Le Bureau fédéral du Plan a analysé deux scénarios possibles pour un système énergétique belge décarboné en 2050. Dans les deux cas, l’hydrogène vert sera essentiel et pourrait atteindre de 80 à 99 TWh, soit environ 1/3 de la consommation totale d’énergie de la Belgique à cet horizon. Voici comment et pourquoi.
L’hydrogène vert – produit par électrolyse de l’eau – constitue le vecteur idéal pour stocker les productions d’électricité éolienne et solaire quand elles sont abondantes – beaucoup de vent en hiver et de soleil en été – puis restituer cette électricité sur le réseau quand le vent et le soleil font défaut et que les productions renouvelables sont donc plus faibles.
On parle de stockage inter saisonnier car l’hydrogène peut se stocker sous différentes formes (gaz et liquides) très stables durant de nombreuses semaines ou mois. Dès lors, des surplus solaires de l’été pourront, par exemple, être consommés à d’autres saisons, tout comme les surplus hivernaux de l’éolien, afin de fournir une électricité renouvelable tout au long de l’année.
Le stockage sous forme d’hydrogène s’avère plus facile que par batterie. En tant que gaz, il peut être injecté tel quel dans le réseau gazier existant ou être compressé et conservé dans des conteneurs conçus à cet effet.
Ce gaz vert n’émet ni CO2 ni pollution atmosphérique. Il peut être utilisé dans de nombreux secteurs : industries, logements, commerces, transport, production d’électricité, …
La croissance des productions renouvelables en Europe ouvre de réels intérêts économiques pour développer ce vecteur, en pleine expansion industrielle (lire notre article Hydrogène vert et Covid-19 : entre émergence industrielle et inquiétudes financières).
Au niveau mondial, le Japon et la Corée du Sud ont développés des feuilles de route relatives à des économies basées sur l’hydrogène et la Chine a inscrit l’hydrogène au sein de sa stratégie énergétique de son plan quinquennal (2021-2025).
En Europe, l’Allemagne et les Pays-Bas, notamment, préparent des productions industrielles d’hydrogène vert.
En Belgique, la forte croissance du parc éolien en mer du Nord et ses records de production poussent également les acteurs industriels à développer ce mode de stockage (lire notre article La Belgique prépare la production et le transport à grande échelle d’hydrogène vert).
Autre signe qui ne trompe pas : Fluxys, gestionnaire du réseau gazier en Belgique, développe désormais une stratégie totalement orientée vers l’hydrogène, en partenariat avec des clusters industriels locaux dans les principales villes de Belgique (jetez un coup d’œil sur leur approche de la transition énergétique).
L’Europe a également adopté une stratégie pour l’hydrogène visant à installer une capacité de 40 GW d’électrolyseurs pour l’hydrogène renouvelable à l’horizon 2030, en phase avec le Green deal et le plan de relance européen (lire ce communiqué).
Les surplus des productions photovoltaïque et éolienne peuvent être stockés, par électrolyse de l’eau, sous forme d’hydrogène (H2). Ce gaz vert peut ensuite être utilisé dans l’industrie ou, après raffinage, comme carburant pour le transport. L’hydrogène peut également être transformé en méthane de synthèse (CH4), par adjonction de CO2, puis injecté sans restriction dans le réseau de gaz naturel pour diverses utilisations : transport, production d’électricité ou de chaleur.
Deux scénarios
Au niveau belge, le Bureau fédéral du Plan a analysé deux scénarios possibles pour un système énergétique décarboné en 2050 : nous pouvons soit développer une “forte électrification” de la consommation finale d’énergie, soit renforcer un “approvisionnement diversifié” par l’usage du gaz (gaz de synthèse d’origine renouvelable, biogaz et gaz naturel – fossile donc mais avec capture et stockage du carbone).
Ces deux scénarios respectent l’objectif de l’Accord de Paris sur le Climat – limiter la hausse de la température de 1,5 °C – et ouvrent la voie à une décarbonation totale (émissions nettes de gaz à effet de serre nulles) de l’ensemble de notre consommation d’énergie (pas uniquement l’électricité) d’ici 2050.
