La Wallonie planche sur le calendrier réglementaire censé rencontrer les objectifs PEB imposés au secteur immobilier d’ici 2020. Les professionnels appellent à la modération.
NZEB. Tout est là. Nearly Zero Energy Buildings. D’ici le 31 décembre 2020, les nouvelles constructions européennes sont supposées flirter (nearly) avec le « zéro énergie ». Et en ces temps de crise et de contraintes budgétaires, cet objectif a le don de faire flipper le secteur de la construction. Et tout particulièrement les acteurs du « clé sur porte » particulièrement soucieux de contenir leurs coûts. Dans leur ligne de mire, l’évolution « trop rapide » de la réglementation sur la Performance Energétique des Bâtiments (PEB). Ils soutiennent que celle-ci aurait d’ores et déjà « provoqué une augmentation de 10 % des coûts de construction (à euros constants) entre 2008 et 2013 ». Et ils redoutent que, les exigences prudentielles des banques aidant, cette évolution ne conduise à ce que « de moins en moins de ménages auront la capacité d’investir dans la construction neuve ou la rénovation de leurs biens ».
Mais ils ne sont pas seuls à crier au loup, puisque de nombreux professionnels du secteur, dont notamment des architectes, soulignent que les objectifs poursuivis pourraient bien aller au-delà de l’optimum économique. Autrement dit que les coûts consentis pour les atteindre dans le cadre de la construction proprement dite ne seraient plus couverts par les gains engrangés durant la durée de vie normale du bâtiment. Le mieux est l’ennemi du bien soulignent-ils…
Les discussions menées au niveau de l’administration wallonne (DGO4) pour tenter de dégager une feuille de route à l’horizon 2020, n’ont pas vraiment réussi jusqu’ici à calmer le jeu. Mais l’un des objectifs du secteur est d’ores et déjà rencontré, puisque le Ministre Furlan a déjà posé le pied sur le frein en déclarant au Soir : « En matière de normes énergétiques, je veux être ambitieux, mais aussi raisonnable… Le secteur a besoin de stabilisation ».
Nous sommes allés chercher le point de vue de ceux qui, à l’administration wallonne (DGO4 – Département de l’Energie et du Bâtiment durable), s’efforcent de tracer la route à suivre pour rejoindre dans les meilleures conditions l’objectif européen. Entretien avec Monique Glineur et Benoît Fourez.
Jean CECH (Renouvelle): Pour nous en tenir aux critiques qui concernent directement les objectifs PEB, on vous reproche en somme de trop vous focaliser sur la performance au mètre carré au mépris des autres objectifs de durabilité…
Monique Glineur (SPW – DGO4): Tout se tient. Il s’agit bien d’inscrire la performance énergétique dans des objectifs plus globaux. Et je pense que nous l’avons toujours fait au sein de ce département. Nous avons pris de nombreuses initiatives dans cet esprit. Et encore récemment dans la formulation des récentes actions « bâtiments exemplaires ». La réglementation actuelle est par ailleurs intégrée dans le CWATUPE.
J.C. : La directive pousse clairement à se rapprocher du « zéro énergie ». Le critère « passif » souvent évoqué dans ces débats n’est-il pas le « pas trop loin » Celui qui déborde du raisonnable et de l’optimum économique qui est inscrit dans les textes… ?
M.G. : A mes yeux, c’est un faux débat. Et c’est tout le nœud du problème. La terminologie « passif » a crispé le dialogue avec le secteur. Car elle fait référence à une solution unique, fondée sur des critères très cadrés à la manière du standard passif allemand. Or la notion de « passif » à son origine renvoie plutôt à une réflexion en amont sur ce qu’on peut gagner d’emblée dès la conception d’un bâtiment, par sa situation, son orientation, ses volumes, etc. On a parlé d’exigences proches du standard passif en ce qui concerne l’enveloppe du bâtiment. Mais la directive laisse le choix entre différentes solutions pour se rapprocher du « zéro énergie ». Nous n’avons jamais fait du passif la référence absolue. C’est à nos yeux une des approches possibles. Il y en a d’autres. Ce que nous sommes appelés à faire c’est définir jusqu’où pousser nos exigences par rapport à l’enveloppe d’un bâtiment et, à partir de là, voir les solutions envisageables – dont le recours accru aux SER – pour atteindre le résultat final exigé. C’est tout cela que, globalement, nous avons voulu mettre en débat avec les professionnels.
J.C. : Il n’en demeure pas moins que le durcissement de cette réglementation débouche nécessairement sur des surcoûts qui pourraient, le budget des ménages étant ce qu’il est, pénaliser l’accès au logement.
M.G. : Nous sommes en 2014 et la réglementation PEB impose déjà des exigences qui sont appliquées dans la réalité d’aujourd’hui. Une certaine partie de la profession estime que cela engendre des coûts insupportables. Cela demande à être nuancé. Les surcoûts évoqués, même si j’en conteste personnellement l’ampleur, valent pour la situation actuelle et on sait que les marchés évoluent en fonction de la demande. On le voit déjà dans des domaines comme le vitrage ou l’isolation.
