Les communes wallonnes et bruxelloises peuvent désormais compter sur l’expérience et les compétences des coopératives citoyennes pour développer un projet d’énergie durable. La fédération RESCOOP Wallonie nous donne quelques retours d’expérience.
Nos précédents articles :
Territoires (1) : TEPos et Pollec mobilisent les communes et les citoyens
Territoires (2) : Quand les transitions citoyennes font cause commune
Territoires (3) : Un processus de co-construction au service du développement rural
Territoires (4) : Le monde syndical à la rescousse
Comme nous l’abordons depuis quelques mois dans notre série d’interviews « Territoires », la transition énergétique ne prendra réellement forme que si elle est portée par les acteurs locaux. Dans ce contexte, nous avons pointé le rôle central des communes en tant que catalyseur des différentes initiatives locales. C’est donc à elles que revient en grande partie l’ambitieuse mission de mobilisation et d’accompagnement des acteurs locaux pour l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies de descente énergétique. Comme nous l’avons déjà évoqué, elles peuvent néanmoins compter sur une multitude d’initiatives citoyennes et processus participatifs existants. Parmi ceux-ci, nous nous intéressons aujourd’hui aux coopératives citoyennes de production d’énergie renouvelable.
Rencontre avec Mario Heukemes, administrateur de la fédération RESCOOP Wallonie et président de la coopérative Courant d’Air (photo ci-dessous).
Frédéric Praillet (Renouvelle) : Selon votre expérience, comment qualifieriez-vous les relations entre les communes et les coopératives citoyennes ?
Mario Heukemes (RESCOOP Wallonie) : De manière générale, les communes ne peuvent pas s’associer de but en blanc à une entreprise. C’est donc en faisant nos preuves que, petit à petit, les communes prennent conscience que nous sommes un partenaire intéressant. Les coopératives citoyennes de RESCOOP se différencient des autres acteurs par leur finalité sociale permettant de mener des projets non commerciaux et de valoriser leurs actions au-delà de l’impact financier. Ainsi, notre action se rapproche plus de celle d’une asbl qui se finance grâce aux revenus générés par ses outils de production et à différentes sources de financement (subventions, etc.).
F.P. : Quid des projets éoliens en particulier ?
M.H. : Si la commune n’a jamais entendu parler de nous, la mise en place d’une collaboration s’avère souvent difficile. Il faut commencer par apprendre à se connaître et développer progressivement une relation de confiance entre les personnes.
Aujourd’hui, Courant d’Air développe assez aisément des collaborations avec certaines communes car ces dernières ont vu ce que nous avons fait.
L’important pour les coopératives de RESCOOP – qui représente les vraies coopératives citoyennes de production d’énergie renouvelables – est donc de bien mettre en avant leurs spécificités par rapport à d’autres acteurs. La première de ces spécificités est leur volonté de mettre à disposition des communes et de leurs citoyens les compétences qu’elles ont accumulées tant d’un point de vue technique et financier que d’un point de vue social pour faciliter la concrétisation d’une réelle participation citoyenne.
A ce titre, le cadre de référence éolien est très bien écrit. Il explique la philosophie d’un travail à trois partenaires (développeur, commune, coopérative).
Nous avons été plusieurs fois confrontés aux cas de communes voulant créer leur propre coopérative accessible uniquement à leurs citoyens. Cette vision ne correspond pas à celle des coopératives RESCOOP. En effet, nous ne voulons pas faire de distinction entre les habitants d’une commune ou d’une autre. Par exemple, nous considérons que les habitants des villes doivent avoir accès à la participation à des projets éolien même si leur ville ne peut pas en accueillir. Si ces communes ne changent pas de position sur ce point, elles se privent de l’avantage du modèle RESCOOP.
La fédération RESCOOP Wallonie réunit 12 coopératives citoyennes productrices d’énergies renouvelables.
F.P. : Mais on peut comprendre la volonté de certaines communes de voir leurs citoyens bénéficier prioritairement des retombées économiques et sociales des projets locaux.
M.H. : Statistiquement, quand on crée un projet, on remarque que 80% des coopérateurs habitent dans un rayon de 20 km autour de ce dernier.
Les coopératives RESCOOP permettent de lancer le projet. Comme elles sont ouvertes à tous à tout moment, elles permettent une évolution des participations en fonction des moyens, de la sensibilité, de l’analyse du risque. A partir de quand le citoyen est-il prêt à investir ? On remarque souvent que le nombre de souscriptions à des parts sociales des coopératives s’envolent une fois que le projet tourne car cela rassure les citoyens.
Souvent, les autres modèles proposent une participation figée. Dans le modèle que les coopératives RESCOOP proposent, un groupe va prendre le risque. Mais à terme, tous les habitants de la commune pourront prendre des parts dans le projet. La coopérative fait donc de la gestion de risques pour les habitants de la commune et les mutualise avec ceux d’autres projets.
