Pour Grégoire Wallenborn (IGEAT), certains types de consommateurs sont prêts à modifier leur consommation d’électricité pour soulager le réseau au bon moment. Etude et retours d’expérience à l’appui.
Une étude récente de l’IGEAT propose quatre profils-types du consommateur wallon d’électricité : « l’économiste », « l’écologiste », « le technicien » et « le pondéré ». Certains d’entre eux seraient prêts à modifier leurs modes de consommation pour soulager le réseau électrique en cas de pics de consommation. Si on leur donne les bons arguments.
Grégoire Wallenborn (photo), co-auteur de la recherche avec Georgia Gaye, s’en explique.
Jean Cech (Renouvelle) : Y aurait-il des consommateurs plus « flexibles » que d’autres au niveau résidentiel ?
Grégoire Wallenborn (IGEAT) : Dans la stratégie européenne en la matière, on évoque souvent des « consommateurs actifs » qu’il conviendrait d’activer. Mais à regarder les textes de plus près, on se rend compte qu’on y fait essentiellement référence à des consommateurs qui comparent les prix et changent régulièrement de fournisseur. Ce qui donne le sentiment qu’on considère que c’est le seul aspect sur lequel les consommateurs résidentiels auraient une certaine prise sur la réalité de la gestion électrique. Or, en réalité, il y a une grande diversité parmi les consommateurs. Et parmi eux, il y en a au moins une partie qui est disposée à regarder le réseau autrement et à envisager une certaine flexibilité dans sa consommation d’électricité. Il faut cesser de parler du consommateur d’électricité de manière générale sans faire de différence entre eux. Une des volontés de l’étude était de montrer la variété et la diversité des usagers.
J.C. : Vous proposez donc une typologie qui permet d’aller chercher les profils les plus ouverts et les plus disponibles à une démarche d’effacement…
G.W. : C’est le principe, oui. Mais pour y arriver, cette recherche demanderait à être affinée. A ce niveau, l’échantillon est très biaisé dans la mesure où l’étude s’intéresse a priori aux utilisateurs de pompes à chaleur, qui ont installé ce système dans des maisons qu’ils ont fait construire récemment. Elle demanderait donc à être élargie à l’ensemble de la population et à des préoccupations de consommation périphériques. Cela pourrait se faire assez aisément via un questionnaire en ligne qui s’inspirerait de cette première recherche et des comportements observés à partir des premiers entretiens.
J.C. : L’ennui, c’est qu’il apparaît aussi clairement dans votre étude que la confiance des consommateurs vis-à-vis des acteurs du réseau n’est pas très grande…
G.W. : Disons plutôt qu’elle est variable. C’est vrai que, globalement, on constate qu’elle n’est pas très forte. Pour autant que nos interlocuteurs soient en mesure de faire la différence entre gestionnaires de réseau, fournisseurs, producteurs, etc. Une fois encore, il n’y a pas UN consommateur. Ce qui ressort, par exemple, parmi les gens qui sont le plus disposés à faire quelque chose pour soulager le réseau en cas de besoin – globalement les « écologistes » et les « pondérés » – c’est qu’effectivement la confiance dans les acteurs du réseau est moindre. S’intéressant de manière plus intensive au fonctionnement du système électrique, ils en ont conclu qu’il ne fonctionnait pas très bien. Ils ont, en gros, le sentiment qu’une série d’acteurs se révèlent très opportunistes et qu’ils doivent s’en méfier.
J.C. : L’un des profils se distingue-t-il néanmoins en tant que cible privilégiée pour celui qui entendrait dégager une réserve de flexibilité au niveau résidentiel ?
G.W. : Il n’y a malheureusement pas de réponse simple à votre question. Ainsi, les « économistes » se retrouvent dans la tranche de ceux qui, en moyenne, consomment le plus ; ce qui leur donne plus de réserve de flexibilité. Mais il apparaît aussi qu’ils seront les plus difficiles à convaincre. Les « écologistes » ont déjà fait pas mal de chemin en direction d’une maîtrise de leur consommation et seraient les plus sensibles aux arguments de flexibilité… pourvu que l’interlocuteur que vous évoquez arrive à établir une relation de confiance avec eux. Dans un marché aussi compliqué que celui de l’électricité actuellement, il aura du mal. Si l’on veut que les usagers s’impliquent dans la gestion du réseau, il conviendrait de simplifier la situation.
