Sortie du nucléaire : Et maintenant ?

Le Gouvernement fédéral s’est engagé à trancher, en juillet 2012, la question de la sortie programmée du nucléaire, le temps d’évaluer les alternatives. Ou le temps de faire avaler la prolongation du nucléaire ?

La loi sur la sortie du nucléaire, adoptée en 2003, précisait que, « en cas de menace pour la sécurité d’approvisionnement en matière d’électricité », le gouvernement fédéral pouvait « prendre les mesures nécessaires » – laissant ainsi la porte ouverte à une prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires belges. Huit ans plus tard, le nouveau gouvernement fédéral déclare, lors de sa formation en novembre 2011 : « S’il s’avère que nous ne sommes pas confrontés à des coupures et à une flambée des prix, nous avons l’intention de nous en tenir à la loi de 2003 sur une sortie du nucléaire ». Nouveau Ministre fédéral de l’énergie, Melchior Wathelet expliquait même au journal L’Echo (22 décembre 2011) : « Nous allons nous atteler à avoir une vraie diversification de la production. Ma mission dans l’immédiat – et j’ai six mois pour arriver à un plan d’équipement – va être de confronter tous les investisseurs avec leurs projets en matière de capacité de production. Je veux une cartographie claire. Je veux une feuille de route qui nous conforte dans notre décision de fermer trois réacteurs nucléaires en 2015. (…) Il n’est plus question aujourd’hui de se limiter à des intentions. »

Huit ans se sont écoulés entre ces deux prises de position officielles. Et l’on peut s’ébahir de cette volonté « soudaine » et tardive de « mettre au point un plan d’équipement permettant de créer entre-temps les alternatives nécessaires à cette sortie ». Car beaucoup imaginaient, au moment du vote de la loi en 2003, que les treize années à venir constitueraient précisément le délai raisonnable pour mettre en place les mesures permettant de sortir du nucléaire en douceur. A l’image de la démarche actuelle du groupe de réflexion sur le développement des réseaux durables et intelligents (REDI). Sous la houlette de la CWaPE, il s’est mis durant plusieurs mois à l’écoute de tous les acteurs concernés et vient de remettre au Gouvernement wallon un rapport décrivant en détail l’optimum stratégique pour piloter en temps réel et de manière équitable cette transition au niveau des réseaux électriques. Pendant les huit premières années déjà écoulées, il n’y a donc eu que des spéculations et des arguments échangés par les « pro- » et les « anti- » nucléaires, assortis de timides initiatives d’encouragement aux énergies renouvelables.

Tous les arguments sont désormais sur la table et ont été largement développés par les uns et par les autres au cours des dernières années. De quoi étayer des plans crédibles, quelle que soit l’option choisie : sortie en 2015 comme prévu ou report. D’où une activité de lobbying qui va sans doute s’amplifier au cours des prochains mois. Elle sera d’autant plus intense que les enjeux financiers et industriels au niveau du secteur nucléaire sont colossaux et que nombre d’acteurs industriels de cette filière, notamment Areva et GDF Suez, ont très mal vécu les coups de semonce de Fukushima et de la décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire. Ils ont un besoin impératif de « se refaire » sur quelques enjeux stratégiques à haute valeur d’image, comme la décision belge. Outre la campagne du Forum nucléaire, le secteur poursuit désormais sa communication sur un mode plus discret, comme en témoignent par exemple quelques cartes blanches récentes dans la presse quotidienne (1). Et il est plus que probable que les risques de flambée des prix et de black out – les cas de figure évoqués dans la loi de 2003 – focaliseront peu à peu la communication des pro-nucléaires.

En décembre dernier, la mise à l’arrêt d’un réacteur aurait suscité un manque de capacité de production sur le réseau électrique et a contraint la Belgique à acheter davantage d’électricité chez ses voisins. Les pro-nucléaires ont aussitôt mis en exergue un risque de black-out si la Belgique décidait de fermer ses réacteurs. Les partisans d’une sortie rétorquent que c’est justement cette trop grande dépendance au nucléaire qui est dangereuse pour l’équilibre du réseau électrique. (2)

Etant donné l’attentisme des autorités depuis huit ans, le risque est grand de voir le Gouvernement fédéral trancher en faveur d’un report sur base d’un principe de réalité. Cette décision ferait alors fi d’une opinion publique qui se prononce à 66 % favorable à la fermeture des réacteurs en 2015 comme prévu selon un sondage IPSOS commandé par Greenpeace (3).

Or l’actualité nous montre que l’omnipotence d’un producteur n’est pas une fatalité. La réduction de la consommation d’électricité constatée en Belgique depuis 2007, le développement de nouvelles unités de production décentralisée, les nouvelles solutions apportées par les smart grid et l’apparition de nouveaux producteurs d’électricité indépendants tels que la récente centrale électrique T-Power de 425 MW (4) sont autant de signes qui devraient rassurer nos décideurs quant à nos capacités à prendre en main notre avenir énergétique tout en réduisant progressivement les risques (inacceptables) du nucléaire.