Malgré la pression des lobbys, l’Europe s’est accordée sur une taxonomie des investissements durables. « C’est la fin du greenwashing ! », applaudissent les associations environnementales. Voici comment la finance devra soutenir la transition.
Le fait est rare : L’Europe a trouvé un compromis ambitieux, ce 5 décembre 2019, sur la taxonomie qui définira ce qu’est – ou non – un investissement durable.
Encore plus rare : les associations environnementales applaudissent. « C’est un cadeau de Noël inattendu avant l’heure ! », s’exclame ainsi dans un communiqué l’association Transport & Environnement, qui a particulièrement suivi ces longues négociations.
En effet, malgré les divergences entre les Etats membres et la pression des lobbys financiers, les trois autorités européennes – Conseil, Commission et Parlement – se sont accordées sur les balises qui définiront la finance verte. En clair, un tri officiel entre ce qui relève ou non du greenwashing.
« Le standard vert européen signifiera que l’on ne pourra plus vendre de faux investissements verts aux gens« , s’enthousiasme ainsi William Todts, le directeur exécutif de Transport & Environment.
Le cadre légal sera obligatoire et s’appliquera à l’ensemble des investissements en Europe, et ne sera donc pas facultatif ni limité à quelques produits verts comme le souhaitaient les associations européennes des marchés financiers (AFME), des banques (Fédération bancaire européenne) ou des sociétés de gestion (Efama) – lire cet article de Novethic.
L’Europe définit désormais trois catégories d’activités économiques :
- Celles qui seront reconnues réellement durables, compatibles avec une Europe zéro carbone d’ici 2050 ;
- Celles, pas vraiment vertes, mais qui permettront une transition vers cet objectif en réduisant les gaz à effet de serre ;
- Celles, polluantes mais « habilitantes », qui permettront de développer des activités durables (par exemple le secteur de l’acier, qui ne peut réduire ses émissions de CO2, mais qui produit des éoliennes et des rails de train).
Un Comité d’experts sous pressions
Un Comité d’experts indépendants est chargé de définir les critères de sélection qui permettront aux multiples activités économiques de rejoindre – ou non – l’une de ces trois catégories.
Ce Comité est notamment composé de membres issus de la société civile, du monde académique, du secteur financier et de différentes agences européennes, et devra agir sur base de vérités scientifiques et non sous la pression de l’un ou l’autre lobby.
Car, en toile de fond de ces longues négociations européennes, se retrouvent les questions omniprésentes dans la sphère politique : Le nucléaire, malgré son empreinte environnementale et ses risques, peut-il être considéré comme une énergie durable, au vu de ses faibles émissions de CO2 ? Les centrales au gaz peuvent-elles être reconnues comme des énergies de transition, si elles remplacent des centrales au charbon par exemple ?
Ces questions cruciales ne sont pas encore tranchées et le Comité d’experts subira de nombreuses pressions et influences.
Certains experts auraient dès lors préféré une taxonomie « brune » qui aurait clairement défini ce qui n’est pas durable, à savoir les énergies fossiles.
Or la clarté des labels durables est nécessaire pour gagner la confiance des investisseurs dans les produits financiers.
William Todts (Transport & Environment) se dit confiant mais vigilant : « Une fois le cadre réglementaire approuvé, nous devrons nous assurer que la liste des activités écologiquement durables et leurs « seuils » sont fondés sur la science. Nous ne pouvons pas laisser les lobbies de l’essence et du diesel réécrire les règles derrière des portes closes. T&E veillera à ce que ce soit le cas. »
Un reporting transparent et contrôlé
La taxonomie européenne constitue le premier système de classification de la finance durable au niveau mondial.
Jusqu’ici, chaque investisseur ou entreprise pouvait choisir son modèle de reporting et donner la meilleure image « durable » possible de ses activités. Désormais, ils devront se conformer à la taxonomie européenne et expliquer quelles parts du chiffre d’affaires et des investissements relèvent – ou non – des catégories officielles. Quiconque proposera des produits durables à ses clients devra respecter cette taxonomie. Et des superviseurs financiers contrôleront les reportings.
« À terme il sera donc beaucoup plus facile de quantifier quelle part de l’activité de l’entreprise est exposée aux risques climatiques et autres vulnérabilités », estime Arnaud Dumas, expert chez Novethic dans cet article.
Stabilité climatique et financière
Cette taxonomie est l’un des instruments prévus par l’Accord de Paris sur le Climat en vue d’orienter les investissements privés vers une transition bas carbone.
Selon Kees Vendrik, Chief economiste de la banque Triodos interviewé le 5 décembre dernier par L’Echo, « Agir pour l’environnement est aussi dans l’intérêt de la finance. Si la crise climatique perdure, les pertes vont s’accumuler et l’instabilité financière va s’aggraver. »
Avec cette taxonomie, l’Europe redore son blason, alors que ses objectifs climatiques pour 2020 ne seront visiblement pas atteints, mais qu’elle est peut encore agir pour atteindre ses objectifs 2030 et 2050 (zéro carbone), selon un récent rapport de l’Agence européenne de l’Environnement.