En 2014 et 2015, la croissance économique mondiale a augmenté sans émettre plus de CO2. Ce découplage historique laisse présager un avenir énergétique toujours plus décarbonisé. L’Agence Internationale de l’Energie en dresse le scénario dans son World Energy Outlook 2015, à travers 5 actions clés.
Le World Energy Outlook, publié chaque année par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), fait référence dans le secteur de l’énergie. Ce rapport présente un constat des dernières évolutions et propose des perspectives d’évolution pour tous les types de combustibles fossiles, les énergies renouvelables, le nucléaire, le secteur de l’électricité et l’efficacité énergétique à horizon 2040.
En Belgique, AGORIA et le SPF économie organisent chaque année une présentation du dernier rapport par un représentant de l’AIE. Il s’agit d’un rendez-vous annuel devenu incontournable pour les acteurs du secteur énergétique belge.
Renouvelle était présent à l’exposé de Kamel Ben Naceur (AIE), ce 19 avril 2016 à Bruxelles. En voici 5 points marquants :
(1) Les prix des énergies fossiles sont actuellement très bas ;
(2) L’Accord de Paris sur le Climat engage (quasi) tous les pays dans une stratégie bas carbone ;
(3) Le boom des énergies renouvelables se confirme actuellement et pour l’avenir ;
(4) La demande énergétique mondiale reste en croissance, portée par les pays émergents ;
(5) Le scenario bridge repose sur 5 actions clé appliquées différemment selon la spécificité régionale.
1. Les prix des énergies fossiles sont actuellement très bas
Depuis 2014, les prix du baril de pétrole ont dégringolés de 110 $ à 40 $, voire 30 $ en 2015. Ces niveaux de prix sont le résultat d’une offre de pétrole bien supérieure à la demande, accentué par les productions étasuniennes de pétrole de schiste. L’AIE prévoit cependant que l’équilibre s’inversera en 2017 (Cfr graphe ci-dessous : Medium-Term Oil Supply and Demand).
La chute des prix du baril du pétrole a eu pour conséquence de réduire drastiquement les investissements dans les activités de l’extraction pétrolière, principalement aux Etats-Unis, qui ont divisé par deux leurs niveaux d’investissement.
L’AIE prévoit donc une légère hausse des prix du pétrole dès 2017, mais elle considère le risque de flambée des prix peu probable (NDLR : Sauf évènement géopolitique majeur). En effet, l’équilibre offre/demande sera plus ou moins maintenu jusqu’en 2020 par le retour de l’Iran sur les marchés internationaux et par la capacité des Etats Unis à redémarrer rapidement leur production de pétrole de schiste.
En ce qui concerne, les autres ressources énergétiques fossiles, les prix du gaz naturel et du charbon sont restés aussi à des niveaux les plus bas de ces dernières dix années.
2. L’Accord de Paris sur le Climat engage (quasi) tous les pays dans une stratégie bas carbone ;
Avec 195 pays signataires, 98 % des émissions actuelles de CO2 sont concernés par l’Accord de Paris (lire notre article Climat : 9 raisons d’être optimiste). Cet accord universel place les politiques climatiques au cœur des perspectives énergétiques. Etablir des scénarios limitant à 2°C (voire 1,5 °C) l’augmentation de la température moyenne mondiale est une exigence politique devenue unanime.
L’AIE constate avec satisfaction qu’en 2015, le découplage entre croissance économique mondiale et émissions de CO2 se confirme pour la deuxième année consécutive. Les émissions annuelles de CO2 se sont maintenues aux alentours de 32 milliards de tonne depuis 2013 alors que la croissance économique a été de +3,1% en 2015. Ceci laisse présager un réel changement de tendance guidant l’avenir énergétique mondial vers davantage de décarbonisation. Dans cette optique, l’AIE a établi le scénario « Bridge » qui, au travers de 5 actions clés, annonce un pic des émissions de CO2 en 2020 et ensuite une baisse progressive des émissions de CO2 (voir le point 5, ci-dessous).
