Un projet pilote prend forme actuellement à Mery, en région liégeoise. Il pourrait constituer l’un des tout premiers micro-réseaux intelligents wallons. Une première à bien des égards.
L’idée est dans l’air depuis pas mal de temps déjà. Constituer, au cœur du réseau public d’électricité, des mini-réseaux privés autonomes à l’abri des risques de « black out ». Quelques acteurs locaux regroupés au bord de l’Ourthe, à proximité de Méry, ont décidé de faire le pas, en parfaite intelligence avec le gestionnaire de réseau Nethys-RESA, et avec la bénédiction du ministre wallon de l’économie, Jean-Claude Marcourt.
Des partenaires très complémentaires
A la barre, deux figures connues de l’Université de Liège. Le très médiatique professeur Damien Ernst et Willy Legros, ancien recteur de l’ULg (1997-2005) aujourd’hui conseiller du cabinet Marcourt et consultant chez Nethys.
Se retrouvent autour de la table : quelques acteurs industriels locaux gros consommateurs d’électricité (et donc fortement pénalisés par les pointes quart-horaire répétitives), deux producteurs d’énergie renouvelable – Merytherm (centrale hydro 200 kVA) et MeryBois (centrale photovoltaïque 60 kW) –, l’Université de Liège (centre de recherche Sirris) et CE+T, PME spécialisée dans l’électronique de puissance (convertisseur de puissance et stockage).
S’affranchir des contraintes de réseau
L’idée est de créer un ilot d’activité industrielle au sein duquel les consommateurs industriels concernés pourraient s’affranchir des contraintes du réseau traditionnel qui freinent systématiquement leurs investissements de croissance. Et cela via l’introduction d’unités de stockage se chargeant à la fois d’absorber, quand il le faut, les pointes de consommation et de stocker l’énergie excédentaire produite sur place par Mérytherm et la centrale photovoltaïque de Merybois pour la restituer lors des moments de pleine activité. Une façon de permettre une croissance industrielle locale optimale et harmonieuse sans contraindre le gestionnaire du réseau public à adapter systématiquement ses installations.
Les convertisseurs se font « routeurs énergétiques intelligents »
Techniquement, le côté « smart » du projet se manifeste surtout au niveau des convertisseurs nécessaires à différents endroits du futur micro-réseau.
Illustration du projet de micro-réseau à Méry.
Le but est de les utiliser non plus comme de simples convertisseurs de puissance destinés à adapter l’énergie produite à l’utilisateur aval, mais comme de véritables routeurs énergétiques.
A l’instar des routeurs de données qui véhiculent les données en informatique, ces convertisseurs « améliorés » transfèrent depuis et vers les différents utilisateurs les flux énergétiques émanant de sources d’énergie différentes (énergie renouvelable, énergie du réseau, énergie de batteries, etc.). Toute l’astuce consiste à les faire fonctionner entre elles de manière optimale : priorité aux productions renouvelables lorsqu’elles sont disponibles, puis on va décharger la batterie, et lorsque celle-ci est épuisée, on va prélever l’électricité directement sur le réseau. Tout cela se base sur un calcul prioritairement économique fondé sur la question : combien nous coûte le kWh dans chaque cas de figure considéré ? Ce qui suppose de disposer de l’algorithme le plus performant, d’où l’intervention de l’ULg.
Les équipements sont prêts
De ce côté, le gros du travail semble fait : les convertisseurs-routeurs sont prêts. Pratiquement, il s’agira de 13 modules de 20 kW capables d’alimenter aussi bien le réseau en alternatif ou directement l’autre réseau en continu.
Reste à dimensionner au mieux l’unité de stockage – en l’occurrence il devrait s’agir d’une batterie lithium fer phosphate – qui sera logée dans un conteneur adapté. A côté duquel le GRD (RESA) installera un petit transformateur qui permettra au micro-réseau d’être connecté au réseau électrique public. Restera alors à signer une convention entre les partenaires.
Quelques questions en suspens
Quelques questions se posent par ailleurs dans la foulée de ce projet pilote. Olivier Bomboir (CE+T) en soulevait une à l’occasion de la présentation du projet Mery lors d’un séminaire dédié au stockage le 5 octobre dernier à Liège : celle, volontairement provoquante, du maintien d’un marché fonctionnant tantôt en courant alternatif comme le réseau, tantôt en courant continu comme de nombreux équipements industriels et électroniques. Avec, à la clé, la multiplication de convertisseurs allant de l’un à l’autre. Gaspillage ? Que penser de l’idée d’un marché fonctionnant uniquement en courant continu ?
Sur un tout autre plan, on soulignera qu’en Wallonie les réseaux privés font l’objet d’une interdiction de principe, le GRD disposant d’un monopole sur ce terrain. Des exceptions sont néanmoins prévues (consommations temporaires, clients résidentiels, habitats permanents, immeubles de bureaux). S’appliqueront-elles au cas de Mery ? On peut le supposer vu l’appui du Ministre wallon de l’Economie. On notera à ce propos la toute récente proposition du régulateur wallon, la CWAPE, de modifier l’article 15bis du décret du 12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité. La proposition actuelle de texte mentionne que « sont autorisés, les réseaux privés dont les consommations des clients résidentiels avals ne sont que la composante d’un service global qui leur est offert par le propriétaire du site. ». Quelques mots bien choisis pourraient tout changer…