Territoires (4) : Le monde syndical à la rescousse

Nous poursuivons notre série d’interviews sur les différents acteurs de la société civile qui s'impliquent dans les dynamiques de co-construction de stratégies locales de transition énergétique. Focus sur la participation potentielle du monde syndical.

Nos précédents articles :

Territoires (1) : TEPos et Pollec mobilisent les communes et les citoyens
Territoires (2) : Quand les transitions citoyennes font cause commune
Territoires (3) : Un processus de co-construction au service du développement rural

Le Réseau Intersyndical de sensibilisation à l’Environnement (RISE) est une structure commune aux organismes d’éducation permanente respectifs de la CSC et de la FGTB. Depuis plus de 20 ans, sa mission principale est de soutenir l’action environnementale dans les entreprises en renforçant la capacité d’intervention des délégués des travailleurs sur les questions environnementales et sur la mobilité.

Rencontre avec Lydie Gaudier, coordinatrice RISE pour le CEPAG-FGTB, et Véronique Thirifays, son alter ego pour la FEC-CSC.

Jean Cech (Renouvelle) : En quoi l’équipe syndicale d’une entreprise peut-elle influencer la politique de l’entreprise en matière d’énergie ?

Véronique Thirifays : Principalement via la sensibilisation du public syndical au sein de l’entreprise locale. RISE dispose depuis pas mal de temps déjà d’une série d’outils de sensibilisation et de formation autour des problématiques environnementales dont, bien entendu, l’énergie. Le sujet de la transition énergétique est donc d’ores et déjà bien présent au niveau des délégués syndicaux et, plus largement, du public syndical, sur toute une série de sujets impliquant l’entreprise. De même, la transition énergétique se trouve régulièrement au centre de mesures de management au sein de l’entreprise. On ne part donc pas, loin s’en faut, d’une page blanche sur ces questions.

Lydie Gaudier : Dans ce cadre, il faut souligner que l’équipe syndicale peut certes proposer certaines actions, mais elle ne peut pas formellement en décider. Certains facteurs vont donc devoir être réunis pour que les projets initiés par les délégations aboutissent à des résultats concrets.

J.C. : Quelle est la place de l’énergie dans les préoccupations environnementales des représentants syndicaux ?

L.G. : Je dirais que c’est très variable. Ce qui est évident, c’est que cette préoccupation est de plus en plus présente. Non seulement parce que l’énergie apparaît désormais comme un enjeu sociétal évident et incontournable dans le discours politique, médiatique et scientifique dominant, mais aussi parce que le travail de sensibilisation au sein des entreprises commence vraiment à porter ses fruits.

Nous constatons que, globalement, les délégués sont très au fait des évolutions. Ils ont manifestement suivi tous les grands débats de société sur la question et sont souvent très au fait de nombreux aspects techniques et financiers. Il nous revient de structurer leurs connaissances et leurs expériences et de les compléter par une analyse syndicale. Nous devons parfois combattre des idées reçues ou nous accommoder d’un certain conservatisme, les valeurs traditionnelles étant très importantes pour certains.

Mais cela diffère d’une entreprise à l’autre, en fonction de sa situation. Il est clair que, quand l’ambiance au sein de l’entreprise est à la restructuration, ces sujets passent clairement au second plan. C’est en général au sein des entreprises les plus florissantes que ces thématiques sont le mieux perçues. Là aussi où il y a un bon dialogue social.

V.T. : Nous sommes actuellement occupés à réaliser une enquête en front commun auprès des délégués syndicaux sur l’état de la concertation en entreprise sur les matières relatives à l’environnement et la mobilité. Les premiers dépouillements mettent clairement en évidence les thèmes énergétiques – et notamment les énergies renouvelables – comme vecteurs de développement de l’entreprise.

J.C. : Quelle est finalement la principale motivation des travailleurs par rapport à la transition énergétique?

V.T. : Elle est bien entendu financière: il faut que cela aide à la survie de l’entreprise et au maintien de l’emploi. Mais il faut aussi que cette transition soit juste. Qu’elle profite aussi aux travailleurs via une redistribution équitable des gains qu’elle apporte.

L.G. : On note aussi à ce propos des conflits entre le long terme et le court terme. La sensibilité des délégués porte à priori plus sur le court terme. Mais on voit aussi clairement qu’un nombre de plus en plus important d’entre eux appréhendent la thématique sous l’angle environnemental et climatique et sont soucieux de l’avenir de la planète dans un cadre de justice sociale. Afin d’accompagner ce mouvement, nous travaillons beaucoup sur l’éthique et les valeurs.
Par ailleurs, il y a les emplois verts. Ceux qui vont amener de nouvelles compétences et amener les travailleurs à mieux valoriser leur potentiel.

J.C. : Dans quelle mesure le monde syndical est-il en situation de favoriser la rencontre des différents acteurs du territoire sur la thématique énergétique ?

V.T. : Des dispositifs existent, mais il s’agit de les coordonner. Cela fait longtemps que les organisations syndicales demandent qu’il y ait des lieux de concertation sociale dans les zones d’activité économique. On y travaille actuellement et nous aimerions que RISE puisse y jouer un rôle. Cela nous permettrait notamment d’intégrer des projets locaux et de pouvoir avancer ensemble sur ces initiatives en bonne intelligence avec les entreprises locales.

L.G. : Actuellement, il n’y a pas de cadre légal qui permette ce type de démarche. Il faut qu’elle soit portée par tous les acteurs du territoire. Il doit donc y avoir une volonté politique de créer ce style de concertation. Autant les syndicats peuvent certainement y participer, autant ils n’ont pas la possibilité de la mettre en place seuls.

Ce que nous faisons déjà, c’est organiser des soirées-débat ouvertes à tous sur une thématique bien particulière (géothermie, éolien) et lors desquelles sont invités à intervenir tant des experts que des représentants politiques ou même du monde patronal.

Pour optimiser l’impact de l’action de RISE,  nous réfléchissons à soutenir, par exemple, les permanents régionaux afin de créer un effet multiplicateur.

VT : Il y a une volonté de notre part de démontrer que la transition énergétique et l’économie circulaire impliquent un réel changement de société (comportements de consommation, recomposition de la structure et des filières économiques). Il s’agit de dresser un projet de société qui nécessite de rassembler l’ensemble des acteurs au niveau territorial.

J.C. : En parlant de changement de société, comment le monde syndical appréhende-t-il l’émergence et le développement de nouvelles formes d’entreprenariat de type collaboratif comme les coopératives citoyennes d’énergie ?

LG : Nous menons actuellement au niveau syndical une réflexion sur l’avenir du syndicat dans un monde qui change. Historiquement, le paysage énergétique est composé de grosses entreprises industrielles. On assiste de plus en plus à une décentralisation de la production et à une évolution vers un tissu économique axé sur les PME.

On assiste aussi à une ubérisation de l’activité économique créant des emplois en dehors du marché du travail traditionnel, ainsi qu’à la multiplication de petites initiatives très séduisantes liées à la transition écologique. Mais celles-ci sont souvent très petites et basées sur le relationnel. Si ces différentes initiatives se développent, ne faudra-t-il pas donner une place au syndicat pour y structurer le dialogue social, aborder les conditions de travail et ce genre de choses ? Cela questionne la place du syndicat à l’avenir.

Actuellement les syndicats peuvent être perçus par les porteurs de ces initiatives comme des partenaires du système.

VT : Pourtant, on constate un réel souffle nouveau au niveau du positionnement syndical par rapport à ces initiatives. Ainsi, la CSC wallonne soutient officiellement les nouvelles formes d’économie (partagée, collaborative).