Pourquoi une taxe sur l’injection d’électricité photovoltaïque est une (très) mauvaise idée

Le Gouvernement wallon discute d’un avant-projet de décret qui annonce, pour les prosumers, l’introduction d’une contribution aux frais du réseau électrique. Voici pourquoi une contribution basée sur les flux de prélèvement d’électricité s’avère la meilleure des options.

La commission énergie du parlement wallon discutait, ce jeudi 13 octobre, l’avant-projet de décret relatif à la méthodologie tarifaire applicable aux gestionnaires de réseaux de distribution de gaz et d’électricité pour la période 2018-2022. Cet avant-projet précipiterait entre autre la fin de la compensation telle qu’elle est vécue par les prosumers photovoltaïques aujourd’hui (fin du « compteur qui tourne à l’envers »).

Il s’agit d’appliquer à tous les usagers, donc aussi aux prosumers (qui sont à la fois producteurs et consommateurs d’électricité), une contribution – dont les modalités d’application restent à déterminer – spécifique aux frais liés à l’usage que les prosumers font du réseau. En effet, malgré le fait que nombre d’entre-eux produisent, sur base annuelle, l’équivalent de leur consommation d’électricité avec leur système photovoltaïque, les prosumers restent des utilisateurs réels du réseau. Cet usage apparaît, entre-autre, via les prélèvements réalisés pendant la nuit ou lorsqu’un faible ensoleillement ne permet pas de fournir suffisamment d’électricité par rapport aux besoins.

Comme nous l’évoquions en 2015 dans notre article Quel tarif « réseau » pour les prosumers ?, les modalités d’application de cette contribution doivent permettre, d’une part de rémunérer justement le réseau et, d’autre part, d’être incitatives de nouveaux comportements vertueux du prosumer envers la collectivité.

Passons en revue les options ouvertes.

Le forfait ou la taxe « bête et méchante » qui impose le statu quo

La Flandre a choisi d’appliquer un tarif forfaitaire annuel, basé sur la puissance crête installée. Cette mesure « aveugle » est appliquée depuis juillet 2015 et ne tient pas compte des productions ni des consommations réelles d’électricité.

Sans impacts sur le comportement du prosumer, la taxe forfaitaire n’est pas durable et ne s’inscrit pas dans la transition énergétique nécessaire pour atteindre les objectifs européens.

A l’inverse du forfait, un système basé sur des flux électriques offre la possibilité, lui, d’orienter positivement le comportement du prosumer, tout en permettant de rémunérer justement le réseau pour l’usage réel qui en est fait.

A ce titre, il est nécessaire d’identifier les flux à considérer pour une contribution, comment les mesurer et qui doit être concerné à partir de quand.

Taxer les flux d’injection photovoltaïque : 3 effets pervers

Une taxe basée sur les quantités d’électricité injectées sur le réseau, aux moments où les systèmes photovoltaïques produisent plus d’électricité que leurs propriétaires n’en consomment, est une des deux manières de considérer le volume de sollicitation du réseau par les prosumers. Cependant, choisir cette option comme base de calcul pour rémunérer le service rendu par le réseau revêt trois effets pervers importants :

  1. Cette option inciterait les nouveaux prosumers à n’installer que 2 ou 3 capteurs photovoltaïques, là où ils pourraient en installer raisonnablement 5 fois plus. Un véritable frein au développement d’une filière pourtant appelée à contribuer aux objectifs de production renouvelables. Pire : on peut même imaginer que certains prosumers actuels coupent leurs systèmes photovoltaïques à certains moments, privant la collectivité d’une production solaire bénéfique pour l’environnement.
  2. Cette option inciterait les prosumers à consommer de l’électricité en journée à tout prix, quitte à allumer l’éclairage ou une chaufferette électrique en pleine journée d’été…
  3. Cette taxe accentuerait la fracture entre les prosumers et le réseau, en négligeant leur rôle, alors qu’ils offrent une plus grande sécurité d’approvisionnement, propre et local, à notre pays.

Il s’agit également de garder à l’esprit la cohérence des politiques menées. Est-il pertinent d’imposer une taxe sur l’injection d’énergie photovoltaïque locale et, dans un même temps, soutenir l’injection de biogaz dans le réseau public de distribution de gaz ? Seules des politiques incitatives sur l’injection – et non une taxe – favoriseront le développement attendu des filières renouvelables et permettront à la Wallonie d’atteindre ses objectifs européens en la matière.

Contribution sur le prélèvement d’électricité : 2 effets vertueux


Une contribution sur le prélèvement inciterait les prosumers à programmer leurs électroménagers en journée, quand leurs installations photovoltaïques produisent, réduisant ainsi les pics de production solaire sur le réseau.

