En France, les professionnels du photovoltaïque jugent le nouveau cadre tarifaire trop complexe. Un débat qui peut également inspirer la Belgique.
La France a adopté en mai 2017 un nouveau cadre tarifaire pour le photovoltaïque installé sur les bâtiments. Il suscite un vif débat au sein du secteur (lire notamment Le Journal du photovoltaïque, juillet-août 2017).
A l’heure où la Wallonie affine son futur tarif prosumer (lire notre article Le tarif prosumer wallon se précise), le débat français s’avère très instructif. Mélodie de l’Epine (photo ci-dessous), coordinatrice du pôle photovoltaïque de l’association Hespul, nous explique les enjeux.
Michel Huart (Renouvelle) : Comment sont apparues en France les notions d’autoconsommation individuelle et collective et quels en sont les enjeux ?
M. de E. (HESPUL): Au tout début de la filière photovoltaïque en France, de 1992 à l’an 2000, les installations bénéficiaient du net meteringc-à-d le principe du compteur qui tourne à l’envers. Ce principe a ensuite été abandonné, notamment parce qu’il induisait une baisse de revenus pour le gestionnaire de réseau public électrique qui ne percevait pas la TURPE sur les flux d’électricité déduits(NDLR : TURPE = Tarifs d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité. Notons que le même constat a été posé en Belgique, ce qui a amené le politique à remettre en question la compensation).
A partir de l’an 2000, des tarifs d’achat de l’électricité solaire ont été instaurés – le feed-in-tarif -, mais ils étaient trop bas pour permettre une rentabilité économique. Du coup, la plupart des contrats étaient réalisés sous la forme de « vente en surplus » c-à-d une autoconsommation partielle avec rémunération des excédents injectés sur le réseau.
A partir de 2006, suite notamment à de nouveaux tarifs d’achat de l’électricité solaire plus élevés et à la baisse des prix des installations photovoltaïques, il devenait plus intéressant de vendre en totalité son électricité solaire, dans le cadre d’un feed-in-tarif. Les tarifs d’achat de l’électricité photovoltaïque n’ont pas été adaptés à la conjoncture de baisse de l’investissement photovoltaïque et la filière a connu un boom d’installation en 2009 poussé par cette tarification devenue trop généreuse (NDLR Comme en Belgique). Cet élan a été stoppé net fin 2010 par un moratoire de l’Etat français sur cet arrêté tarifaire.
En 2011, un nouvel arrêté tarifaire a été instauré, mais il s’accompagnait de mesures très restrictives d’intégration dans le bâti. Cela limitait fortement les projets photovoltaïques. Seuls des petites installations (3kWc) intégrées dans le bâtiment étaient concernées.Les entreprises ont alors commencé à s’intéresser à des solutions d’autoconsommation, malgré un prix d’achat de l’électricité relativement bas en France.
M.H. : Et aujourd’hui, quel est le contexte en France par rapport à l’autoconsommation?
M. de E.: L’ordonnance de juillet 2016 donne un cadre juridique à l’autoconsommation, c’est à dire le fait pour un producteur, dit autoproducteur, de consommer lui-même tout ou partie de l’électricité produite par son installation. Et elle va même plus loin en donnant aussi une définition juridique à l’autoconsommation collective (NDLR: Ce que l’on appelle aussi « micro-réseau » en Belgique, lire notre article La France s’ouvre à l’autoconsommation collective).
Depuis mai 2017, nous avons un nouvel arrêté tarifaire qui change un peu la donne. Il fixe un panel de tarifs et de primes selon la puissance et selon le choix d’une vente « en surplus » ou vente « en totalité ». Mais comme vous pouvez le voir sur ce tableau, c’est très compliqué. Les particuliers ne s’y retrouvent pas.
En résumé, si on vend en totalité, on accède, pour les installations inférieures à 100 kWc sur bâtiment, à un tarif d’achat entre 11,5 et 22,5 centimes par kWh solaire. Plus l’installation est grande, plus le tarif est bas, car il y a des économies d’échelle.
