La forêt européenne peut jouer un rôle important pour mieux stocker nos émissions de carbone. Des experts proposent de généraliser l’usage du bois dans la construction et la rénovation, pour remplacer les matériaux très émetteurs de CO2 tels que le béton, l’acier et l’aluminium.
The Shift Project, le think tank de référence pour la transition carbone, a publié un Manifeste pour décarboner l’Europe et formulé « 9 propositions pour que l’Europe change d’ère ».
Parmi celles-ci : renforcer le rôle de la forêt européenne comme puits carbone et doubler l’utilisation des produits bois dans le secteur de la construction d’ici 2050.
Nous synthétisons ici l’essentiel de cette proposition intéressante, développée par deux experts français : André-Jean Guérin et Felix Lallemand.
Un puits carbone vulnérable
Le saviez-vous ? Les forêts européennes sont en expansion depuis le 19ème siècle (elles se développent sur des surfaces agricoles abandonnées) et absorbent aujourd’hui 10% de nos émissions de CO2 via la photosynthèse.
Ce stockage du carbone atmosphérique est l’une des fonctions majeures des écosystèmes forestiers dans la lutte contre le changement climatique. Mais ce rôle de puits carbone est possible tant que la forêt est en croissance : il arrivera un moment où les arbres mourront et relâcheront dans l’atmosphère le CO2 absorbé durant sa vie. De plus, des perturbations (naturelles ou causées par l’homme) peuvent augmenter la mortalité des arbres et conduire à un relargage plus ou moins rapide du carbone qui y avait été stocké.
Deux questions se posent alors pour les forêts européennes : où se situe le taux de séquestration actuel par rapport au maximum attendu ? Le stock de carbone en place risque-t-il d’être déstabilisé par les conséquences du changement climatique ?
Selon l’analyse des deux experts, il semblerait que, malgré des prélèvements stables depuis le début du 21ème siècle, la production biologique (le nombre de stères disponibles) des forêts en place et le puits de carbone associé n’augmentent plus.
Cela s’expliquerait par l’effet combiné d’un ralentissement de la production dû au vieillissement des forêts et par une augmentation des perturbations naturelles en lien avec le changement climatique en cours : sécheresses et incendies estivaux, tempêtes, maladies, …
Autrement dit : les forêts européennes deviennent plus vulnérables et séquestrent moins de CO2 qu’espéré.
Nos maisons peuvent aussi stocker du carbone
Pour éviter ce déclin, The Shift Project propose de renforcer l’économie de la forêt et de doubler l’usage du bois dans la construction et la rénovation des bâtiments d’ici 2050.
Ces produits bois doivent nécessairement venir en remplacement de matériaux dont la fabrication émet du CO2 (béton, acier, aluminium…) et non pas s’ajouter aux usages actuels sans quoi aucune réduction n’est possible.
En intégrant du bois, nos maisons et bâtiments prolongeraient ainsi la séquestration du carbone forestier et réduiraient nos émissions dans le secteur de la construction.
Construire en structure bois plutôt qu’en béton permet d’éviter une part significative des émissions de CO2 liées au gros-oeuvre : en moyenne 55% pour une maison individuelle et 60% pour un logement collectif, sans prendre en compte le stockage de carbone.
Le bois comme matériau, puis comme combustible
Les experts expliquent pourquoi ils proposent d’orienter les filières bois vers un usage prioritaire comme matériau (bois d’œuvre) puis seulement comme combustible (bois énergie) :
- La transformation des troncs pour préparer du bois d’oeuvre génère des déchets qui peuvent être valorisés en énergie ou permettre la fabrication d’autres produits bois (bois industrie) eux-mêmes valorisables énergétiquement en fin de vie. Il y a ainsi un effet d’entraînement sur l’ensemble de la filière favorisant l’utilisation « en cascade » de la ressource ;
- Soutenir uniquement la filière bois énergie peut mener à une utilisation non optimale de la ressource, comme par exemple dans le cas d’une centrale biomasse qui produirait uniquement de l’électricité sans valorisation de la chaleur ;
- La valeur ajoutée et la création d’emplois sont supérieures dans la production de bois d’oeuvre et son usage dans la construction, par rapport à la simple valorisation énergétique ;
Le développement de l’énergie biomasse trouverait ainsi pleinement son sens dans de nombreuses cogénérations locales (production d’électricité et de chaleur) alimentées par les résidus des autres filières bois.
Les constructions en ossature bois permettent de maintenir le carbone stocké dans le bois d’œuvre et de remplacer les matériaux très émetteurs de CO2 tels que le béton, l’acier et l’aluminium.
Des effets positifs pour l’environnement et l’emploi
En conclusion, The Shift Project estime que mobiliser 100 millions de m³ de produits bois supplémentaires dans la construction permettrait une réduction des émissions annuelles de l’Union européenne d’environ 100 millions de tonnes de CO2éq en 2050, soit près de 4% de la totalité des réductions d’émissions nécessaires pour respecter notre « budget carbone ».
Cette réduction peut sembler faible mais se voit complétée par les 8 autres propositions du Manifeste pour décarboner l’Europe.
De plus, ce renforcement de l’économie de la forêt induirait d’autres effets positifs pour l’environnement : valorisation des terres abandonnées ou dégradées, reforestation, amélioration de la qualité de l’eau et des sols, gestion dynamique des ressources forestières, anticipation des changements climatiques sur l’écosystème forestier, …
Auxquels s’ajouterait la création de nombreux emplois non-délocalisables en Europe.
In fine, les citoyens européens pourraient ainsi vivre avec une forêt bénéfique pour leur bien-être.