Maintenant, la directive impose certains aménagements d’ici 2020 pour nous rapprocher encore du zéro énergie. Je ne préjugerai pas de l’équilibre des surcoûts et des gains qui seront évalués à cette échéance. Notre volonté est de mettre en place, en concertation avec les professionnels, une progressivité telle que cela puisse se faire de la manière la plus indolore. Mais cela suppose un plan d’action et des balises qu’il va bien falloir préciser pour combler le gap entre la situation actuelle et celle que préconise l’Europe. Quant à l’impact sur l’accès au logement, je ne suis pas sûr que la PEB soit la première à incriminer…
Benoît Fourez : Ce qui nous a toujours paru important dans ce type de démarche, c’est de contribuer à y préparer le secteur en aidant les professionnels à se former. C’était déjà notre objectif de 2004 à 2012 avec l’action « Construire avec l’Energie ». C’est encore ce que nous nous efforçons de faire à travers la feuille de route que nous avons voulu discuter avec le secteur. Tout en sachant que le calendrier est ici imposé par l’Europe. Les dates butoir sont bien 2019 pour les bâtiments publics et le premier janvier 2021 pour tous les autres types de bâtiments. Ce délai va nous permettre de préciser les exigences à respecter, d’identifier les besoins en formation, de formaliser les cahiers des charges pour les appels d’offres de bâtiments publics, etc. Parce que tout cela ne pourra pas se faire du jour au lendemain.
J.C. : Mais tout cela ne répond pas pour autant à cette question de tempo et d’accès au logement pour les plus démunis…
M.G. : C’est vrai. Mais cela débouche sur un vaste problème de société. La question d’être propriétaire de son logement comme c’est devenu un must chez nous, ou de le prendre en location. Certains experts que nous avons consultés sont d’avis que c’est à ce niveau qu’il faudrait d’abord reconsidérer les choses sur un plan strictement financier. Ce qui est clair de notre point de vue, c’est qu’on s’oriente de plus en plus vers des logements moins spacieux, plus souvent mitoyens, etc. Pour ce qui est du tempo, vu la date butoir européenne, il nous semblait utile de définir des objectifs intermédiaires en 2016, pour faire progresser les pratiques en douceur. Mais là encore des crispations se font sentir… Nous avons bien enregistré la demande du secteur de ne pas multiplier sans cesse les petits changements successifs…
J.C. : Tous ces délais ne peuvent-ils pas effectivement paraître un peu serrés pour un secteur professionnel qui réclame du temps pour évoluer… ?
M.G. : C’est vrai. Il faut rappeler que la réglementation PEB wallonne n’est réellement en application que depuis 2010. La Flandre s’était mise en route dès 2006. Déjà, c’était une grosse révolution pour le secteur comme pour l’administration. Nous aurions souhaité consolider les pratiques avant d’envisager 2020. Les circonstances ont fait qu’on doit presser le mouvement pour s’inscrire dans le calendrier européen.
J.C. : Avec le risque entretemps d’entretenir cette incertitude, ce flou réglementaire, que le secteur de la construction, orienté sur le long terme, redoute le plus…
B.F. : Raison de plus pour aller de l’avant sans attendre. Les messages alarmistes émis sans trop de nuances – notamment au niveau des fameux 10 % de surcoût –par le secteur ces derniers mois ajoutent à ce flou que vous évoquez. Je crains que les particuliers qui y sont confrontés ne s’en trouvent encouragés à un certain attentisme. Et que finalement, voulant bien faire en mettant leurs propres doutes sur la place publique, les entreprises du secteur de la construction n’en viennent à brouiller la communication et au final à freiner encore le marché dont ils perçoivent le ralentissement …
Bruxelles tire son épingle du jeu
Le débat relancé ces derniers mois au niveau du secteur wallon de la construction n’est pas neuf. Il avait déjà émergé il y a plus d’un an en Région bruxelloise lors de la mise en place de l’accord « Bruxelles passif 2015 » ratifié par le Gouvernement bruxellois le 21 février 2013. Celui-ci se voulait l’étape intermédiaire permettant aux acteurs de se préparer à l’objectif fixé par la directive Recast. Suite à la concertation avec le secteur, l’adoption à partir du 1er janvier 2015 du standard passif pour tout projet de construction ou de rénovation lourde, avait été « retoquée » et assortie de trois bémols. Le premier consistait en la possibilité d’opter pour une « piste B » alternative au standard passif traditionnel (piste A) et recalculant (de manière automatique via le logiciel PEB) les exigences à respecter en limitant le niveau d’isolation à des valeurs plus « raisonnables » dans certaines situations. Le deuxième offrait une plus grande liberté en matière de ventilation. Le troisième reportait à 2018 l’entrée en vigueur effective de l’exigence en matière d’étanchéité à l’air. De quoi adoucir quelque peu la pente vers les Nearly Zero Energy Buildings tant redoutés. Quant aux surcoûts induits, il avait été estimé que pour un logement classique de 150 m2, le temps de retour se limitait à une douzaine d’années, les +10 % évalués à la construction étant progressivement compensés par -11 % à l’usage.