Pour la vente en surplus, le projet bénéficie d’une prime d’investissement de 100 à 400 €/kWc (selon la taille) et d’un tarif de vente sur l’électricité injectée sur le réseau de 6 ou 10 centimes par kWh non-autoconsommé.Sachant que l’électricité autoconsommée a une valeur équivalente que le prix d’achat qui se situe entre 12 et 14 c€ HTVA pour les particuliers.
M.H. : Quelle est selon vous la formule la plus intéressante ?
M. de E. : Nous, notre position, c’est que l’autoconsommation partielle avec vente en surplus est un modèle vertueux (NDLR : Lire à ce sujet la note de positionnement de HESPUL). Elle permet de réduire les charges sur les autres consommateurs – car le fonds public ne rémunère que le surplus et non la totalité. D’autre part, HESPUL travaille avec les gestionnaires de réseau pour faire en sorte que le raccordement en vente en surplus soit gratuit et que les frais annuels soient très réduits. Ca lève pas mal de barrières (NDLR: Il en va de même en Belgique avec l’arrêt de la compensation, lire notre article Fin de la compensation pour les prosumers : menace ou opportunité ?).
M.H. : Comment les gestionnaires de réseau perçoivent-ils l’autoconsommation, individuelle ou collective ? Comme un manque à gagner problématique ?
M. de E. : Oui, il y a une inquiétude. La contribution au service réseau se base sur une part fixe et une part variable selon ce que l’on prélève du réseau. En autoconsommation individuelle, il n’y a pas de comptage. Et si on autoconsomme, on prélève moins du réseau, la contribution diminue. Le gestionnaire de réseau craint qu’il ne sera plus assez financé pour assurer sa mission. C’est d’ailleurs le même effet avec des actions d’efficacité énergétique. Une personne qui remplace son éclairage par des LED diminue aussi ses prélèvements d’électricité et contribue moins au réseau.
C’est pourquoi il est probable que l’on s’oriente vers un abonnement avec une composante fixe plus importante, qui permettrait de maintenir un niveau de financement équivalent pour la bonne gestion du réseau. C’est un peu comme en téléphonie : avant, on payait selon ses communications et, aujourd’hui, on paie plutôt un accès à un service et non pas le temps d’utilisation de ce service.
M.H. : Cette évolution serait un avantage ou un inconvénient pour le photovoltaïque ?
M. de E. : Tout dépend des montants fixes et variables qui seront appliqués.
Ca nous semblerait logique de passer à un coût forfaitaire en fonction de la puissance de raccordement. Ca enlèverait toute la question de « si je baisse ma consommation, je contribue moins au réseau et si je consomme plus, je contribue plus ». Parce que la plupart des coûts des infrastructures sont fixes, peu importe les flux sauf s’il y a des pics de flux électriques.
M.H. : Parce que c’est la gestion des pics qui est coûteux pour le gestionnaire de réseaux ?
M. de E. : Oui. Parfois, on se retrouve obligé de renforcer le réseau pour 15 minutes de fonctionnement par jour. Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux de faire un écrêtement de la production et de la consommation au lieu de renforcer ?
M.H. : Les choix politiques qui sont faits en France peuvent-ils inspirer la Belgique ?
M. de E. : Ce qui est important, c’est de veiller à proposer un cadre réglementaire et tarifaire simple pour que le particulier puisse se l’approprier. Il faut viser la simplicité. Nous conseillons la mise en place d’un système d’obligation d’achat avec la vente du surplus à un tarif adapté. Ça permet d’éviter de brider la taille des installations, d’écouler les excédents, d’assurer une solidarité entre ceux qui autoconsomment et les autres consommateurs (NDLR: Ce qui s’approche du futur tarif prosumer wallon si on choisit de payer au prélèvement, lire notre article Le tarif prosumer wallon se précise). Et nous recommandons d’éviter de devoir passer pardes outils de pilotage sophistiqués qui peuvent être coûteux.