En Europe, les émissions de CO2 dues au transport routier ont augmenté de 26% entre 1990 et 2008. Les efforts européens tentent de ralentir cette tendance, en agissant sur les technologies, l'aménagement du territoire et les modes de vie. Quelle contribution positive peut-on attendre de la Belgique ?
Janvier 2015, un nouveau Salon de l’Automobile – le 93ème – ouvre ses portes à Bruxelles. Un événement phare pour le monde des transports et le public. Son organisateur, la Febiac, espère dépasser le record de 2013 : 385.000 visiteurs. De quoi engorger une fois de plus le ring de Bruxelles pendant une dizaine de jours. Les quelques 12.000 places de parking disponibles autour du Heysel ne seront pas de trop. Les files promettent d’être interminables. Pourtant, une ligne de métro (6), quatre lignes de tram (7, 51, 3, 93) et deux lignes de bus (84, 88) peuvent vous déposer à quelques centaines de mètres de l’entrée du Salon. Et pour la plupart, celles-ci desservent également l’une des trois principales gares ferroviaires de la capitale. Une vraie caricature de la mobilité à la belge. Même là où le simple bon sens implique le recours aux transports collectifs, la voiture particulière reste reine. A fortiori, lors des grands événements annuels qui lui sont consacrés. Même si 20% des émissions de gaz à effet de serre (GES) lui sont clairement imputables et que le coût de nos célèbres embouteillages (Bruxelles est au top en la matière !) se chiffrent en millions d’euros. Or le transport constitue un des trois grands postes de consommation d’énergie et d’émissions de GES à juguler de toute urgence.
Durcissement des normes européennes
Paradoxalement, le Salon de l’Auto se présente comme la vitrine des plus récents efforts technologiques consentis par le secteur automobile pour rendre la voiture et les véhicules utilitaires plus propres. On y mesure concrètement l’impact des normes européennes qui ne cessent de se durcir. Le dernier tour de visse en date a été donné début 2014 en imposant aux 28 Etats membres d’atteindre des normes d’émissions inférieures à 95 grammes de CO2 par kilomètre pour les nouvelles voitures mises sur le marché d’ici 2020-2022 (les normes actuelles imposent 130g/km). Les constructeurs automobiles savent désormais que les voitures neuves qu’ils vendront sur le territoire européen devront émettre 27% de GES en moins que celles qu’ils commercialisent aujourd’hui, soit 95g de moins par kilomètre.
Depuis quelques années, les normes européennes imposent au secteur une course incessante à l’innovation (pour un coût annuel de quelques 32 milliards € !), avec un certain succès. En 2004, les émissions de CO2 étaient de 154g/km en moyenne au niveau européen. En 2012, elles atteignaient 127 g/km. Et sur une période de 13 ans, la consommation moyenne des véhicules à essence a diminué de près de 12%.
Fiscalité : un effet de levier pour les voitures neuves
Cependant, à y regarder de plus près, on constate d’étonnantes disparités entre les différents Etats membres (voir graphique ci-dessous). En 2013, les voitures neuves vendues chez nos voisins des Pays-Bas affichaient la meilleure performance européenne (109,1 g/km) tandis que l’Allemagne se classait parmi les moins performants (136,1 g/km) ; les ventes de la Belgique se situant dans la moyenne (124,0 g/km).
Emissions moyennes de CO2 des voitures neuves en 2013, selon un classement établi par l’association européenne Transport & Environment. La fiscalité en faveur de la voiture propre est classée comme suit: Vert: fiscalité très incitative. Jaune: fiscalité moyennement incitative. Rouge: fiscalité peu ou pas incitative.
Les experts ont rapidement établi un lien entre les systèmes de taxation/incitation et les résultats obtenus. Et de souligner le lobbying écrasant orchestré par l’industrie du transport routier pour contrer la pression européenne.
Du côté du transport de marchandises (camions et poids lourds) – constituant un quart de la consommation d’énergie et des émissions de GES imputables au transport -, les départements R&D ont également investi pour améliorer les performances énergétiques. Mais les constructeurs – qui ne sont qu’une poignée à contrôler près de 100% du marché – semblent s’être tout simplement entendus depuis près de quinze ans sur un calendrier commun de mise en œuvre ‘ralentie’ des innovations développées ! En novembre dernier, l’Europe a tapé sur la table en dénonçant un cartel des poids lourds et en annonçant des amendes record.
En Belgique, une voiture sur deux est une voiture de société. Le régime fiscal en leur faveur représente pour l’Etat belge un manque à gagner de l’ordre du milliard d’euros par an, selon l’OCDE. Dave Sinardet, politilogue à la VUB, plaide pour une suppression de ce régime fiscal avec, en parallèle, un allègement de la fiscalité sur le travail. Cette demande relève du bon sens, de l’intérêt commun et de la justice fiscale, mais pourquoi les gouvernements fédéraux qui se succèdent ne l’appliquent-ils pas ? La fédération Inter-Environnement s’est penché sur la question: « Voitures de société: l’impossible débat« .
Feuille de route et scénarii
Mais pour affronter le défi du transport durable, la technologie n’est qu’un des aspects. Il s’agit aussi d’amener le changement dans nos modes de vie par une approche territoriale de la mobilité et l’intégration d’une réelle altermobilité.
Tout récemment, l’institut français negaWatt a publié en collaboration avec le Réseau Action Climat France, une proposition de feuille de route ciblant les principales actions à mener pour exploiter au mieux les gisements d’efficacité énergétique du secteur des transports.
Ils y distinguent plusieurs mesures à prendre à différents niveaux (signal politique, communication, organisation, aménagement du territoire/urbanisme, matériel roulant, infrastructures, signal prix,…) pour améliorer l’efficacité énergétique des transports. Pour chacune d’entre elles, le document évalue les économies d’énergies qu’on peut en espérer, les besoins de financement qu’ils supposent et situe leur mise en œuvre idéale dans un calendrier sur les cinq années à venir. De quoi se faire une idée de la complexité d’une transition concertée vers des transports durables.
Une complexité qui transparaît aussi clairement dans la recherche d’initiative « Territoire et énergie 2050 » menée conjointement par l’IGEAT (ULB), le CREAT (UCL) et CORE (UCL) et dont les résultats ont été publiés voici quelques mois sous la direction de la CPDT. Elle compare différentes visions (18 au total) à long terme du territoire et de l’énergie pour tenter d’en dégager les scénarii les plus souhaitables en fonction des objectifs privilégiés. Les transports et la mobilité n’y constituent qu’un des aspects majeurs, mais on y perçoit bien toute la diversité des aspects à prendre en compte de manière systémique du seul point de vue territorial (lire notre interview).