Pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2°, il faudrait laisser dans le sol 2/3 des réserves fossiles. Y parviendra-t-on ? Et comment ? Un faible niveau du prix de l’énergie pourrait y contribuer. Mais d'autres leviers seront nécessaires.
La Conférence de Paris sur le Climat a réussi un consensus politique autour d’une urgence : maintenir le réchauffement climatique sur terre en deçà des 2°C. Sachant que les énergies fossiles sont responsables de 2/3 des émissions de gaz à effet de serre, dont 35% sont dues au pétrole, questionner et faire évoluer nos modes de production énergétique apparaît comme une priorité dans ce débat. Comment imaginer un futur sans pétrole ? Peut-on à l’avenir continuer d’exploiter le pétrole ou doit-on le laisser sous terre ?
Le Réseau Belge Ressources Naturelles organisait le 18 novembre dernier une journée de rencontre-débat pour poser ces enjeux. En voici quelques lignes directrices.
Comment expliquer les bas prix du pétrole ?
Le pétrole est un bien marchand soumis à la logique de l’offre et de la demande. Bien que le pétrole soit par définition une ressource épuisable, les réserves, par contre, évoluent avec les conditions de marché. Plus le prix augmente, plus les réserves vont augmenter car il devient rentable de les exploiter. On constate que les réserves n’ont cessé d’augmenter jusqu’à aujourd’hui, surtout en raison de l’évolution des technologies de production qui permettent d’exploiter du pétrole auparavant inexploitable (offshore, pétrole non conventionnel, …). On considère en effet une réserve comme une ressource identifiée et exploitable aux conditions économiques et technologiques du moment.
Les prévisions du pic pétrolier s’en trouvent donc démenties. A titre d’exemple, une théorie des années 50 avait prévu que les États-Unis arriveraient au maximum de leur production en 1970 mais c’était sans prévoir l’Alaska, le pétrole offshore dans le Golfe du Mexique et le pétrole de schiste.
Cependant, l’on voit aujourd’hui que la baisse du prix du pétrole freine de nouvelles exploitations pétrolières, préservant, pour le moment, des régions telles que l’Arctique (lire l’article du journal Le Monde Les pétroliers qui ont reculé face à l’Arctique).
En 2014, le prix du baril est en effet passé sous la barre des 50 dollars, soit le prix le plus bas depuis 2009. Cette situation assez inédite s’explique par un déséquilibre entre l’offre et la demande. Le ralentissement de l’économie globale, et notamment de la Chine et des pays émergents, a entraîné une baisse de la demande. La faible croissance économique de l’Europe a été également un facteur aggravant.
Parallèlement, le niveau de l’offre reste élevé. Les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial en 2014 grâce à l’exploitation de gisements non conventionnels. L’Arabie Saoudite a quant à elle maintenu son niveau de production, elle qui d’habitude l’ajuste pour garantir des prix entre 80 et 100 dollars le baril.
Mais la logique financière n’explique pas tout. Ce sont surtout les raisons politiques, sociales et environnementales qui interviennent pour décider ou non de l’exploitation de la précieuse ressource.
Pourquoi laisser le pétrole sous terre ?
Certains pays sont victimes de la malédiction des ressources. Les populations d’Amazonie au Pérou, bien que petit producteur de pétrole au niveau mondial, souffrent directement de la présence du pétrole qui ne contribue en rien à leur développement mais dont l’exploitation dégrade leur cadre de vie durablement. 70% du territoire national est sous concession gazière ou pétrolière, sans compter les 20% sous concession minière. La quasi-totalité du pays est ainsi vendue à des entreprises.
De manière générale, les pays qui se lancent dans la production aiguë de ressources naturelles comme le pétrole impacte leur secteur manufacturier – syndrome connu sous le terme de « maladie hollandaise ».
En effet, la demande forte en produits pétroliers engendre une appréciation croissante du taux de change de la monnaie, qui se répercute sur les produits d’autres secteurs, dont le prix se voit augmenté et qui perdent donc en compétitivité.
