Stockage de l’énergie : les chercheurs belges veulent relever les défis

200 personnes ont participé à la conférence sur le stockage de l’électricité organisée par BERA, la plateforme belge de recherche sur l’énergie. Les chercheurs planchent sur une grande diversité de solutions pour relever les défis du stockage. Ils lancent un appel à contribuer à une roadmap.

Près de 200 personnes étaient inscrites à la journée de conférences sur le stockage de l’électricité organisée ce 29 mars 2018 par BERA (Belgian Energy Research Alliance), la plateforme belge de recherche sur l’énergie membre du réseau européen EERA. Un succès qui témoigne d’un fort intérêt actuellement pour la recherche dans ce domaine. Le stockage de l’électricité se trouve en effet au centre des attentes d’un secteur énergétique en pleine (r)évolution.

BERA lance d’ailleurs un appel à contribuer à une roadmap qui définira les priorités de la recherche belge dans le domaine du stockage de l’énergie (contact : swayne@ulb.ac.be).

Voici les éléments de cette conférence qui ont retenu notre attention.

Clé de voûte d’une vision 100% énergies renouvelables

Plus de doute, la flexibilité est la clé de voûte d’une vision 100% énergies renouvelables. Les objectifs de son développement visent à équilibrer une production électrique intégrant des flux variables renouvelables avec une multitude de consommateurs offrant un profil de consommation lui aussi variable. L’enjeu est de mettre en concordance production et consommation par de la flexibilité.

La flexibilité se décline à deux niveaux :

Fig. « Technologies de stockage dans les réseaux électriques européens », extrait du rapport « Valuing dedicated storage in electricity grids », EASAC, mai 2017.

Baisses de prix et mutation

Le stockage de l’électricité fait partie des solutions technologiques émergentes. Dans deux récents articles paru dans The conversation, célèbre journal académique international, les récentes évolutions technologiques et la baisse des prix des renouvelables et du stockage laissent présager avec beaucoup de certitude que le secteur de l’électricité des Etats Unis va connaître une profonde mutation dans la décennie à venir (lire How energy storage is starting to rewire the electricity industry, 17 mars 2018) et que le solaire et l’éolien vont progressivement remplacer les énergies fossiles dans la production d’électricité mondiale (lire Solar PV and wind are on track to replace all coal, oil and gas within two decades).

Une grande diversité de solutions

Sous le vocable simple du « stockage de l’énergie » se cache une réalité physique complexe, une grande diversité de solutions et une multitude de fonctionnalités.  Chacune s’avère spécifique du point de vue de son service de puissance, d’énergie, d’efficacité et de coût.

Dans le premier exposé, le professeur Jan Desmet (UGent) a insisté sur le caractère instantané de l’électricité qui mérite d’être appréhendé du point de vue de l’énergie, de la puissance et de l’équilibre ondulatoire et entre phases.

L’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix électrique n’est pas qu’une simple question de remplacement d’énergie. Le système doit aussi assurer un service de puissance et d’équilibre ondulatoire. L’enjeu du remplacement des unités conventionnelles thermiques n’est pas qu’énergie, il est bien plus complexe. Les énergies renouvelables se combinent avec des services auxiliaires. Il est essentiel que l’innovation technologique et le marché ne les oublient pas.

Les réseaux électriques intégrant des niveaux de pénétration élevé d’énergies solaires et éoliennes (Danemark, Portugal, Nord de l’Allemagne, …), voire aussi les projets insulaires 100% énergies renouvelables (El Hierro aux Canaries, Samsoe au Danemark, Hawaï aux Etats Unis, …)  démontrent de la faisabilité, mais aussi de la complexité des solutions. Des solutions qui se construisent sur base de la spécificité des productions locales et des caractéristiques de la consommation – dont le profil de la courbe de charge sur une période donnée.

Apprendre au canard à voler !

Avez-vous déjà entendu parler de la « Duck curve » ? Il s’agit d’un concept imagé proposé par une équipe américaine de recherche qui étudie l’impact du développement photovoltaïque en Californie.  

La courbe de la charge électrique journalière californienne pourrait prendre la forme d’une silhouette de canard sur l’eau (voir figure ci-dessous). La rampe de montée de puissance de fin de journée constitue un enjeu de préoccupation majeure pour le gestionnaire de l’équilibre du réseau électrique.