Il ne faut pas non plus sous-estimer la charge de travail que représente la gestion administrative d’une coopérative. Une coopérative comme Courant d’Air mutualise cette gestion sur un plus grand nombre de projets, ce qui permet aussi une professionnalisation.
La coopérative ne fait finalement qu’organiser la participation citoyenne et la gérer administrativement. Le projet appartient aux citoyens.
F.P. : Que répondez-vous aux élus locaux qui considèrent que le modèle coopératif ne bénéficie pas à ceux, parmi leurs citoyens, qui n’ont pas les moyens de prendre des parts ?
M.H. : Dans la pratique, nous constatons que des gens économisent pour acheter une part. Et ce sont ces personnes-là qui demandent le plus de garanties, une idée précise du risque qu’elles prennent.
De plus, nous développons nos projets de sensibilisation et d’efficacité énergétique prioritairement dans les communes sur lesquelles nous exploitons un outil de production, et ces projets bénéficient à tous les citoyens.
F.P. : Comment une commune peut-elle alors s’y prendre pour favoriser la mobilisation citoyenne et définir le type de structure qui sera mise en place ?
M.H. : La commune peut favoriser et faciliter la création d’une association citoyenne locale indépendante. Les gens vont alors tout d’abord apprendre à se connaitre pour construire progressivement le projet. Ils concluront alors certainement que le plus opportun est de faire appel à une coopérative existante.
Néanmoins, s’ils désirent créer une nouvelle coopérative, nous soutiendrons leur démarche à condition qu’elle respecte les engagements des coopératives RESCOOP.
Photo de famille de citoyens actifs au sein de RESCOOP Wallonie.
F.P. : Et comment faire si la commune désire développer directement un partenariat avec une coopérative existante ? Pouvez-vous citer un exemple probant de collaboration de ce type ? Quelle est l’approche qui a permis cette collaboration ? Qui était à l’initiative ?
M.H. : Les communes doivent être à l’initiative ! Le cas des communes d’Amel et Bullange me paraît être un très bon exemple. Ces dernières ont lancé un marché public pour le développement d’un parc éolien sur un terrain communal. En se basant sur le cadre de référence, le cahier des charges intégrait des conditions d’éligibilité des offres et un système de pondération favorisant la participation citoyenne et communale.
Grace à notre expérience, nous avons pu déposer la meilleure offre et permettre aux communes une participation dans l’actif du projet.
Si les communes avaient voulu y aller seules, elles ne seraient vraisemblablement pas arrivée bien loin.
F.P. : Mais, au-delà des projets éoliens, d’autres types de collaborations peuvent-elles également être mises en place ?
J’identifie deux autres grands axes de collaboration.
Le premier est intrinsèquement lié à l’ADN des coopératives RESCOOP. Il s’agit de travailler ensemble sur les thématiques de l’efficacité énergétique et de la sensibilisation (mobilité, développement durable, empreinte carbone). Les fondateurs de ces coopératives sont souvent des militants de longue date et des experts en la matière. Leurs compétences peuvent facilement être mutualisées avec celles des communes pour mener des actions de sensibilisation et élaborer des Plans d’Actions en faveur de l’Energie Durable.
Le projet « Génération Zéro Watt », pensé par Courant d’Air et financé sur fonds propres avec un cofinancement LEADER, est un bel exemple de ce que nous pouvons apporter à une commune. Ce projet consistait à sensibiliser les élèves des écoles communales aux économies d’énergie afin de réduire la consommation de leur école de 15 à 25% à travers la réalisation, par leurs soins, d’un audit énergétique et d’un plan d‘action sur le chauffage, l‘éclairage et la consommation des appareils électriques.
L’esprit des coopératives RESCOOP permet que ce projet soit reproduit dans toutes les communes qui le désirent. Les outils développés sont en effet mis librement à disposition des autres coopératives et des communes. C’est grâce à cette ouverture que le projet est en voie d’être étendu à l’ensemble de la Wallonie à travers un partenariat avec les Facilitateurs éducation-énergie, mais aussi dans plusieurs pays européens.
Nous aimerions d’ailleurs maintenant étendre le concept aux familles…
« Génération Zero Watt » ou comment sensibiliser les élèves à l’énergie durable.
F.P. : Et le deuxième axe de collaboration ?
