L’hydrogène devient un vecteur énergétique d’avenir

L’hydrogène, produit avec les excédents renouvelables et combiné à la technologie des piles à combustibles, devient une filière crédible pour remplacer les énergies fossiles. Mais le nouveau modèle économique le plus pertinent a encore bien du mal à se préciser.

Le 1er décembre dernier, une journée réunissait aux Moulins de Beez divers acteurs actifs dans la filière hydrogène-énergie. Objectif : faire le point sur la situation actuelle de cette option en Belgique. L’événement était organisé par l’asbl H2Net, qui entend promouvoir tout ce qui touche à l’hydrogène vert, c-à-d issu des énergies renouvelables.

Le public était relativement restreint, mais le programme particulièrement riche en réflexions et en pistes de recherche déjà largement défrichées. De quoi prendre la mesure d’une mobilisation qualitativement impressionnante dans un pays où ne se distinguent pas encore de réels challengers industriels sur ce terrain (nous en évoquions différentes pistes dans notre article L’électrolyse de l’eau pour valoriser l’électricité renouvelable excédentaire)

De quoi aussi s’interroger sur ce qui peut être vu comme une forme d’attentisme de la part des acteurs industriels susceptibles de mener le mouvement et (surtout ?) des acteurs institutionnels pressentis pour baliser le terrain, notamment au niveau réglementaire.

Nathalie Job (ULg), active sur de nombreux projets H2 actuellement en cours,  professeure associée et chercheuse à ULg (departement of Applied Chemistry) et auteure de nombreux articles sur le sujet, nous livre son sentiment.

« Personne ne tient vraiment à être le premier »

Jean Cech (Renouvelle) : Voici près de dix ans, la presse était conviée au Cinquantenaire à Bruxelles à la présentation de la première voiture, une BMW, roulant à l’hydrogène. On n’en a pratiquement plus entendu parler depuis. Et voilà qu’on affiche fièrement aujourd’hui une Toyota Mirai (photo ci-dessous) roulant elle aussi à l’hydrogène, qu’on nous présente comme la voiture de demain. On a parfois l’impression, en matière d’hydrogène, qu’on fait du sur-place…

Nathalie Job (ULg): Il faut d’abord préciser que la BMW qu’on vous a présentée voilà dix ans n’était pas une voiture à pile à combustible, mais une voiture à combustion interne alimentée effectivement à l’hydrogène. Elle était équipée d’un réservoir contenant de l’hydrogène liquéfié à basse température, mais on restait dans le rendement d’un système thermomécanique, donc nettement moindre que dans les systèmes électrochimiques. Ces derniers ne sont pourtant pas récents puisque les piles à combustibles ont été développées il y a pas mal de temps déjà, pour la NASA. Mais leur coût est resté longtemps très dissuasif. Il s’agissait à l’époque de piles alcalines.

Les piles à membrane qui équipent aujourd’hui les Mirai sont nettement moins chères. Mais pour amener Toyota à ce modèle, les recherches ont dévoré tout le budget que la marque consacrait à la formule 1. Tout cela pour souligner que nous sommes en face d’une voiture totalement différente de la BWM que vous évoquez. Non seulement elle fonctionne parfaitement, vous pouvez réellement réaliser un plein en quelques minutes et disposer de 500 km d’autonomie, mais elle s’est affranchie des nombreux problèmes – notamment du point de vue de la sécurité – qui subsistaient voici dix ans.

L’une des inconnues pour la Mirai, c’est qu’on n’a pas encore assez de recul pour apprécier la durée de vie de ses piles à combustible. Or elle pourrait se révéler déterminante si un changement de pile devait s’imposer au cours de la durée de vie normale du véhicule. Mais le vrai problème qui se pose désormais pour aller de l’avant, c’est l’infrastructure approvisionnement. Tant qu’elle est quasi inexistante, la voiture ne se vendra pas.

Le Japon fait le pari de la pile à combustible, notamment avec son modèle Toyota Mirai.

J.C. : De qui faut-il attendre l’initiative à ce niveau ?

N.J. : La seule manière de faire – et tant les Japonais que les Allemands l’ont bien compris – c’est de faire les deux démarches simultanément : la voiture et le réseau d’approvisionnement. La seule solution intermédiaire, c’est la flotte captive : des voitures qui ont un rayon d’action relativement limité et qui reviennent toujours au même point pour s’approvisionner. Le réseau de ravitaillement est la clé. Mais vu les investissements que cela suppose, c’est très lent…

J.C. : Les pays nordiques ne semblent pas avoir été freinés par cela pour développer de tels réseaux…

N.J. : C’est vrai. Mais vous remarquerez que ces pays produisent par ailleurs énormément d’électricité renouvelable – principalement éolienne. Cela les a motivés à installer des électrolyseurs pour fabriquer l’hydrogène qui leur permet de stocker les excédents de production. Cela leur a permis dans la foulée de pousser leur raisonnement au niveau des réseaux de distribution.