Le gestionnaire de réseau électrique californien analyse les différentes options permettant de reprofiler la courbe de charge pour éviter cette rampe de puissance.  Il s’agit d’amener le profil de consommation à s’aplatir ou … à amener le canard à s’envoler !

Apprendre à voler au canard est l’image retenue par le professeur W. D’haeseleer (KUL) lors de cette conférence pour illustrer les besoins de flexibilité et les différentes solutions à mettre en œuvre dans les régions à fort développement solaire photovoltaïque.

Gérer le « Dunkelflaute » 

L’ensemble des solutions de flexibilité identifiées et les fonctionnalités d’un stockage à courte durée devrait trouver leurs modèles économiques pour faire face aux besoins d’équilibrage du réseau sur une bonne partie de l’année. Il faut cependant tenir compte d’évènements plus rares mais probables, comme le « Dunkelflaute » (terme allemand) : une période prolongée sans vent ni soleil.

Des solutions de stockage saisonnier sont dès lors évoquées. Pour y répondre sans énergie fossile, il s’agit de mettre en œuvre des infrastructures permettant de stocker de grandes quantités d’énergie mobilisables quelques jours ou semaines par an. Un faible taux d’utilisation rendrait ces solutions très (trop) coûteuses pour entrevoir de remplacer le gaz naturel avant 2050.

Selon Daniel Marenne (Laborelec), la voie « hydrogène » est prometteuse pour y répondre. L’hydrogène est le vecteur énergétique le plus approprié pour épauler le pompage-turbinage hydraulique dans une fonction de stockage saisonnier (lire notre article L’électrolyse de l’eau pour valoriser l’électricité renouvelable excédentaire).

Par ailleurs, d’un point de vue sociétal, lors de périodes prévisibles de situation de force majeure, serait-il possible de prévoir dans nos pratiques sociales et économiques d’organiser des périodes de flexibilité où les activités seraient ralenties pour raison de « grèves énergétiques » au même titre que les périodes de grèves sociales avec préavis ? Voilà une idée qui questionne des thématiques de sciences humaines.

La tarification comme levier de flexibilité

L’électricité est un produit particulier. Son caractère instantané fait qu’elle doit être produite et consommée instantanément. Pourtant cette réalité n’est pas prise en compte dans les tarifs des clients basse tension. Aujourd’hui, ceux-ci ne reflètent que la dimension énergie (kWh). La dimension temporelle – tels que le moment de consommation et le niveau de puissance – n’est pas intégrée.

Francis Ghigny, dans le cadre d’une étude pour le régulateur du marché de l’énergie bruxellois (BRUGEL), a présenté des propositions concrètes aux GRD pour une tarification qui incite des modifications de comportements. La tarification devient un levier de flexibilité. Elle crée un marché pour la participation des consom’acteurs. Une solution non technologique qui permet d’éviter ou de réduire le renforcement du réseau tout en favorisant la correspondance entre production et consommation.

Le tarif est établi pour inciter deux finalités : (1) limiter les puissances individuelles au moment où le réseau atteint ses limites (à l’aide d’un signal réseau explicite) et (2) déplacer les consommations vers des périodes plus propices (à l’aide de plages horaires définies). Le premier objectif est dépendant de la mise en place de compteurs communiquant.

La journée du 29 mars 2018 a été l’occasion de présenter bien d’autres solutions de flexibilité et en particulier les nombreuses options et fonctionnalités possibles. Dans ses conclusions générales, le professeur William D’haeseleer (KUL) se réfère aux recommandations de l’European Academies Science Advisory Council (EASAC). Le stockage de l’électricité fait partie des incontournables options de flexibilité pour le futur. Sa contribution dépend fortement des caractéristiques des systèmes énergétiques, des modèles économiques induits par le marché et les synergies (ou compétition) entre les mesures possibles de flexibilité, qu’elles soient techniques, économiques, régulatoires ou sociales.

Roadmap : appel à contribution

Finalement, le groupe d’experts confirme les importants besoins de recherche sur les possibilités et le rôle du stockage dans cette multitude d’applications et de systèmes. Dans ce contexte, le professeur Patrick Hendrick (ULB), président de BERA, lance un appel aux acteurs de recherche afin de contribuer à la roadmap de recherche sur le stockage de l’énergie. Intéressé ? Contactez son secrétariat : swayne@ulb.ac.be – http://bera.ulb.ac.be

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