Selon une étude allemande, les capacités actuelles de la Belgique suffisent à assurer une sécurité d’approvisionnement en électricité. Nul besoin de construire de nouvelles centrales au gaz, comme l’envisage le gouvernement fédéral belge.
Le gouvernement fédéral a confirmé la sortie du nucléaire pour 2025, comme prévu par la loi, avec la possibilité de prolonger 2 GW (les centrales de Doel 4 et Tihange 3) si cela s’avérait nécessaire pour la sécurité d’approvisionnement en électricité.
Le groupe Engie a dès lors annoncé fin 2020 qu’il arrêtait tout investissement – nécessaire pour une éventuelle prolongation – et fermerait tous ses réacteurs en 2025.
Cette sortie du nucléaire – qui représente 40% de notre mix électrique – met-elle en danger notre sécurité d’approvisionnement en électricité lors de certains moments de pénurie ?
Le gouvernement fédéral prévoit une évaluation en novembre 2021. Mais dans l’immédiat, plusieurs énergéticiens – dont Engie – se portent candidats pour construire de nouvelles centrales au gaz en vue d’assurer un back up.
Ces nouvelles centrales au gaz seraient subsidiées dans le cadre du mécanisme de récupération de capacité (CRM), soit un surcoût de 100€ par ménage belge, et augmenteraient (de manière très marginale cependant) les émissions de CO2 de la Belgique, à contresens de nos objectifs climatiques (lire notre article Une facture d’électricité plus chère et plus polluante ? Réduisons plutôt la puissance !).
Or des observateurs estiment que la Belgique peut se passer de ces nouvelles centrales au gaz.
Une étude, publiée en octobre 2020 par l’Institut environnemental de Munich et repérée par les Amis de la Terre, arrive à cette conclusion.
Cette étude est réalisée par un institut allemand ; or l’Allemagne a fait le choix politique en 2011 de sortir progressivement du nucléaire et réussit aujourd’hui sa transition énergétique en maîtrisant ses émissions de CO2. Voilà qui éclaire doublement les scénarios possibles en Belgique.
Capacités de production et interconnexions renforcées
L’étude souligne le changement de contexte : si la situation était particulièrement tendue sur le marché belge de l’électricité voici quelques années encore, faisant paraître impossible une sortie du nucléaire, les conditions générales ont changé, ce qui est peu connu du public.
Entre 2016 et 2020, un total de 1341 mégawatts de capacité de production d’électricité de base a été ajouté en Belgique (voir tableau et graphique ci-dessous).
Le parc éolien a plus que doublé, tandis que des centrales au gaz ont été construites ou réactivées.
Pendant des années, les pénuries potentielles d’approvisionnement en Belgique ont été compensées par des importations d’électricité. Or de nouvelles interconnexions relient désormais le réseau belge aux réseaux anglais et allemand, ce qui augmente nos capacités d’importation.
Ce nouveau contexte réduit fortement le risque de pénurie.
L’étude prend ainsi des hypothèses extrêmes : en hiver, le soir, la puissance nécessaire pour couvrir la consommation électrique belge s’élève à 9.329 MW (pas de production photovoltaïque en soirée et vent faible avec seulement 3% d’éolien garanti).
En cas de sortie totale du nucléaire, le déficit potentiel s’élève à 4.371 MW, à importer. Or nos interconnexions transfrontalières portent désormais nos capacités d’importation à 6.500 MW.
A l’automne 2018, la Belgique a connu une situation où, durant 4 semaines, seul un réacteur nucléaire était disponible – en raison de pannes et défaillances sur ses autres réacteurs. L’approvisionnement a pu être sécurisé par l’électricité importée uniquement de France et des Pays-Bas.