Le pétrole est également facteur de conflit car il peut devenir, dans certains pays, la seule manière d’avoir accès à la richesse. Il peut donc faire l’objet de luttes de pouvoir violentes.
Finalement, le réchauffement climatique se dresse comme une contrainte majeure pour le secteur pétrolier. Si l’on ne change rien à notre consommation énergétique, on s’aventure vers des scénarios climatiques imprévisibles et dramatiques. Dans le 5ème rapport du GIEC est apparue la notion de budget carbone, c’est-à-dire les émissions de CO2 maximales qui peuvent être répandues dans l’atmosphère pour maintenir le réchauffement climatique en-dessous des 2°C.
Selon les calculs du GIEC, en 2011, il nous restait 1.000Gt de CO2 à émettre – soit 1.000 milliards de tonnes de CO2. Si la vitesse d’émissions ne diminue pas, ce budget sera épuisé en 2037. Pour respecter le budget déterminé par le GIEC, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) nous dit que 2/3 des réserves fossiles prouvées devraient rester dans le sol ! Il n’y aurait donc aucune raison de poursuivre les explorations de combustibles fossiles.
Comment amener les pays à ne pas extraire le pétrole ?
Plus personne aujourd’hui n’ignore la menace que représente le réchauffement climatique. Même les États-Unis ont identifié le changement climatique comme un des risques majeurs de leur Stratégie Nationale de Sécurité.
L’AIE prévoit qu’à l’horizon de 2040, la consommation de pétrole et de charbon va diminuer et celle de gaz augmenter.
Pour Jean-Louis Nizet, Secrétaire général de la Fédération pétrolière Belge, « il s’agit d’une partie de la solution. Si l’on remplace une centrale à charbon par une centrale au gaz, l’on divise les émissions de CO2 de 60% ». Selon lui, le secteur pétrolier est favorable à un accord sur le climat comprenant une politique énergétique qui conjugue à la fois les impératifs climatiques, la sécurité de l’approvisionnement et la compétitivité des entreprises.
Pour que les entreprises s’engagent, il faut que les mêmes règles soient appliquées à toutes les entreprises et qu’un système de contrôle des engagements soit mis en place, explique Jean-Louis Nizet.
Face au défi gigantesque et incontournable du réchauffement climatique, les changements comportementaux sont essentiels bien que difficiles à modéliser. Et ils peuvent être rapides. « En 10 ans, il est possible de changer les habitudes de mobilité des personnes », explique ainsi Noé Lecocq d’Inter Environnement Wallonie. Tandis que Greenpeace propose aux citoyens 10 façons simples d’utiliser moins de pétrole).
Un moratoire sur les énergies fossiles
Pour sortir pleinement d’une économie carbonée, Maxime Combes, économiste, membre d’Attac France et de l’Association internationale des techniciens, experts et chercheurs, plaide pour un moratoire :
« La communauté internationale et les pays membres de l’ONU seraient donc bien avisés de déclarer un moratoire général sur toute nouvelle exploration d’hydrocarbures. Une telle décision libérerait les financements nécessaires à la transition – écologique – des modèles de production et de consommation. Des politiques de sobriété et d’efficacité énergétique pourraient voir le jour, et les énergies renouvelables, plutôt que s’additionner aux énergies fossiles et fissiles, pourraient s’y substituer » (lire sa carte blanche dans le journal Le Monde).
Cette démarche va de pair avec une réduction progressive des subsides accordés aux énergies fossiles par les gouvernements, condition nécessaire à la mise en place d’une taxe carbone (lire nos articles Energie : Entre prix de marché et coût vérité et Prix du carbone : les entreprises veulent la clarté ).
Selon l’AIE, cette décision entraînerait une diminution de la consommation des énergies fossiles et une réduction importante des émissions de CO2. Ces soutiens financiers pourraient alors être réorientés vers les énergies renouvelables, qui en deviendraient d’autant plus concurrentielles (lire également nos articles Désinvestir les énergies fossiles ? et Histoire du pétrole : des premiers puits américains à nos jours ).