La Ministre fédérale de l’énergie répond à nos questions : fin du nucléaire, nouvelles centrales au gaz, plan de relance, stockage et flexibilité, investissement citoyen dans l’éolien offshore, boucle du Hainaut, … Interview.
Tinne Van der Straeten, Ministre fédérale de l’énergie (Groen), se trouve au cœur de la transition énergétique belge.
Avocate durant 9 ans dans le secteur de l’énergie, elle dispose de compétences reconnues et confirme un engagement vers un système énergétique 100% renouvelables d’ici 2050.
Mais elle devra régler de nombreuses questions épineuses. Comment par exemple sortir du nucléaire sans augmenter fortement les émissions de CO2 de la Belgique ? (lire notre article Sortir du nucléaire en 2025 ? Un défi à relever dès aujourd’hui !).
Le projet de subsidier de nouvelles centrales au gaz pour compenser la production électrique nucléaire la place sous le feu de la critique.
Lire par exemple cette carte blanche :
Construire de nouvelles centrales à gaz en peine crise climatique n’a aucun sens
Et, selon une étude allemande, les capacités actuelles de la Belgique suffisent pour compenser le nucléaire et assurer une sécurité d’approvisionnement (lire notre article Sortie du nucléaire : la Belgique n’a pas besoin de nouvelles centrales au gaz).
Il faut cependant rappeler que la Belgique a tergiversé durant 18 ans sur la sortie du nucléaire et n’a pas su préparer sa transition énergétique.
La situation actuelle, héritée du passé, demande de la volonté politique pour atteindre une Belgique neutre en carbone d’ici 2050. Et seule une sortie du nucléaire permettra d’intégrer pleinement les productions renouvelables sur le réseau électrique.
Renouvelle a souhaité interroger Tinne Van der Straeten sur les défis à relever et les prochaines étapes de la transition en Belgique.
Le Gouvernement fédéral a décidé de sortir du nucléaire en 2025, même si une tranche de 2G pourra encore être prolongée. Le nucléaire devra probablement être compensé, même temporairement, par des centrales au gaz. N’y a-t-il pas une contradiction en matière de bilan carbone ?
Nous avons 7 réacteurs nucléaires dont 5 sont trop vieux et nécessiteraient des investissements trop importants pour les maintenir. Ni le politique, ni l’opérateur n’est demandeur que ces 5 réacteurs restent opérationnels.
Le Gouvernement fédéral a décidé que les 7 réacteurs devaient fermer. C’est l’exécution d’une loi qui a été décidée voici 20 ans. Mais ceci n’a pas été préparé. La politique énergétique des 20 dernières années était comateuse, avec des “stop & go”. Maintenant, la direction est claire et il ne nous reste pas beaucoup de temps.
C’est vrai qu’à court terme, il n’est pas possible de le faire sans une capacité, même réduite, de centrales au gaz. N’importe qui, qui aurait été Ministre à ma place, aurait dû prendre cette décision.
Au début des négociations, il y avait des discours qui demandaient jusqu’à 8 centrales au gaz. Tandis que nous, nous avons tout fait pour réduire cette capacité à 2 ou 3 centrales maximum.
Dans le même temps, nous avons inscrit dans les règles une clause de durabilité qui oblige ceux qui vont déposer un projet de nouvelle centrale au gaz de s’engager à ce que leur unité soit neutre en carbone d’ici 2050 (NDLR : par exemple via une capture du carbone ou un passage à l’hydrogène vert). En fait, nous avons déjà bétonné la sortie du fossile.
Quelles sont les alternatives pour éviter le recours à ces centrales au gaz ?
Pour éviter le fossile, on doit augmenter nos capacités en énergies renouvelables. La Belgique va au moins doubler son parc éolien offshore (lire notre article La Belgique doublera sa puissance éolienne en mer du Nord).

Mais nous avons aussi des contacts avec les pays voisins. Et un nouveau pays, c’est le Danemark, qui va créer un câble d’interconnexion et une grande île énergétique qui pourra alimenter en électricité éolienne 10 millions de ménages européens (lire notre article La Belgique bientôt interconnectée avec le Danemark ?). En Belgique, nous aurons besoin d’importer de l’électricité verte.