Réduire volontairement la consommation
Enfin, conclut l’étude, la Belgique peut décider de réduire volontairement sa consommation d’électricité en cas de déficit de production ou d’importation. Elle peut par exemple éteindre l’éclairage de ses autoroutes les soirs d’hiver lors des pics de consommation, activer des contrats de flexibilités avec des clients industriels – qui peuvent suspendre leur consommation d’électricité durant quelques heures, contre rémunération – ou encore activer un plan de délestage – coupures planifiées dans certaines zones non cruciales. Une panne généralisée de courant en Belgique est donc évitable.
Dès lors, l’institut environnemental allemand conclut que la Belgique dispose des capacités de production suffisantes pour couvrir sa consommation, même sans nucléaire – et donc aussi sans nouvelles centrales au gaz, NDLR.
Stabiliser le secteur de l’électricité
La sortie du nucléaire aura pour effet de créer un appel positif pour les énergies renouvelables et pour stabiliser le secteur de l’électricité, souligne l’étude :
“Entre-temps, les centrales nucléaires belges sont également devenues si peu fiables qu’elles mettent en danger la sécurité de l’approvisionnement au lieu de la renforcer. Les pannes imprévues sont de plus en plus fréquentes et, avec elles, des situations dans lesquelles une grande quantité d’électricité doit être fournie immédiatement pour compenser une lourde charge pour le système électrique bel – ge. Les facteurs de stabilisation sont principalement attribuables aux énergies renouvelables. Leur croissance au cours des dernières années peut compenser une partie de l’énergie nucléaire. Cependant, l’inverse est également vrai : plus on ferme de centrales nucléaires, plus on crée de possibilités pour les énergies renouvelables. Les investissements, notamment dans les centrales éoliennes, augmenteront alors à nouveau. Pour cette raison également, une sortie rapide du nucléaire en Belgique assurerait une plus grande stabilité du secteur de l’électricité.”
Un débat à nuancer
Dans ce débat, soulignons cependant qu’il est très compliqué de faire la part des choses entre, d’une part, la garantie de produire une grande quantité d’électricité en Belgique (volume annuel produit, ce à quoi le nucléaire contribue) et, d’autre part, la sécurité d’approvisionnement pendant de rares moments potentiels de pénurie (ce à quoi le nucléaire ne contribue pas plus que les autres moyens de production pilotables, voire moins).
Tripler les productions renouvelables
Dans la perspective d’un arrêt total du nucléaire en 2025, la Belgique devra tripler sa production d’énergies renouvelables pour compenser la sortie de l’atome, ce qui est possible selon le secteur (l’éolien offshore va, à lui seul, doubler pour atteindre 4,5 GW).
Cette croissance actuelle et future des renouvelables permettra progressivement de stocker et d’utiliser massivement l’électricité verte et, à partir de là, commencer à réduire l’usage du gaz en Belgique et ainsi diminuer nos émissions de CO2.
Une Réserve citoyenne
Dans ce contexte, différents acteurs belges envisagent la création d’une Réserve citoyenne pour agir sur la demande d’électricité.
Il est tout à fait envisageable de réduire, sur base volontaire, la consommation de l’ensemble des consommateur·trices du réseau basse-tension (potentiel de 3 GW).
A titre d’exemple, si l’ensemble des ménages belges étaient mécaniquement limités à une puissance électrique de 1 kW durant 2 heures occasionnellement en soirée, aucune nouvelle centrale au gaz ne serait nécessaire en Belgique.
Et avec 1 kW, chaque ménage peut continuer à utiliser un four à micro-ondes, un éclairage LED, le wifi, le téléphone et la télévision.
A l’inverse du projet gazier, cette gestion décentralisée de la demande coûterait moins cher pour les citoyens, n’émettrait pas de CO2 et induirait une nouvelle culture de la flexibilité : consommer – et stocker – les énergies renouvelables lorsqu’elles sont abondantes et réduire la puissance quand elles sont moins présentes.
Cette culture énergétique de la flexibilité s’avère ainsi a priori une meilleure option pour assurer notre sécurité d’approvisionnement et avancer sur l’objectif européen 100% renouvelables d’ici 2050 (lire notre article Une facture d’électricité plus chère et plus polluante ? Réduisons plutôt la puissance !).