M.H. : Un axe de collaboration que j’appelle de mes vœux concerne le financement participatif pour la rénovation de biens communs. J’estime en effet qu’il serait intéressant de mobiliser les utilisateurs de biens communs pour qu’ils participent à mener ces biens dans la direction de la transition énergétique. A partir du moment où j’envoie mes enfants dans une école, je suis sensible à ce que cette école soit la meilleure en termes d’efficacité énergétique. Et je suis intéressé d’aider à ce que cette école améliore sa performance, que ce soit via ma participation financière ou la mise à disposition de mes compétences. On change alors totalement de relation avec la démocratie. Je n’attends plus qu’un système bienveillant veuille bien prendre soin de cette école. J’initie moi-même la réflexion et j’apporte ma contribution pour que ce bien, qui fait partie du patrimoine collectif, se développe. Que puis-je faire pour mon village ? Et pas « Qu’est-ce que j’attends de ma commune ? ».
F.P. : D’après vous, quels sont les principaux freins à ce type de collaboration ?
M.H. : Le principal problème des communes est qu’elles évoluent dans un cadre qui ne favorise pas une approche stratégique concertée.
En effet, au niveau de la gestion de leur patrimoine, elles doivent toujours trouver le meilleur équilibre entre urgence liée à la vétusté des bâtiments ou de leurs équipements et course aux subsides au gré des différents programmes. Beaucoup d’entre elles tentent d’utiliser de manière réactive les mannes financières disponibles au niveau wallon pour pallier au plus urgent sans avoir une vision globale de la rénovation d’un bâtiment. Elles se disent : « Même si ce n’est pas la solution idéale, c’est toujours ça de pris ».
Il faut absolument casser cette dynamique qui les pousse à n’envisager des investissements économiseurs d’énergie que s’ils sont rentabilisés en 2 ou 3 ans grâce à un taux de subventionnement de 80%. Le résultat de cette façon de faire est qu’elles auront beaucoup de mal pour financer les travaux de rénovation présentant un temps de retour sur investissement plus long alors que si elles avaient eu une approche plus globale, des solutions intermédiaires auraient pu être trouvées.
Nous le voyons bien lorsque nous discutons, avec les communes, de collaborations possibles. Elles sont généralement enthousiastes quand il s’agit de travailler sur des projets qui ne touchent pas à de l’investissement. Mais dès que nous abordons la thématique de la rénovation globale des bâtiments, c’est beaucoup plus compliqué.
F.P. : Pourtant, c’est précisément une approche stratégique qui est soutenue par la Wallonie à travers le programme POLLEC.
M.H. : Oui ! Mais il me semble que la Wallonie devrait aller plus loin pour impulser la concrétisation des plans d’action POLLEC. En fournissant par exemple un soutien aux communes pour amorcer la réflexion avec les citoyens ainsi que des outils et des consignes claires pour qu’elle puisse envisager le financement participatif.
Au lieu de taxer ce parc participatif, la commune de Waimes a préféré faire appel aux compétences de la coopérative citoyenne pour élaborer son plan d’actions en énergie durable.
F.P. : Comment en êtes-vous venus à cette collaboration avec Waimes ?
M.H. : Nous exploitons un parc éolien sur le territoire de Waimes. Au lieu de l’application d’une taxe communale sur ces éoliennes, nous avons proposé à la commune de lui fournir un soutien à l’élaboration de son plan d’actions POLLEC. Ce soutien s’est d’abord traduit par la réalisation de l’audit énergétique de tous les bâtiments communaux, première étape indispensable pour établir un plan de rénovation.
Nous avons ensuite proposé l’intervention d’une animatrice pour faciliter la rédaction du plan d’actions en concertation avec les citoyens. Mais les règles de marché public bloquent ce type de partenariat.
F.P. : Comment remédier à cette problématique des marchés publics ?
M.H. : En ce qui concerne le travail de concertation citoyenne, la Région pourrait reconnaitre le rôle de facilitateur joué par les coopératives citoyennes de production d’énergie renouvelable. Il faudrait alors définir un cadre juridique clair ainsi que des règles de bonne pratique pour la gestion d’un comité de pilotage POLLEC.
Nous pensons par exemple qu’un organe indépendant de la commune doit être constitué pour lever certains freins qui empêchent les citoyens de s’investir.
Pour ce qui touche à la participation financière de la commune dans un projet de production d’énergie ou à la rénovation de ses bâtiments, la solution la plus adéquate consiste à créer une régie communale ou d’une société de projet (Special Purpose Vehicle). Il est indispensable de séparer la partie citoyenne, gérée par les citoyens, de la partie communale.
F.P. : Historiquement, les coopératives citoyennes sont principalement actives dans le domaine éolien. On constate néanmoins un début de diversification. Des pistes comme le tiers investissement en photovoltaïque, en chaleur-biomasse ou en rénovation des bâtiments vous semblent-elles prometteuses ?
M.H. : Oui ! Même si la vocation première d’une coopérative n’est pas de faire du prêt, il peut arriver qu’elle désire activer une partie de son capital et proposer des taux similaires à ceux proposés par une banque ou travailler sur des durées de remboursement plus longues.