Tous ces éléments vont faire qu’on va pouvoir limiter et sortir le plus vite possible d’une production fossile.
Si l’on regarde uniquement le marché belge, ne vaudrait-il pas mieux développer le stockage et la flexibilité de la demande d’énergie, sans recourir au gaz ?
Oui et non. Il y a deux enchères qui vont commencer et on a réservé beaucoup de capacités – 1,5 GW – pour le stockage, les batteries et la gestion de la demande. Grâce à ça, nous avons pu limiter le nombre de centrales au gaz.
La flexibilité est un élément clef pour réussir la transition.
Car je ne peux pas accepter que des éoliennes soient arrêtées alors qu’il y a du vent. Pendant la crise Covid-19, on a dû arrêter les éoliennes en mer du Nord. Mais il y a aussi la centrale de Coo qui est en révision et, 1 week-end sur 4, il y a un risque de devoir arrêter des éoliennes (lire notre article Faire tourner des réacteurs nucléaires, des centrales au gaz ou des éoliennes ?).
On va évoluer vers un système 100% renouvelables d’ici 2050 ; toutes les sources renouvelables doivent fonctionner tout le temps et, même quand il n’y a pas de soleil ou de vent, on doit pouvoir utiliser l’électricité produite car elle aura été stockée.
Dans tous les scénarios, il faudra fortement augmenter les productions d’énergies renouvelables. Quel soutien recevez-vous des trois Régions, compétentes en la matière ?
J’ai un très bon contact avec le ministre wallon de l’Energie Philippe Henry; nous avons une vision partagée. A Bruxelles, il y a des projets de communautés d’énergie qui sont déjà en place, ainsi que des projets d’hydrogène vert. En Flandre, il y a de grandes ambitions en hydrogène vert dans les ports d’Anvers et de Gand.
Les pièces du puzzle sont en train de s’assembler pour un pays prospère. Si chacun avance dans ses compétences, on pourra y arriver.
Le Plan de reprise économique (à consulter ici) prévoit la création d’une île énergétique en mer du Nord avec une production d’hydrogène vert. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Depuis toujours, l’énergie est un catalyseur pour un changement vers une société moderne. Les projets d’énergie sont très présents dans le plan fédéral de relance, et notamment deux projets en infrastructures : 1) une île énergétique multifonctionnelle pour pouvoir connecter les éoliennes offshore et capter le câble danois ; et 2) une infrastructure d’hydrogène vert, pour pouvoir alimenter le secteur industriel et permettre à nos industries de devenir plus durables.
Ces deux grands piliers du plan fédéral seront complétés par les projets régionaux, notamment en hydrogène vert en Wallonie et en Flandre.
D’ici 2030 (ou même plus tôt), le parc éolien offshore va au moins doubler pour atteindre 4,5 GW. Selon Elia, cette production éolienne très importante nécessite, entre autre, de créer une nouvelle ligne à haute tension – baptisée “boucle du Hainaut” – afin d’acheminer cette électricité renouvelable vers l’Est de la Belgique. Le ministre wallon de l’Aménagement du Territoire Willy Borsus souhaite une contre-expertise et a commandé une étude. Comment garantir que ce projet répond bien à des besoins réels pour la transition énergétique ?

La Belgique est le 5ème pays au monde pour l’éolien offshore. La mer du Nord peut devenir la plus grande centrale durable et cela nécessite de renforcer notre réseau électrique en Flandre et en Wallonie.
Le projet de “boucle du Hainaut” peut y contribuer. En ce moment, le dossier est dans les mains du Gouvernement wallon. Ce projet n’est pas arrivé par hasard. Il a été étudié dans le cadre du Plan fédéral du développement du réseau. La capacité du réseau doit aussi être renforcée dans la région pour alimenter en électricité l’industrie mais surtout les PME. Il y a donc des intérêts partagés.
Actuellement, ce projet suscite une certaine opposition, de citoyens réunis au sein de l’association Revolht mais aussi parmi les 14 communes concernées. En cause : l’impact paysager, l’impact des champs électro-magnétiques sur la santé, … Que leur répondez-vous ?
J’ai rencontré Revolht et il y a beaucoup de soucis et de questions qui sont là. Je les prends à cœur. J’ai demandé à Elia d’être plus à l’écoute des citoyens. Si tous les acteurs – Gouvernement wallon, Gouvernement fédéral, citoyens, communes, Elia, … – sont dans un dialogue actif, on peut arriver à un projet qui répond aux questions de tout le monde.
Les citoyens de Revolht ont aussi envie d’avancer. Ils veulent faire quelque chose pour lutter contre le réchauffement climatique. Il y a des positions qui ne sont pas discutées.
Nous n’avons que 10 ans et nous n’avons pas le luxe de pousser quelque chose contre tout le monde. On doit mettre en œuvre nos ambitions et avancer ensemble.
Lire également notre article Boucle du Hainaut : Et si on optimisait d’abord les réseaux électriques existants ?
Les citoyens pourront bientôt investir dans l’éolien offshore. Quels seront les avantages et les modalités pratiques ?
Oui ! La participation publique est déjà prévue dans la législation actuelle mais entretemps beaucoup de choses ont changé. Il y a beaucoup d’initiatives européennes qui doivent être transposées dans le droit national, comme les communautés d’énergie et l’implication des citoyens dans la transition énergétique. C’est cela que l’on va pousser dans l’éolien offshore.
Il y avait déjà une participation publique dans les projets éoliens en Wallonie et c’est à partir de ces expériences qu’on a voulu ouvrir cette possibilité en mer du Nord. Le principe est désormais inscrit dans la loi “électricité” et les détails seront réglés par arrêtés royaux, pour une entrée en vigueur en 2023-24.
Il s’agit de faciliter le soutien sociétal pour de tels projets et progresser ensemble. Et pas uniquement dans l’éolien offshore. En Flandre, il y a un projet où des citoyens se sont mis ensemble dans un réseau avec une production photovoltaïque locale et des voitures électriques partagées. Les batteries sont chargées avec le photovoltaïque, ce qui évite les pics de production solaire sur le réseau électrique.
Ca veut dire que ce sont les citoyens qui sont acteurs de la transition énergétique et c’est avec eux qu’on va pouvoir la réaliser.