Les femmes, un atout pour la transition énergétique

Les femmes sont sous-représentées dans le secteur des énergies renouvelables. Or un équilibre des genres permet de stimuler l’innovation et le changement. Partout dans le monde, des industriels et des réseaux professionnels soutiennent désormais les carrières féminines pour réussir la transition énergétique.

Vous êtes professionnel.le de l’énergie durable ? Regardez autour de vous : avez-vous beaucoup de collègues féminins ? Vous participez à un événement du secteur ? Combien il y a-t-il d’oratrices et de participantes ? Vous êtes formateur.trice ? Avez-vous beaucoup de femmes parmi vos élèves ?

Le constat est clair : selon un rapport de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), les femmes, dans les pays occidentaux, représentent à peine 20 à 25% des personnes actives dans le secteur des énergies renouvelables (page 157) contre environ 50% dans les autres secteurs économiques. Un rapport de IRENA arrive à des conclusions similaires ; tandis qu’un index de Ernst & Young souligne la très faible représentation des femmes (16%) parmi le management des plus grandes entreprises énergétiques.

Si l’OIT prévoit la création de 24 millions d’emplois dans l’économie verte d’ici 2030, combien seront occupés par des femmes ?

Il est vrai que la croissance actuelle de l’énergie durable se traduit d’abord par des activités dans la construction (bâtiments basse énergie), la manufacture, l’installation et la maintenance (éolien, photovoltaïque, voitures électriques, …) : des emplois techniques traditionnellement masculins.

Stimuler l’innovation

Bref, on le voit, on le sait : le secteur de l’énergie, même renouvelable, est un monde très masculin. Trop ? Certains experts de l’énergie le pensent et estiment que cela freine la transition énergétique (lire cet article de The Guardian).

Et pour cause : la transition pose des défis inédits dans l’Histoire de l’énergie. Elle appelle à l’innovation et à la mise en œuvre de multiples solutions technologiques et sociétales. Or, comme dans tous domaines, un équilibre des genres permet de stimuler l’innovation et le changement. La diversité des idées et des genres est donc un atout nécessaire et souhaitable pour réussir les défis énergétiques. Sans compter une évidente équité vis-à-vis de la gent féminine.

Partout dans le monde, de nombreux acteurs du marché de l’énergie en prennent conscience et soutiennent désormais des initiatives pour mieux féminiser le secteur. Le nombre d’initiatives est impressionnant.

Contrairement aux idées reçues, les métiers techniques ne sont pas réservés aux hommes.

« L’inclusion des femmes est nécessaire pour relever les défis énergétiques »

En Australie, le Clean Energy Council – fédération du secteur de l’énergie propre – a ainsi lancé l’initiative Women in Renewables pour promouvoir la diversité des genres dans le secteur. Les managers sont invités à signer un Plaidoyer qui reprend 3 simples engagements :

  • Montrer l’exemple en étant un leader inclusif.
  • Décliner les invitations à apparaître dans des forums ou panels où les genres ne sont pas équilibrés.
  • Promouvoir activement le développement professionnel des femmes.

Parmi les premiers signataires, Geoff Culbert, le CEO de GE Australia – un groupe international qui s’appuie largement sur l’innovation – déclare ainsi dans cet article : « Répondre aux plus grands défis de l’Australie tels que l’énergie demande de la créativité et la collaboration d’équipes diverses. Il est impératif que des actions soient prises pour équilibrer la diversité et l’inclusion des genres dans l’industrie. »

Mêmes constat et initiative en Grande-Bretagne, où Energy UK – qui réunit les 6 grands industriels du secteur – a décidé de bannir les panels uniquement masculins lors de ses événements – devenus synonymes de conservatisme et de manque d’ouverture d’esprit.

Le porte-parole, Abbie Sampson, explique à The Guardian : « Le secteur de l’énergie fait face à une énorme période de transition, qui implique une énorme opportunité pour accroître l’équilibre des genres. »

En Espagne, une centaines de personnalités – hommes d’affaires, journalistes, hommes politiques, professeurs, … – ont récemment signé le manifeste « En energia, no sin mujeres » : « L’énergie, pas sans les femmes », réclamant une plus grande diversité dans les panels d’orateurs et les commissions de travail, afin d’élargir les points de vue et de valoriser l’expertise des femmes du secteur.