Vous auriez pu me parler aussi du Japon, là aussi on est bien avancé. Mais il n’y pas de secret, Toyota est un fleuron national, les subventions ont suivi. En Allemagne aussi, la volonté gouvernementale est évidente. Là encore, c’est l’industrie automobile qui a fait la différence.

J.C. : Et chez nous ?

N.J. : Rien de très concret jusqu’ici. Cela fait dix ans que le monde académique et scientifique s’égosille pour réclamer une feuille de route à ce niveau. Vous avez pu constater comme moi l’absence d’acteur politique à cette journée consacrée à la filière hydrogène énergie en Wallonie.

En plus d’une éolienne, le groupe Colruyt s’est équipé d’une flotte d’élévateurs qui fonctionnent à l’hydrogène.

J.C. : Certains choix sont sans doute plus difficiles à faire que d’autres. Faut-il par exemple plutôt miser sur un véhicule électrique avec batterie ou sur la voiture à hydrogène équipée d’une pile à combustible ?

N.J. : C’est une question de marché. Je crois que, s’il s’agit de voiture particulière à usage familial, la voiture électrique traditionnelle sur batterie à toutes ses chances. D’autant que l’autonomie des batteries ne cesse d’augmenter. Les besoins en confort de certaines berlines haut de gamme – chauffage et autres commodités électroniques – posent question, mais l’alimentation par batterie conserve toutes ses chances. D’un autre côté, s’il s’agit de camions, voire de trains, les formules sur batterie ne feront pas le poids face à la pile à combustible.

J.C. : Pour en revenir à la BMW dont je vous parlais, je crois me souvenir qu’une des grosses difficultés au déploiement de tels véhicules étaient liées à la sécurité, du fait de l’utilisation directe d’hydrogène stockée sous pression dans le véhicule. Que reste-t-il de ces obstacles dans la situation actuelle, notamment au niveau réglementaire ?

N.J. : Il n’existe pas encore chez nous de réelle réglementation concernant l’hydrogène. Si vous souhaitez installer chez vous un réservoir d’hydrogène, il sera soumis aux mêmes règles que pour les autres combustibles. C’est clair que cette absence de précision réglementaire peut constituer, du fait du flou juridique qu’elle induit, un frein à l’investissement industriel.

Mais il y a aussi un frein dans la tête du public. Il a toujours en mémoire les explosions de Zeppelins dans les années trente. Des accidents dans lesquels l’hydrogène lui-même n’était pas réellement en cause. N’empêche qu’aujourd’hui, l’idée de se déplacer dans une voiture à hydrogène donne encore le sentiment de voyager assis sur une bombe. Pour ma part, je préfère avoir un crash avec une voiture à hydrogène qu’avec une voiture à batterie. Dans le premier cas, l’hydrogène s’échappera directement vers le haut, la voiture ne brûlera pas. Dans le second elle risque fort de flamber complètement.

J.C. : En définitive, d’où vient que ce marché ait tant de mal à décoller ? Parce que, à écouter les exposés de cette journée, les recherches sont déjà diablement avancées…

N.J. : Le problème, je crois, c’est que, dans des évolutions conceptuelles et technologiques aussi radicales, personne ne veut être le premier. On est dans une dynamique où, souvent, le premier se casse la figure et ce sont les suivants qui raflent la mise.

Si Toyota a pris le pari de la voiture à pile à combustible, c’est d’une part parce que le constructeur est soutenu par son gouvernement et que, d’autre part, il a d’autres cordes à son arc, d’autres modèles qui marchent bien. N’empêche que, sur la piste hydrogène, ils ne font jusque maintenant que perdre de l’argent. Mais cela donne à la marque une bonne image sur le marché.

En Belgique, nous n’avons pas d’industrie nationale de premier plan que ces technologies pourraient réellement booster. En l’occurrence, pour nos gouvernants, le choix se pose sous un angle différent. Celui  des priorités. Du genre : faut-il mettre le paquet sur l’isolation des bâtiments ou sur la mobilité électrique ? Voiture sur batterie ou piles à combustibles ? Quelle est la politique qui aura le meilleur impact à moyen et long terme? Ces priorités sont très délicates à établir au niveau gouvernemental. Du point de vue industriel, le raisonnement se situe au niveau des coûts. On sait que les prototypes sont chers. Et en particulier les premiers. Après, avec les premières séries, les coûts diminuent. Il y a un seuil critique. A quoi s’ajoute, pour l’automobile, la question des réseaux qui doivent venir en parallèle. Pas facile dans ces conditions de repérer la bonne fenêtre d’opportunité.

