Une nouvelle étude de l'IWEPS pointe certains défis pour la transition énergétique en Wallonie, notamment en matière de cohésion sociale. Gaëlle Warnant (Fédération Inter-Environnement Wallonie) a interviewé l'un des co-auteurs de cette étude.
L’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS) a récemment sorti une étude de prospective sur la transition énergétique en Wallonie. Une étude réalisée par un large consortium qui rassemble CLIMACT (pilote du projet), l’Institut pour un Développement Durable, l’UCL (CORE et la faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale et d’urbanisme), l’ULg (LENTIC), l’ICEDD et le Bureau fédéral du Plan.
Cette étude a été présentée en Commission Energie du Parlement wallon et elle s’avère très utile car avec elle, nos élus ont en main une base de réflexion intéressante et argumentée pour débattre du futur énergétique de la Wallonie. Allant bien au-delà des considérations technico-économiques habituelles, elle se penche sur les impacts sociétaux, sur les formes de gouvernance ou encore sur les modes de production et de consommation ou d’organisation territoriale… Au final, différents scénarios très contrastés, parfois déroutants, sont présentés et mettent en lumière combien la configuration de notre système énergétique impacte tous les compartiments de notre société, jusqu’à présenter des enjeux pour la cohésion sociale.
L’étude développe 4 scénarios prospectifs + un scénario de Développement Durable, à savoir :
– Scénario A : « Une Wallonie décentralisée dans un monde Kyoto+ »
– Scénario B : « Une Wallonie autonomiste, atypique dans un monde ‘pétro-optimiste’ »
– Scénario C : « Une Wallonie technologique et duale »
– Scénario D : « Une Wallonie suiveuse dans un monde conscientisé »
Chaque scénario est composé d’un prologue (le contexte dans lequel évolue la Wallonie), d’un cœur (description du système énergétique et des compartiments qui interagissent avec lui) et d’un épilogue (les résultantes des choix liés au système énergétique). Plus qu’une Xième étude sur le « Comment opérer la transition énergétique ? » et « A quel coût ? », l’étude imagine quelles pourraient être les implications d’un tel ou tel scénario en termes d’accès à l’énergie, d’aménagement du territoire, de formes institutionnelles, de participation démocratique, d’impact sur l’environnement…
Quelles questions et quelles réponses cette étude de prospective peut-elle amener dans le paysage énergétique actuel ? Quelles sont les questions que la Wallonie doit-elle se poser face à la transition énergétique ? On en parle avec Pascal Vermeulen, Managing Director chez Climact (photo ci-dessous).
Gaëlle Warnant (IEW) : Pouvez-vous préciser quel était le mandat reçu pour la réalisation de cette étude ?
Pascal Vermeulen (CLIMACT) : Dans le cahier des charges défini par l’IWEPS, l’accent était mis sur la prospective et l’approche exploratoire. Le but de l’étude est d’évoquer les enjeux de la transition énergétique pour le territoire wallon en imaginant des futurs possibles en prêtant attention aux ruptures, aux innovations, aux évolutions sociétales que ces futurs impliquent. Le mandat était de sortir des sentiers battus, d’éviter les tabous, d’aller plus loin que l’exercice habituel d’aborder les aspects techniques et économiques. La question était d’explorer ce que la transition énergétique pouvait avoir comme influence sur d’autres variables en intégrant le contexte international, les formes des structures institutionnelles…
G.W. : Une approche exploratoire qui a impliqué une diversité de partenaires.
P.V. : Oui et c’est la grande richesse de l’étude. Le consortium est pluridisciplinaire et aborde la question de la transition énergétique de manière transversale. Il est constitué d’académiques et de bureaux d’études et de conseils avec différentes expertises : urbanistes, sociologues, ingénieurs, économistes… C’est une très belle expérience d’avoir pu travailler de manière prospective et transversale. Cela pousse chacun à sortir de sa « zone de confort », à ouvrir le champ des questions. Il a fallu trouver un langage commun pour caractériser le système énergétique et pour la narration des scénarios. Il ne s’agit plus juste savoir combien d’éoliennes il faut installer mais aussi de réfléchir aux nouvelles formes institutionnelles, au type de gouvernance, à l’utilisation du territoire, aux implications pour la société.
G.W. : A la lecture des scénarios, on a presque l’impression de lire de la science-fiction. Pourtant, ceux-ci ont été construits sur base d’évolutions possibles de certaines variables et on entrevoit déjà aujourd’hui les conséquences de nos choix en matière énergétique.
P.V. : Oui, il s’agit de quatre scénarios de futurs possibles et nous aurions pu en construire d’autres. Il y a une argumentation crédible et étayée derrière chaque scénario. Nous avons procédé par une (longue) étape d’identification de variables (27 retenues au final), variables motrices ou dépendantes dont il a fallu étudier les interactions. Nous avons caractérisé les scénarios en combinant l’évolution des variables. Les forces et les faiblesses de chaque scénario ont ensuite été analysées, ce qui a permis d’établir des recommandations relatives à chacun de ces « chemins possibles ». Ce travail exploratoire s’inscrit sur un terme assez long. Il rend compte, à travers différents scénarios, que la façon dont va s’organiser le paysage énergétique peut découler de contextes politiques et institutionnels et va influencer des évolutions économiques et sociétales. Le scénario C « technologique et dual » par exemple rend compte du risque de dualisation de la société marquée par un accès inégal aux technologies et à l’énergie et un développement différencié du territoire. Quand on constate les problèmes de précarité énergétique actuels pour certaines parties de la population, ce n’est pas de la science-fiction !