Mon sentiment, c’est qu’aujourd’hui, on est un peu coincé par la complexité qui règne au niveau des acteurs. Depuis la libéralisation du réseau, c’est la foire d’empoigne. On le voit en France où on parle d’effacement diffus. Par exemple, le système Tempo (NDLR : tarif EDF variable) est un système cohérent et qui fonctionne bien tant que les métiers de gestionnaire du réseau et de fourniture ne sont pas séparés. Mais la cohérence disparait rapidement parce que ce système est un instrument de gestion du réseau et qu’il ne convient pas à un fournisseur. D’un autre côté, Voltalis, qui est un agrégateur d’effacement, est apparu pour offrir un service de flexibilité utile à la gestion du réseau, mais il est entré en conflit avec les fournisseurs puisque l’effacement capte de la valeur sur le dos de ces derniers. En effet, en évitant une consommation à certains moments, il permet d’éviter la congestion locale du réseau et se fait rétribuer pour cela, mais supprime du même coup des revenus pour les fournisseurs.
J.C. : Quels sont néanmoins les arguments qui sont le plus susceptibles de convaincre les usagers ?
G.W. : Je serais tenté de vous répondre avec une pointe de provocation : la congestion, la menace de délestage, le black out… Il faudrait que la menace se concrétise. Il faudrait que la population soit confrontée à la réalité du black out et tout ce que cela implique dans son quotidien ! Plus sérieusement, je me souviens de toutes ces discussions qui ont eu lieu l’an passé autour du plan de délestage. Cela a eu un véritable effet didactique en amenant les gens à se rendre compte, concrètement, de l’existence du réseau et de son fonctionnement. C’est comme cela qu’émergeront les nouvelles significations du réseau que j’appelle de mes vœux. Face à la menace du black out, des gens se sentiront réellement prêts à aménager leur mode de consommation, même s’ils ne sont pas directement concernés par les délestages proprement dits.
J.C. : Assez pour amener les plus convaincus à modifier leurs comportements de consommation ?
G.W. : Pas de manière récurrente, sans doute. Parce que ceux qui sont prêts à s’engager n’ont pas le sentiment que les gens autour d’eux, leurs voisins, leurs amis, y sont prêts, eux aussi. Il manque une impulsion collective. On a plein d’exemple à l’étranger qui montrent qu’à partir de cela, les choses se mettent en place relativement naturellement. En Région PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur), en hiver, il y a des appels de ce genre. Et la réponse est positive.
Je le répète, tant qu’on n’est pas passé par l’expérience grandeur nature, on ne pourra pas connaître le véritable potentiel de mobilisation – même si mes analyses me font penser qu’il est plus grand que ce qui est généralement supposé. J’ai la conviction qu’on peut créer un public disponible en cas de besoin, pour contribuer à soulager le réseau.
Le potentiel est du côté des « écologistes », si on trouve les arguments qui leur parlent : le renouvelable, l’éthique de fonctionnement, les perspectives de développement durable, etc. Les « pondérés » seront plus sensibles aux aspects « solidarité des usages », « communauté », « interdépendance des activités ». Tant qu’on est dans le schéma traditionnel de l’énergie de stock, tout cela est invisible.
Il faut arriver à démontrer que ces nouvelles interdépendances vont arriver, qu’elles sont inéluctables et que, plus on va dans cette direction, mieux on se portera. Car l’avenir est là.
J.C. : On n’en prend pas vraiment le chemin…
G.W. : Je crois, au contraire, qu’on s’en rapproche inéluctablement. Je suis très intéressé par le mouvement de remunicipalisation du réseau électrique qui émerge depuis quelques années en Allemagne. De véritables communautés énergétiques apparaissent à travers des mouvements coopératifs qui prennent en charge, peu à peu, une reconfiguration du réseau. Elles mettent en place des Conseils de l’énergie réunissant des citoyens pour travailler sur les pratiques, la tarification, la précarité énergétique, etc. Cette ébauche encore balbutiante de réappropriation des réseaux électriques ouvre réellement des horizons passionnants.
J.C. : Encore faudrait-il que le réseau s’y montre disposé…
G.W. : Le grand enjeu de l’évolution des réseaux, se situe effectivement au niveau de ses acteurs. Aujourd’hui, c’est très clair : ce sont essentiellement des ingénieurs et des économistes qui définissent ce qu’est le réseau. Pour quelqu’un comme moi, qui recherche systématiquement l’interdisciplinarité, c’est très interpellant. Les approches dominantes me paraissent réductrices. Pour dessiner les réseaux du futur, je voudrais que les équipes d’ingénieurs et d’économistes, intègrent des géographes pour étudier les questions d’échelle territoriale, des sociologues capables d’apporter leurs connaissances sur les usages de l’énergie parmi différents groupes sociaux, des économistes non strictement financiers pour intégrer d’autres enjeux de type économique, des écologistes pour incorporer la dimension climatique et la question des ressources minérales, etc.
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