Si la taxe sur l’injection ne réunit pas les vertus durables souhaitées, il reste la possibilité de calculer une contribution financière sur la base des quantités d’électricité que le prosumer prélève du réseau. Ceci arrive la nuit – forcément – mais également lors des journées à très faible ensoleillement. En légiférant de la sorte, on induit deux effets vertueux :

  1. Cette option inciterait les prosumers à réduire leur consommation d’électricité – taxée – et donc à déplacer leurs consommations en journée, aux moments où le soleil est présent. Cela est possible via la programmation diurne de différents appareils (lave-linge, lave-vaiselle, sèche-linge) et le déplacement de la production d’eau chaude sanitaire en journée. Ce comportement permet de réduire les pics d’injection photovoltaïque sur le réseau, facilitant ainsi la bonne gestion du réseau.
  2. Cette option inciterait également les prosumers à minimiser leurs consommations nocturnes et hivernales, via l’achat de systèmes performants (éclairage LED, frigos à faible consommation) et via un comportement économe.

 

Une contribution sur le prélèvement valorise ainsi le prosumer en tant qu’acteur vertueux d’un réseau durable. Son comportement renforce la sécurité d’approvisionnement en effectuant une grande partie de la gestion de l’énergie au point le plus proche de la production, via un circuit le plus court possible. Ce faisant, le prosumer permet de diminuer les pertes en ligne du réseau, contribuant directement aux frais de ce dernier en les amoindrissants.

Enfin, avec une mesure sur le flux de prélèvement plutôt que l’injection, le législateur garde la même logique pour tous les utilisateurs domestiques du réseau, qu’ils soient producteurs photovoltaïques ou pas.

Comment mesurer le flux de prélèvement ?

Pour appliquer une telle contribution, il est bien sûr nécessaire de mesurer avec précision les flux de prélèvement. Cela implique obligatoirement de changer le compteur de tête, celui du gestionnaire du réseau (GRD) qui se trouve entre le réseau et le tableau électrique, par un compteur dit « In / Out » ou « A+/A-».

Ce compteur mesure tous les flux en fonction de leur sens : d’injection (A-) ou de prélèvement (A+). Nos compteurs qui « tournent à l’envers » ne permettent pas, par principe, ce type de relevé.

En Région bruxelloise, le remplacement du compteur, financièrement à charge de l’utilisateur final, est systématique lors de la réalisation d’une installation photovoltaïque. Une contribution sur le prélèvement, qui stimule le prosumer à déplacer ses consommations lorsqu’il produit, est donc réalisable à Bruxelles, dès le 1er janvier 2018 (fin de la compensation à Bruxelles).

Pour appliquer une contribution sur les prélèvements, il est nécessaire d’installer un compteur dit communiquant (ou intelligent).

La Wallonie devrait s’équiper, mais de quoi ?

La situation est moins aisée en Wallonie, où ces compteurs n’ont pas été installés, et les avancées possibles sont bloquées par les atermoiements sur la question des compteurs dits communicants.

En effet, le remplacement du compteur de tête représente un coût non négligeable pour le prosumer. Par ailleurs il est également question, suivant entre autre l’impulsion européenne, de remplacer progressivement les compteurs de tête par des compteurs communicants, de manière à pouvoir réaliser des économies sur le relevé et mieux gérer le réseau.

Il paraît rationnel de combiner les deux intérêts en remplaçant, en une seule opération, le compteur de tête par un compteur ayant les 2 fonctions précitées. Valable de nombreuses années et directement profitable pour la collectivité, l’investissement serait sensé.

Ce compteur communiquant n’est cependant pas prêt, la Wallonie refusant jusqu’ici de déployer cette technologie, notamment pour des raisons de coût et de respect de la vie privée (voir la proposition de résolution du parlement wallon du 18 juillet 2016 relative à l’encadrement du déploiement des compteurs communicants en Wallonie).

Cette non-décision sème un gros doute sur la capacité réelle du gouvernement wallon à mettre en place une redevance, juste et incitative, pour la prochaine période tarifaire 2018-2022. Le risque étant que le législateur impose une taxe forfaitaire « bête et méchante » qui est certes efficace sur le plan du financement du réseau, mais qui s’avère contre-productive dans une démarche de transition énergétique.

Hurry-up !

Sur base des constats précédents, nous observons que des pistes concrètes et prometteuses existent. Si elles sont relativement neuves dans le paysage wallon, elles sont techniquement éprouvées par ailleurs et peu risquées. Il est cependant nécessaire que le monde politique soit visionnaire par rapport au futur énergétique de nos réseaux électriques et intègre, au plus vite, les éléments technologiques et régulatoires qui permettent de placer le prosumer au cœur du marché de l’électricité.

A défaut nous aurons simplement une taxe de plus.