G.W. : Une des choses très intéressante, et originale, dans l’étude est l’impact du modèle énergétique sur la cohésion sociale. Avez-vous le sentiment que les décideurs ont conscience de l’importance du choix du modèle énergétique comme facteur de fracture ou d’équité sociale ?
P.V. : Quand on parle d’énergie, on pense à des choses évidentes comme les sources de production, les réseaux, le stockage…Ce travail exploratoire et prospectif amène à considérer d’autres éléments qui touchent l’organisation de la société et l’accès aux ressources. Certains scénarios montrent clairement des risques de dégradation de la cohésion sociale. L’étude pointe aussi des évolutions positives possibles dans les modes de production alimentaire, de sobriété choisie et assumée, le renforcement de modèles coopératifs, l’émergence de nouvelles formes de partenariat… Les décideurs doivent dès aujourd’hui s’interroger sur la manière de gérer ces enjeux. Pour les décideurs, même si par définition l’exercice prospectif n’est pas assez quantifié, il met en lumière que les choix qui sont posés aujourd’hui en matière d’énergie sont tout sauf anecdotiques.
GW : Avez-vous été surpris par certains développements de scénarios ?
P.V. : Oui. Le fait que la cohésion sociale soit significativement impactée, quoique de manière différente dans chaque scénario, est certainement un des learning de ce projet. C’est un phénomène auquel on ne réfléchit pas a priori dans les études technico-économiques. Je ne m’attendais pas à ce que, dans une étude prospective sur la transition énergétique, on mette en évidence aussi clairement le risque de dualisation sociale avec une partie de la population qui vit dans une situation d’inconfort. Ce qui appelle à des questions sur la manière dont cette dualisation va être gérée par la population elle-même et par les pouvoirs publics.
G.W. : D’après vous, il y a-t-il un scénario qui plus de chance de se réaliser ?
P.V. : Le mandat reçu dans le cadre de cette étude n’était pas de prédire ce qui va arriver, ni de recommander un scénario plutôt qu’un autre. Je ne pense pas qu’un scénario va se réaliser plutôt qu’un autre. Ce sera davantage une combinaison d’éléments des différents scénarios… Le scénario où les orientations seraient définies par le cadre international et européen et où la Wallonie est suiveuse pourrait être considéré comme le plus proche de la réalité actuelle. Mais cette tendance peut changer très rapidement selon les inflexions données par les politiques wallonnes.
G.W. : Chaque étude ouvre de nouvelles portes, appelle à de nouvelles recherches. Qu’est-ce qu’il serait souhaitable d’explorer dans la foulée de cette étude ?
P.V. : Si le mandat donné au consortium par l’IWEPS était poursuivi, il serait intéressant de combiner les caractéristiques de certains scénarios et d’aller plus loin dans la quantification des implications de ceux-ci et l’élaboration des chemins de transition. Par exemple, évaluer le risque d’augmentation de la précarité des scénarios A et C, quels seraient les profils socio-économiques et combien de personnes seraient touchées… Il est certainement intéressant d’identifier plus clairement les opportunités dont la Wallonie pourrait bénéficier grâce à la transition énergétique. Sur quels axes se positionner ? Comment orienter l’innovation ? Comment faire de la Wallonie la région en pointe sur le stockage et la flexibilité ? Quels sont les acteurs qui pourront bénéficier ou perdre de la mise en œuvre de solutions ? Explorer également les nouveaux business models qui pourront émerger vu les implications sur les modes de production et de consommation.
G.W. : Des recommandations à appuyer ?
P.V. : Le futur énergétique de la Wallonie, c’est aujourd’hui qu’il se prépare. Il est important d’aider les citoyens à prendre conscience de la valeur de la ressource énergétique. Il faut continuer à travailler sur la réduction des consommations en y allouant les moyens. Informer également les citoyens des opportunités que peut offrir la transition énergétique, particulièrement en Wallonie où les débats sur le photovoltaïque ou l’éolien en ont donné une vision incomplète. La Wallonie doit se positionner rapidement, elle dispose d’un savoir-faire académique et technologique indéniable, il faut les développer via des pilotes, soutenir des projets via des business models innovants, oser prendre plus de risques… Oser repenser la fiscalité pour intégrer au moins partiellement les externalités environnementales. Cela demandera de lever certains tabous. La recommandation principale est de développer une vision énergétique à long terme, 2030 et idéalement 2050. D’autres pays comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne et maintenant la France, ont choisi une direction, ils développent des stratégies, mettent en place des mesures et s’y tiennent en acceptant quelques nuances. En Belgique, la vision gagnerait à être plus solide, à ne pas être modifiée en profondeur à chaque changement de coalition (lire également notre article La Belgique va-t-elle atteindre ses objectifs 2020 ?).