Premier projet industriel en Belgique pour convertir l’électricité verte en hydrogène

Le consortium Fluxys, Eoly et Parkwind va développer une installation « Power-to-gas » pour stocker les surplus de l’éolien offshore sous forme d’hydrogène. Le stockage inter saisonnier en Belgique, c’est parti !

L’annonce a fait grand bruit, fin avril, au sein du secteur belge de l’énergie durable : Fluxys (gestionnaire du transport de gaz en Belgique), le producteur d’énergies renouvelables Eoly (groupe Colruyt) et Parkwind, le développeur éolien offshore s’associent pour construire la première installation « Power-to-gas » à l’échelle industrielle en Belgique.

Le projet n’en est qu’aux prémices et l’étude de faisabilité détaillée doit encore être réalisée. Mais l’objectif est clair : convertir plusieurs mégawattheures d’électricité de sources renouvelables en hydrogène vert, qui pourra ensuite être proposé au marché en tant que carburant ou matière première décarboné(e).

Ce projet vise à compenser les variations des productions éoliennes et solaires par un stockage des surplus de production d’électricité afin de les restituer, sous forme d’hydrogène, lorsque le vent ou le soleil font défaut.

« Le parc de production électrique à partir des renouvelables étant appelé à croître dans les années à venir, les fluctuations croissantes deviendront un véritable défi« , explique Fluxys dans un communiqué. « Le projet entend apporter une solution à ce défi.« 

Dans ce cas précis, les partenaires vont examiner la possibilité d’utiliser l’installation « Power-to-gas » pour compenser les variations de la production d’électricité à partir des éoliennes en mer du Nord. Une fois l’électricité transformée en hydrogène, celui-ci pourra être transporté et stocké dans les infrastructures gazières existantes. « L’hydrogène vert, en tant qu’énergie ou matière première décarbonée, peut être utilisé dans les transports, la logistique et les processus industriels« , affirme encore Fluxys.

Le stockage inter saisonnier, le chaînon manquant

Ce projet industriel suscite un vif intérêt car il vient concrétiser une réponse à l’un des défis majeurs de la transition énergétique : stocker les productions renouvelables lorsqu’elles sont (sur)abondantes afin de pouvoir restituer cette énergie lorsque la météo est moins favorable.

Les productions renouvelables sont variables selon les conditions météorologiques du jour mais aussi selon les saisons. Nous savons que le soleil est moins présent en fin d’automne et en hiver et que le vent est plus régulier et plus fort à cette période. En Belgique, d’un point de vue énergétique, seulement 13% de la production photovoltaïque annuelle est produite de novembre à février, mais par contre l’éolien onshore produit près de 50% de sa production annuelle ces 4 mois de l’année – comme le montrent les observations de la météo belge des énergies renouvelables pour l’éolien et le photovoltaïque (graphiques ci-dessous).  Ces deux technologies sont donc très complémentaires sur l’ensemble de l’année.

Fig. Production électrique solaire photovoltaïque – Moyenne basée sur l’historique 2009-2018 – Source : météo des énergies renouvelables

Fig. Production électrique éolienne onshore – Moyenne basée sur l’historique 2012-2018 – Source : météo des énergies renouvelables

Pour bénéficier de ces sources tout au long de l’année, les professionnels de l’énergie parlent de stockage inter saisonnier : stocker par exemple les surplus de production solaire en été et les surplus éoliens en hiver pour les restituer durant les périodes particulières où ces sources sont en déficit simultanément. Les Allemands nomment ces périodes prolongées sans vent ni soleil Dunkelflaute (lire notre article Stockage de l’énergie : les chercheurs belges veulent relever les défis).

Dans le cas du projet belge « power-to-gas », il s’agira de stocker les surplus de production d’électricité éolienne en mer du Nord sous la forme d’hydrogène, un vecteur énergétique stockable.

Un intérêt économique

Si de grands acteurs industriels se lancent dans de tels projets, c’est notamment en raison d’intérêts économiques.

Actuellement, les surplus de production solaire et éolien sont injectés sur le réseau belge et revendus sur les marchés voisins, souvent à moindre prix (offre abondante et faible demande). On assiste même parfois à des prix négatifs de l’électricité. Ce fut le cas en Belgique début 2018 en raison de surplus de production éolienne (lire notre article Prix de l’électricité négatifs : une chance pour le stockage).

Or, économiquement, les producteurs d’énergie ont désormais intérêt à stocker ces surplus renouvelables et les revendre à un prix plus élevé lorsque la demande locale est plus importante.

Ce modèle économique s’imposera d’autant plus que l’Europe avance concrètement et rapidement vers un approvisionnement 100% renouvelables à l’horizon 2050. Le secteur de l’énergie aura besoin d’interconnections fortes entre les réseaux électriques nationaux et de solutions de stockage de grande ampleur.

La géopolitique de l’énergie s’en trouve profondément modifiée. Face à l’épuisement des énergies fossiles, les pays producteurs de pétrole pourraient même bientôt exporter vers l’Europe de l’électricité solaire stockée sous forme d’hydrogène. Une étude et de nouvelles réalités économiques tendent à le montrer (lire notre article Comment l’Arabie Saoudite pourrait nous vendre du renouvelable demain).

Qu’est-ce que le « Power-to-gas » ?

Les professionnels de l’énergie qualifient de « Power-to-X » (ou « P2X ») la transformation d’électricité en un autre vecteur énergétique. Ce vecteur « X » peut être de la chaleur (« Power-to-heat ») pour répondre à des besoins industriels ou alimenter des réseaux de chaleur. Ce vecteur peut également être un gaz de synthèse (« Power-to-gas ») : de l’hydrogène ou du méthane (via une méthanation).

Le « Power-to-gas » consiste à utiliser l’électricité excédentaire des productions renouvelables – principalement éoliennes et solaires – pour produire par électrolyse de l’oxygène (O2) et de l’hydrogène (H2). Ces gaz peuvent alors être aisément stockés ou valorisés à travers différents usages.

L’hydrogène peut être injecté tel quel dans le réseau de gaz naturel, mais dans une proportion très limitée : 2 à 3% au stade actuel. Cette limite est imposée par les gestionnaires de réseaux de gaz pour diverses raisons liées à la sécurité, à la structure des canalisations et des citernes de stockage, ou à la compatibilité avec les utilisateurs finaux (certaines turbines à gaz n’acceptent que de très faibles taux d’hydrogène).

Or cette limite n’a plus lieu si on transforme l’hydrogène en méthane de synthèse par réaction chimique avec du CO2. La fameuse question du stockage se trouve ainsi techniquement résolue via un autre vecteur – le gaz naturel – dont le destin économique est aujourd’hui lié à l’électricité, mais dont les capacités de stockage en termes de volume sont infiniment plus importantes.

Il est donc probable que le projet industriel belge explore aussi la piste du méthane de synthèse.

Pour mieux connaître la technologie « Power-to-gas » et ses applications, nous vous invitons à lire notre article L’électrolyse de l’eau pour valoriser l’électricité renouvelable excédentaire.

Nous vous proposons également deux interviews pour faire le point sur une filière en plein essor : L’hydrogène devient un vecteur énergétique d’avenir.