La Wallonie explore ses aquifères calcaires profonds en vue d’une production de chaleur et d’électricité. Deux projets pilotes sont en cours dans le Hainaut. Un projet de géothermie profonde basse énergie, accordé à l’IDEA, vise à exploiter le potentiel montois pour un chauffage urbain collectif par réseau de chaleur. Un deuxième projet en géothermie profonde moyenne énergie, accordé à la société EarthSolution, est destiné à une production d’électricité. Rencontre avec le porteur de ce projet.
Jean Cech (Renouvelle): Certains disent que la technologie EGS (lire plus bas) n’est pas sans risques et que l’utilisation du terme « stimulé » n’est qu’un faux nez pour cette « fracturation hydraulique » tant décriée dans le cas des gaz de schiste… Qu’en pensez-vous ?
Roland de Schaetzen (EarthSolution): S’il existe bel et bien des éléments communs entre les deux technologies, on est ici dans une démarche profondément différente dans la mesure où l’on utilise de l’eau prélevée et réinjectée au sein d’une même configuration géologique via deux puits distants de quelques centaines de mètres. Dans les roches carbonatées, il n’y a pas de fracturation hydraulique mais une amélioration de la perméabilité du réservoir aquifère par injection d’acide (chlorhydrique, sulfamique, fluorhydrique,…) pour améliorer la porosité du milieu et qui se résorbent dans l’aquifère après avoir réagi avec la roche. Il n’y a donc pas non plus de pollution chimique à redouter.
J. C. : Qu’est-ce qui vous donne à penser que la configuration géologique dans la région visée est susceptible d’une exploitation géothermique efficiente et rentable via cette technologie EGS ?
R. d. S. : D’abord le fait que d’autres sites de ce type sont déjà en fonctionnement à l’étranger (Allemagne, Autriche, Islande, France,…), certains dans le même type de configuration géologique, à savoir des roches calcaires et en présence d’un aquifère autour de 120/150 °C. De nouvelles installations sont encore en phase d’implantation, mais plusieurs fonctionnent déjà à l’échelle industrielle et produisent de l’électricité de manière récurrente. La deuxième raison qui nous pousse en avant, c’est le momentum. Nous sommes au début d’un développement qui s’est récemment accéléré sur base de deux technologies arrivées à maturité. D’une part, les forages pétroliers à grandes profondeurs, réalisés par centaines chaque année dans le monde. Et d’autre part la technologie ORC (Organic Rankine Cycle) qui permet la production d’électricité à partir de ressources géothermiques de basse enthalpie (température inférieure à 150 °C) via un doublet géothermique (c’est-à-dire via deux puits, à extraction et à réinjection – NDLR).
J. C. : Quels sont les obstacles à surmonter pour accélérer ce développement ?
N. L. : Ce sont toujours les mêmes, inhérents aux innovations technologiques: le financement et un cadre incitatif et juridique susceptible de rassurer les investisseurs. On voit bien, dans les pays voisins comme l’Allemagne ou la France où de nombreux projets sont en construction ou en développement, qu’une fois que ce cadre est en place, ce type d’installation peut se faire assez rapidement compte tenu de la taille des projets de cette ampleur.
En Allemagne, on compte 6 installations opérationnelles, une dizaine de projets en construction, et vingt-deux en phase de développement. En France, une installation est opérationnelle, six permis d’exploration ont été accordés et dix-huit demandes sont en cours d’instruction.
J. C. : Quelle est actuellement la situation chez nous ?
R. d. S. : La stratégie actuelle du Gouvernement wallon se focalise dans un premier temps sur le financement de deux projets pilotes. Le premier pour la production de chaleur dans la région de Mons, sur base d’un aquifère à 2 500 mètres de profondeur et aux alentours de 70 °C. Le second pour la production d’électricité à partir d’une ressource à une profondeur de 4 500 à 5 000 mètres environ, à une température située entre 120 et 150 °C (voir encadré). Pour ce dernier, nous en sommes à la fin de la phase d’investigation géophysique qui nous a permis de réaliser un modèle 3D de visualisation du sous-sol. Reste à identifier le meilleur endroit pour opérer un premier forage, avec comme objectif de confirmer la présence et la qualité de l’aquifère repéré. Puis, quand la ressource sera confirmée, de lancer le second forage pour réaliser le doublet géothermique envisagé .
J. C. : Quel en est le planning approximatif ?
N. L. : On peut raisonnablement considérer que, d’ici deux ans, le doublet pourrait être en place. A partir de là, on pourra réaliser une simulation qui nous permettra de caractériser avec précision le système géothermique disponible. De quoi dimensionner le système ORC à installer pour produire l’électricité selon le contexte réel.
J. C. : Sur quel potentiel pouvez-vous raisonnablement tabler ?
N. L. : Nous envisageons une capacité de 3 MWe, ce qui équivaut à une production de 25 GWh/an, soit l’équivalent de la consommation de plus de 7 000 ménages.
J. C. : Combien d’installations de ce type peut-on envisager à terme en Wallonie ?
N. L. : C’est encore difficile à préciser, mais il n’est pas déraisonnable d’imaginer une production de 2 000 GWh/an, soit 80 unités de production, pour la zone de Mons. D’autres zones pourraient être envisagées, mais il est actuellement hasardeux de s’avancer. Cette évaluation demande bien sûr à être confirmée par des explorations précises.
J. C. : Qu’est-ce qui s’oppose à ce qu’on s’y mette dès aujourd’hui ?
N. L. : Je vous l’ai dit, des explorations doivent être menées pour confirmer la ressource en eau chaude là où on souhaite l’exploiter, ce qui nécessite une bonne dizaine de millions d’euros d’investissements. Après quoi, on peut estimer le débours à 25 millions d’euros, soit au total 35 millions d’euros par unité de production. C’est surtout vrai en première phase de développement, puisqu’on peut pronostiquer que cette technologie se répendant, les coûts baisseront de 40 à 50 % au fil du temps.
Aujourd’hui, ce qui fait encore défaut, c’est un cadre incitatif et juridique qui rassure les investisseurs et permette ce développement, et là, c’est le politique qui a les rennes ! Par ailleurs, la connaissance du sous-sol à grande profondeur en Wallonie est encore très limitée. Compte tenu du potentiel important identifié, il est attendu que le Gouvernement wallon soutienne le premier forage de notre projet pour confirmer la ressource en eau chaude afin de permettre le développement de cette nouvelle filière industrielle en Wallonie.
La technologie EGS
Les nouvelles techniques EGS (Enhanced Geothermal Systems) sont bien adaptées aux sous-sols calcaires tels ceux qui sont présents dans la région de Mons. Les sites les plus favorables contiennent déjà un aquifère, d’autres sites, dans des roches dures comme le granite, peuvent être stimulés par l’injection d’eau. Deux puits sont nécessaires : un puits d’extraction et un puits de réinjection C’est ce qu’on appelle un doublet. Avec les températures qu’on peut atteindre dans nos régions (120 à 150 °C environ), l’eau chaude extraite est utilisée dans un cycle binaire par échangeur thermique qui réchauffe un fluide de nature différente selon la température : de 100 °C à 120 °C on utilise de l’eau-ammoniaque et, au-delà de 120 °C, de l’isobutane, de l’isopentane, etc. Ce fluide à l’état de vapeur sous pression actionne une turbine qui entraîne un générateur qui produit de l’électricité. L’eau géothermique refroidie par ce procédé (à environ 70 °C) est ensuite réinjectée par le second puits.
Elle peut également être utilisée pour une seconde application, par exemple de chauffage urbain, ce qui augmente d’autant la rentabilité énergétique de la ressource.