Dans les deux cas, les besoins de flexibilité sont essentiels dès lors que l’éolien et le solaire représentent 58 % à 60 % de la production intérieure d’électricité. Puisqu’elles sont tributaires des conditions météorologiques (l’électricité n’est produite que si le vent souffle et que le soleil brille), d’autres moyens de production, de gestion de la demande et de stockage – notamment sous forme d’hydrogène – doivent pallier les insuffisances.
Vient en outre s’ajouter, à ces besoins de flexibilité, la dynamique de la demande (les pics journaliers, jours de la semaine/week-end, les cycles saisonniers).
Les besoins de flexibilité sont plus importants dans le scénario « approvisionnement diversifié » et les électrolyseurs (nécessaires à la production d’hydrogène), combinés aux centrales au gaz, assurent l’essentiel de la flexibilité sur base quotidienne, hebdomadaire et annuelle.
Dans le cas d’une « forte électrification », les importations d’électricité et les véhicules électriques jouent un rôle plus important dans la flexibilité quotidienne et hebdomadaire (les voitures électriques assurent un stockage mobile des surproductions photovoltaïques). Les électrolyseurs contribuent toutefois ici aussi à alléger les besoins de flexibilité et couvrent la moitié des besoins annuels.
Dans les deux scénarios, l’hydrogène vert est donc appelé à jouer un rôle déterminant.
De 80 à 99 TWh d’hydrogène belge
Selon le Bureau fédéral du Plan, la demande d’hydrogène deviendra importante en Belgique, comprenant l’hydrogène pur et l’hydrogène transformé ensuite en gaz et liquides de synthèse.
Si la Belgique envisage de produire une (grande) partie de cet hydrogène sur son territoire, elle devra prévoir un grand éventail de sources d’énergie renouvelables (y compris le biogaz). En effet, la production domestique d’hydrogène par le biais d’électrolyseurs pourrait atteindre de 80 TWh (“forte électrification”) à 99 TWh (“approvisionnement diversifié”).
L’importation d’hydrogène est une option complémentaire : elle augmentera s’il n’y a pas ou peu d’électricité bon marché disponible et/ou si le prix de la production d’hydrogène à l’étranger et de son transport vers la Belgique est plus intéressant.
C’est ainsi que l’on pourrait bientôt voir des pays du Moyen-Orient stocker leurs productions photovoltaïques sous forme d’hydrogène et exporter ce gaz vers l’Europe à bord de méthaniers (un modèle économique baptisé “shipping the sunshine” – lire notre article Comment l’Arabie Saoudite pourrait nous vendre du renouvelable demain https://www.renouvelle.be/fr/technologies/comment-larabie-saoudite-pourrait-nous-vendre-du-renouvelable-demain ).
A l’avenir, les méthaniers pourront transporter de l’hydrogène produit au Moyen-Orient ou au Chili à partir d’électricité verte.
Encourager les investissements
Le système énergétique du futur repose sur de nombreuses infrastructures et un grand nombre d’investissements doivent encore être réalisés, réitérés ou modernisés.
En Belgique, les deux scénarios comptent, en 2050, sur une capacité installée de 39 GW de solaire photovoltaïque (sachant que le plan Air-Climat-Energie de la Belgique prévoit 11 GW en 2030) et de 25 GW d’éolien. En revanche, la capacité d’électrolyse, d’interconnexion et des centrales au gaz varie selon les scénarios. La première s’élève à 19,1 (10,6) GW dans “approvisionnement diversifié” (“forte électrification”), la deuxième représente 14 (14,4) GW et la troisième 11,0 (15,8) GW.
Si l’on veut encourager les parties prenantes potentielles à investir des capitaux dans le développement de tels systèmes, il est de la plus grande importance de créer un cadre réglementaire et politique stable. À cet égard, outre l’ambition affichée dans le Green Deal, la dernière proposition de la Commission européenne en matière d’objectif de réduction des émissions totales de gaz à effet de serre pour 2030 et le règlement imminent sur le climat ne sont pas de simples déclarations, elles créent un cadre dans lequel devraient s’inscrire des politiques nationales pérennes.