

Bonne question. Personnellement, je ne pense pas et cela pour plusieurs raisons. 

INFRASTRUCTURE 

La première, déjà évoquée, est qu’il s’agit avant tout de créer une infrastructure sur un bien commun. Or les sources gaz, mazout et pellets bénéficient, elles, d’un financement commun de leur accès via les réseaux de gaz (payés par tous les utilisateurs) et le réseau routier (payé par tous les contribuables). Pourquoi en irait-il autrement pour une infrastructure permettant l’accès à la chaleur locale ? 

DURABILITE 

La deuxième raison réside dans le fait que la connaissance actuelle dans ces technologies montre que des forages verticaux (la situation diffère fortement pour les capteurs horizontaux) peuvent, souvent mais pas toujours, avoir une durée de vie de plusieurs dizaines d’années. Cela signifie que ce type d’investissement se fait de facto sur plusieurs générations de propriétaires d’un bâtiment. Il dépasse donc l’intérêt individuel court-terme d’un propriétaire ou d’un occupant. 

STOCKAGE 

La troisième raison réside dans le caractère stocké de cette source d’énergie. Y avoir recours, c’est éviter d’autres coûts sociétaux et collectifs, en limitant les besoins de stockage et transport futurs. 

DOUBLE ENERGIE 

La quatrième raison tient dans le fait que, avec un système géothermique combiné à une pompe à chaleur, on peut également rafraîchir les bâtiments en été. Cela permet de recharger le sol en calorie pour l’hiver et de lutter, en étant 100% solaire, contre la surchauffe estivale.  

Ce problème de surchauffe étant à l’avenir un élément de gestions sérieux, au regard des évolutions climatiques observées et attendues, d’autant plus sérieux dans le lieu fortement artificialisé que constitue la ville et les phénomènes d’îlots de chaleur connus. 

Il ne s’agit donc pas que d’un usage hivernal mais aussi d’une solution permettant l’adaptation aux épisodes de canicule.

EFFET LEVIER – SYSTEME ENERGETIQUE 

Enfin, il faut rappeler l’effet d’interdépendance que cette source a sur la performance énergétique (tant pour les besoins en chaleur qu’en froid) et les sources renouvelables locales, ce qui en fait un levier stratégique dans le mix énergétique décarboné de demain, une forme de pièce -clé de voûte- actuellement manquante.