Nous complétons ce sujet par une interview de Benjamin Wilkin, Secrétaire Général de l’Association pour la Promotion des énergies renouvelables (APERe).

« L’hydrogène est une solution pour le stockage saisonnier des productions renouvelables »

Jean Cech (Renouvelle) : En quoi les recherches actuelles sur le terrain de l’hydrogène-énergie ouvrent-elles de nouvelles perspectives pour les renouvelables ?

Benjamin Wilkin (APERe) : Dès l’instant où l’on en vient à envisager les excédents de production d’énergie renouvelable comme une source potentielle de développement pour de nouvelles énergies, les perspectives me semblent évidentes. Or il apparaît de plus en plus qu’en certains endroits, à certains moments, les productions d’énergie renouvelable deviennent excédentaires aux besoins, même en Belgique. Il y a donc là une première convergence évidente entre les recherches en matière d’hydrogène-énergie et les énergies renouvelables. J’ignorais à quel point cette piste était prise au sérieux par les chercheurs qui envisagent de plus en plus ces filières de production comme des systèmes intégrés. Piles, électrolyseurs, systèmes de stockage… à tous les niveaux apparaît la nécessité de mettre la réactivité des systèmes en concordance avec les fluctuations de production du renouvelable.

Caractéristiques des technologies de stockage d’énergie.

J.C. : Cela ne procède-t-il pas aussi d’une volonté d’intégrer la filière hydrogène dans le contexte d’une énergie durable ?

B.W. : Sans doute. Avec peut-être l’arrière-pensée d’ouvrir un nouveau créneau commercial dans la mesure où l’hydrogène apporte une solution permettant de valoriser des productions énergétiques qui, sans cela, risqueraient d’être perdues malgré leurs très faible coût.

J.C. : L’articulation qui apparaît entre l’univers du renouvelable et celui de l’hydrogène-énergie vous semble-t-elle bénéficier de contacts assez étroits au niveau des équipes de recherche ?

B.W. : Des projets de recherche me semblent en tous cas aller dans ce sens, notamment au niveau des électrolyseurs. Pour les faire tourner le plus souvent possible, la complémentarité entre l’éolien et le solaire apparaît comme une formule incontournable. On débouche tout naturellement sur une forme de stockage propre des énergies de flux. La journée a fait apparaître une réelle volonté de renforcer les ponts, voire les coordinations entre les différents projets de recherche. Y compris sur des domaines périphériques comme les prévisions météo permettant d’anticiper la ressource.

Mais on est dans des domaines de recherche qui s’étalent sur plusieurs années. Il faudra à mon avis attendre encore cinq ou dix ans avant que ces convergences ne se concrétisent dans la pratique de manière économiquement rentable. C’est tout un éco-système qui doit se mettre en place

J.C. : Où voyez-vous dans cette évolution une intervention de l’APERe ?

B.W. : Il s’agira sans doute de consolider les ponts et les contacts entre les producteurs de renouvelables et tous ceux qui sont actifs dans la filière hydrogène. C’est aussi le rôle qu’entend jouer de plus en plus le Cluster Tweed. En y associant aussi les acteurs du réseau électrique, dans la mesure où la valorisation des excès de production renouvelable constitue pour eux une réelle barrière actuellement. Il est évident que ce problème pourrait trouver, par le biais de l’hydrogène-énergie, une solution équilibrée à côté des consommations locales et des batteries qui risquent rapidement de se trouver dépassés par le boom attendu des capacités de production du solaire et de l’éolien.

J.C. : Notamment pour le stockage saisonnier…

B.W. : Absolument. A ce titre c’est la question du stockage, plus particulièrement sa forme et son volume, qui deviennent l’enjeu. On voit émerger la possibilité du stockage d’hydrogène sous forme ammoniac au niveau des grands industriels mondiaux (NDLR : lire à ce sujet cet article).

Cette forme serait la moins couteuse pour des durées de stockage qui dépassent les 10 mois (jusque 10.000 heures selon l’illustration). De quoi nous offrir l’excédent de soleil d’été en hiver !

L’ammoniac figure parmi les solutions les moins chères et aux capacités de stockage les plus longues.

J.C. : Ce qui manque peut-être, c’est des ensembliers capables d’articuler toutes ces pistes de recherche au sein de modèles économiques performants… ?

B.W. : Sans doute. Même s’il est apparu tout au long de cette journée que cette réflexion d’ensembliers était déjà bien présente, surtout chez les grands industriels (qui n’étaient pas présents à la journée). De mon point de vue, s’il y a une dimension qui ne me semblait pas assez prise en compte tout au long de cette journée, c’était la question du stockage de l’hydrogène. Je parle de stockage sur des périodes longues, entre deux saisons précisément.