Les managers qui savent écouter une équipe diversifiée seront mieux à même de trouver des solutions aux défis énergétiques.

Des dizaines de réseaux professionnels féminins

Partout dans le monde, des réseaux professionnels de femmes se développent au sein du secteur de l’énergie durable. Ils visent tous à renforcer la visibilité des femmes actives, à soutenir leur carrière et à augmenter la proportion des femmes à tous les niveaux de l’entreprise.

Ces réseaux professionnels sont parfois simplement actifs au sein d’une grande entreprise ou s’étendent à toute une filière voire à l’ensemble du secteur national des énergies renouvelables.

En Allemagne, le réseau Women of Wind Energie entend par exemple représenter toutes les femmes allemandes actives dans l’éolien et souhaite créer une association européenne.

Les outils utilisés sont nombreux et similaires dans le monde : le réseautage, le partage d’expérience, la formation, les bourses d’étude, le coaching, le mentorat, le sponsorship, la sensibilisation de la direction et des ressources humaines, l’adaptation des règlements de travail, la sensibilisation des employeurs et des jeunes filles intéressées par les études et les métiers de l’énergie durable, …

Aux Etats-Unis, le réseau Women of Renewable Industries and Sustainable Energy (WRISE) réunit ainsi « des hommes et des femmes engagés à construire une force de travail diversifiée pour le succès des énergies renouvelables aux Etats-Unis et dans le monde ». Ce réseau promeut – et finance parfois – la formation, le développement professionnel et l’avancement des femmes pour relever – avec leurs collègues masculins – les défis actuels.

Evénements de réseautage féminin organisés par WRISE aux Etats-Unis.

 « Une nouvelle façon de penser et d’agir »

De toutes évidences, le secteur des énergies renouvelables est à la fois créateur d’emplois et d’opportunités pour les femmes.

Au Canada, Rebecca Black, co-fondatrice du réseau canadien Women in Renewable Energy, explique dans ce magazine : « Il y a une génération émergente d’entrepreneurs dans le secteur des technologies propres et c’est là que nous verrons le plus d’opportunités pour les femmes car cette génération apporte une nouvelle façon de penser et d’agir qui offrent de nouvelles perspectives. »

Et elles sont très nombreuses à y voir une réelle chance d’intégrer le secteur de l’énergie.

Certains réseaux se fixent même des objectifs chiffrés. Au Royaume Uni, le lobby Powerful Women vise ainsi à atteindre 30% de femmes dans les conseils exécutifs du secteur de l’énergie d’ici 2030, contre 5% actuellement.

Cette motivation et persévérance s’inscrit à la fois dans l’Histoire de l’émancipation féminine et dans une vision égalitaire sur le long terme. Pour preuve, ce témoignage de Paula Mints, Solar PV Market Research, Chief Market Research Analyst : « Je pense que nous avons besoin de plus de femmes dans l’énergie solaire, dans toutes les catégories d’emploi. Les femmes (globalement) ont toujours lutté pour le droit fondamental de voter dans tous les pays. Aux États-Unis, il fut un temps où les femmes ne pouvaient pas posséder de propriété. Les femmes dans le secteur solaire doivent se soutenir mutuellement et nourrir la prochaine génération de scientifiques, d’ingénieurs, de spécialistes des études de marché et d’autres femmes d’affaires. » Ce témoignage figure parmi une campagne de sensibilisation de Hypatia, le réseau féminin allemand des énergies renouvelables.

En toute logique, ce mouvement sociétal dénonce une injustice encore très fréquente dans le monde du travail : pour des compétences et performances équivalentes, les femmes ont droit à un salaire égal à celui des hommes.

Cet esprit combatif et de solidarité est d’ailleurs en soi un excellent moteur de motivation et de performance pour l’ensemble de l’équipe, estiment les initiatrices de ces réseaux professionnels.

Compétition de posters, organisée par The Clean Energy Education & Empowerment (C3E), pour promouvoir les étudiantes et jeunes chercheuses talentueuses.

Mise à l’honneur

L’irrésistible ascension des femmes passe également par une promotion positive. La plupart de ces associations décernent en effet des distinctions (Awards) pour mettre à l’honneur ces femmes qui font avancer la transition.

Les lauréates 2017 du réseau anglais WISE, qui encourage le succès des femmes dans les secteurs des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques.