3. Le boom des énergies renouvelables se confirme actuellement et pour l’avenir
Dans le secteur de la production d’électricité, les nouvelles capacités se retrouvent principalement dans les énergies renouvelables avec, en 2015, plus de 120 GW de puissances additionnelles estimées par l’AIE et confirmées par le récent rapport d’IRENA (lire notre article 2015, année record pour l’énergie renouvelable dans le monde). Cette croissance est portée par l’éolien et le solaire. IRENA confirme ces statistiques. Ce phénomène ne se limite pas à l’Europe, mais concerne toutes les régions du monde, Chine et Etats Unis en tête (lire nos articles Le marché européen de l’électricité est porté par le renouvelable et Perspectives 2020 du marché mondial des renouvelables).
Ainsi, l’AIE estime que d’ici 2030, le renouvelable sera le premier vecteur énergétique utilisé pour la production électrique. Actuellement, l’ensemble des renouvelables occupent la deuxième place après le charbon et avant le gaz naturel et le nucléaire. Le renouvelable détrônera le charbon dès 2030. En 2040, la production électrique mondiale issue des énergies renouvelables dépassera les 13.000 TWh, soit plus du double de la production de 2014.
La croissance du renouvelable permettra de répondre à l’augmentation estimée de la demande d’électricité, tout en limitant les émissions de CO2 du secteur électrique. C’est l’un des éléments qui permet de présager le découplage entre la demande d’énergie et les émissions de CO2.
L’AIE constate par ailleurs la baisse des coûts de revient des technologies renouvelables et d’efficacité énergétique. Sur la période 2008-2014, l’éolien onshore a réduit de 40% son coût d’investissement, le solaire photovoltaïque de 60%, les batteries de 65% et les LED de 90%. Des évolutions qui permettent progressivement de remplacer les solutions énergétiques basées sur les réserves énergétiques coûteuses et ainsi d’empêcher leur extraction (lire notre article Pétrole : produire ou enfouir ?).
4. La demande énergétique mondiale reste en croissance, portée par les pays émergents
Pour les trente années à venir, tous les scenarios du World Energy Outlook présentent une demande mondiale de l’énergie en croissance. La demande des pays de l’OCDE reste stable, la Chine s’inscrit dans une réduction progressive de la croissance qui se stabilisera vers 2030 et le reste du monde présente une demande en croissance. Cette croissance est légitime pour répondre aux besoins d’accès aux services énergétiques et aux perspectives de développement économique. Ainsi, en terme d’accès à l’électricité, REN21 estime dans son rapport 2015 qu’un milliard de personnes, soit 15% de la population mondiale, n’y ont pas accès. Ces faibles taux d’électrification sont surtout constatés en Afrique sub-saharienne (55%) et en Asie du sud (34%).
Le World Energy Outlook 2015 consacre une analyse détaillée de l’Inde, aujourd’hui 3ème puissance économique mondiale et abritant 1/6ème de la population mondiale. L’Inde représente la part de croissance de la demande d’énergie la plus importante à l’horizon 2040. En effet, l’Inde souhaite accroître son taux d’électrification. Aujourd’hui, un indien sur cinq n’a pas accès à l’électricité. Et des politiques sont mises en œuvre pour accélérer la modernisation du pays et développer sa base manufacturière grâce au programme « Made in India ». Une croissance de la demande qui se concrétisera par une forte augmentation de la consommation de charbon, de pétrole et de production solaire photovoltaïque
5. Le « scenario bridge » repose sur cinq actions clés appliqués différemment selon la spécificité régionale
L’AIE propose un scenario mondial en réponse à l’Accord de Paris intitulé « The bridge strategy ». Le scenario repose sur 5 « key actions » :
- Accroître l’efficacité énergétique dans les secteurs de l’industrie, du bâtiment et des transports.
- Réduire progressivement l’exploitation des centrales à charbon les moins performantes et interdire d’en construire de nouvelles, à moins qu’elles ne soient équipées d’un système de capture et de stockage du CO2 (CCS).
- Accroître les investissements dans les énergies renouvelables du secteur de l’électricité.
- Supprimer progressivement les subventions à la consommation des combustibles fossiles.
- Réduire les émissions de méthane lors de la production de pétrole et de gaz.
Pour l’Europe et la Chine, l’efficience énergétique et les renouvelables sont les actions principales. Pour les pays producteurs, la lutte contre les fuites de méthane et la réduction des subsides à la consommation sont des mesures centrales. Enfin, l’usage du charbon dans les centrales électriques ne pourra se faire qu’avec des nouvelles technologies énergétiquement plus efficientes et accompagnées de CCS.