Initiées dans les pays anglophones, ces cérémonies gagnent désormais l’Europe. La France a ainsi décerné pour la première fois le Palmarès 2018 : 20 femmes d’influence dans les énergies renouvelables.

Dans le même esprit, l’association québécoise de la production d’énergie renouvelable a lancé la campagne Femmes et Energies renouvelables : 36 portraits de femmes qui contribuent activement à la transition (photo et symbole ci-dessous).

Autre signe qui ne trompe pas : A word about wind, service d’analyse du marché international de l’éolien, publie désormais le top 100 des femmes les plus dynamiques du secteur éolien :

Enquête et campagne internationales

Ce mouvement de féminisation de grande ampleur place l’enjeu des genres comme essentiel pour la transition énergétique.

Pour preuve :  l’Agence Internationale des Energies Renouvelables (IRENA) lance sa première enquête mondiale sur les questions liées aux genres dans le secteur.

Tandis que la campagne internationale Equal by 30 (Parité d’ici 30), lancée en mai 2018, vise à atteindre – dans le secteur de l’énergie – l’équité salariale, la parité au sein des échelons supérieurs et l’égalité des chances pour les femmes d’ici 2030. Cet engagement public a déjà été signé par 9 pays (Allemagne, France, Angleterre, Italie, Suède, Finlande, Etats-Unis, Canada, Japon) et de nombreuses entreprises énergétiques.

« Penser Pluriel, c’est aujourd’hui indispensable »

Ce mouvement sociétal implique un profond changement dans les cultures d’entreprise.

Ainsi, l’Union française de l’électricité (UFE) constate dans son magazine : « La différence, la capacité à mixer les profils dans les équipes est un gage de performance et de penser « pluriel ». C’est incontournable au regard de l’accélération des rythmes des évolutions du secteur et du rôle majeur joué par un consommateur qui est lui aussi pluriel. C’est une richesse et un enjeu de qualité de vie au travail pour chacun. »

L’UFE mène dès lors des actions concrètes pour attirer les jeunes filles en formation vers des métiers plus techniques. Le management et les services de Ressources Humaines sont mobilisés pour recruter et soutenir les parcours professionnels féminins et veiller à une rémunération équitable. Un travail de sensibilisation est également mené pour déjouer les préjugés et stéréotypes.

La fédération constate que de nombreuses entreprises du secteur ont créé des réseaux de femmes qui sont très actifs (Energies de femmes, Ex Aequo, Women In Networking…) et permettent le partage d’expériences et le développement de réseaux. « Bon nombre de managers et de dirigeants hommes s’impliquent également dans le mentorat, quelle que soit la taille de l’entreprise, et c’est essentiel. »

« La mixité des genres est un reflet des besoins actuels pour la transition »

En Belgique, deux femmes ont particulièrement soutenu et accompagné le développement des énergies renouvelables : Annabelle Jacquet et Noémie Laumont, qui se sont succédées à la tête de EDORA, la fédération du secteur renouvelable.

Par ailleurs, l’Association pour la Promotion des Energies Renouvelables (APERe), qui publie votre revue Renouvelle, soutient ce mouvement et témoigne de son expérience :

« En interne, l’association compte un équilibre des genres (5 femmes, 6 hommes) et un management mixte, ce qui est très stimulant pour les échanges d’idées, la conception et le développement de projets », expliquent Benjamin Wilkin, Secrétaire Général, et Sophie Delhaye, Gestionnaire opérationnelle.

« Cette mixité s’est faite naturellement, au fil des recrutements sur base des compétences », précise Nathalie Gilly, Gestionnaire des Ressources humaines. « L’équipe de l’APERe tire une grande force de sa pluralité, et la mixité est pour nous une évidence. Pour la gestion équilibrée des réunions, la richesse des interactions, la diversité des points de vue et des approches de l’innovation, la conjugaison des talents féminins et masculins apporte une plus-value énorme. »

« Cette mixité est aussi un reflet des besoins actuels », poursuit Benjamin Wilkin. « La transition ne se résume pas à installer des productions renouvelables avec une expertise technologique. Il s’agit surtout de changer des manières de vivre et de consommer. Et pour cela, un panel complet et varié de sensibilités et de points de vue est nécessaire, ce qu’une mixité équilibrée de genres peut apporter, à partir du moment où le genre n’est plus vu comme une différence mais une complémentarité. »

Un atout, donc, pour réussir la transition énergétique en cours.