Le potentiel méconnu de la filière biomasse

ValBiom publie deux documents « panoramas » sur les productions biomasse en Wallonie. Et rappelle un élément-clef : la filière biomasse contribue à l’entretien et au développement des forêts.

L’association ValBiom publie ces jours-ci deux documents « panoramas » décrivant la situation actualisée des filières de production d’énergie à partir de la biomasse en Wallonie, à savoir le bois-énergie et la biométhanisation.

Rien de bien révolutionnaire pour ceux qui, comme les lecteurs de Renouvelle, suivent de près ou de loin ces filières. On sait en effet depuis des années, à travers les chiffres énoncés et relayés par les médias, le rôle prépondérant de la biomasse dans le paysage du renouvelable wallon. Le communiqué de presse de ValBiom nous rappelle un chiffre sans appel : « 82,6% des énergies renouvelables consommées en Wallonie proviennent de la biomasse ».

Mais dans le même temps, on ne cesse de s’étonner du peu d’écho de cette réalité, tant dans les medias que dans les décisions politiques, en particulier dans le contexte de l’après COP21/COP22. Car les objectifs fixés pour la Belgique et les Régions sont désormais clairs et les dates butoirs fixées dans les agendas énergétiques. Et ils sont loin d’être irréalistes : toutes les opportunités sont bonnes à saisir pour renforcer les sources d’énergie renouvelables.

La  question est donc de savoir ce qui, en dépit de chiffres édifiants, relègue si souvent la filière biomasse dans l’ombre des perspectives de développement du renouvelable et des politiques publiques menées en la matière… 

Nous avons interrogé à ce sujet Alice Dossogne, attachée de presse de ValBiom, Pierre Martin, Facilitateur bois-énergie et Bertrand Auquière, responsable de ValBiom.

Jean Cech (Renouvelle) : 82,6% des énergies renouvelables consommées en Wallonie proviennent donc de la biomasse. C’est un chiffre officiel qui fait référence au niveau européen, notamment dans le calcul des objectifs 20/20/20,ou une extrapolation ?

ValBiom : Ce chiffre provient du bilan énergétique de la Région wallonne pour l’année 2014. Il regroupe chaleur, électricité et transport. Et on sait qu’un large pourcentage est imputable au bois-énergie. L’ICEDD, qui a la charge de collecter toutes ces données, le fait selon les critères européens en vigueur.

J.C. : Mais ces données, pour ce qui est de la chaleur bois notamment, ne sont pas réputées être d’une grande clarté et d’une absolue fiabilité…

ValBiom : Tout ce qui est issu du bois de chauffage domestique est rapporté au niveau européen comme faisant partie de la production de chaleur renouvelable. Mais il faut bien constater que la façon d’évaluer le chauffage domestique au bois dans la consommation globale des ménages reste entachée d’une certaine approximation dans la mesure où, faute de données objectives vérifiables, on en est réduit à se fier à des estimations issues d’enquêtes datées (2011) sur la consommation des ménages wallons.

C’est précisément ce qui nous a amenés à réaliser et à publier les deux panoramas que vous évoquez, pour compenser cette relative imprécision dans les données disponibles qui contribue à fausser l’information sur l’ensemble de la filière bioénergie. Il y avait un effort documentaire et de pédagogie à faire pour mieux situer la réalité de cette filière objectivement assez complexe.


Extrait du panorama Biomasse solide

J.C. : Comment vous y êtes-vous pris en l’absence de données vérifiables et actualisées ?

ValBiom : Dans la mesure où les ordres de grandeur des chiffres rapportés ne sont pas   contestables à nos yeux, nous nous sommes efforcés d’agglomérer les chiffres disponibles et certifiés sur ce qui est produit et consommé en fonction des technologies utilisées. Sur cette base, notre objectif est de diffuser ces informations de manière didactique. Le but étant de mettre en avant des données précises et cohérentes pour décoder la complexité de la filière.

J.C. : En bonne intelligence avec la Région ?

ValBiom : C’est une demande de la Région Wallonne qui souhaite clarifier ces données pour pouvoir en parler.

J.C. : … et adapter certaines aides ? Car elles sont notoirement en décalage avec le poids que représente cette filière, en particulier sur la chaleur verte. Je pense notamment aux réseaux de chaleur.

ValBiom : C’est vrai à peu près dans toute l’Europe, où la biomasse représente la plus grosse source d’énergie renouvelable produite et consommée. C’est vrai que, en termes de proportionnalité, quand on compare l’aide apportée au citoyen qui produit sa propre électricité et celle que le même citoyen peut obtenir s’il investit dans une chaudière biomasse, on cherche la cohérence.

J.C. : C’est lié à quoi, à votre avis ?

ValBiom : C’est lié notamment – et là je reviens à la raison d’être de nos deux panoramas – au décalage entre la simplicité du rapportage en matière de production électrique et la difficulté d’obtenir la même fiabilité pour la chaleur verte. Il est clair qu’à ce niveau, l’impression de flou domine un peu partout.

Tout cela, je me répète, participe à la méconnaissance globale du citoyen quant à l’importance et au potentiel réel de la filière biomasse énergie. Or, en Wallonie, on a les ressources, on a le savoir-faire, mais aussi des équipements performants et bien maîtrisés pour la valoriser.


Extrait du panorama Biométhanisation

J.C. : Comment expliquez-vous ce regard souvent un peu dubitatif du public sur la filière biomasse et le bois en particulier ?

ValBiom : Je crois que l’explication est dans une large mesure d’ordre émotionnel. Il y a un rapport particulier du public à la forêt et au bois, ainsiqu’à leur exploitation. Un architecte expliquait que le seul point négatif qu’il pouvait trouver à l’utilisation du bois dans la construction, c’est qu’il présupposait l’exploitation de la forêt. On touche là à quelque chose qui est de l’ordre du symbolique et de l’irrationnel. L’industrie du papier et – dans une certaine mesure – des panneaux de bois a été parmi les premières à subir cette image négative de « destructeur de la forêt ». L’idée qu’elle puisse par ailleurs contribuer à son entretien et à son développement a du mal à percer. Il faut sans cesse repositionner le débat pour lui restituer un peu de rationalité.

En outre, pour revenir au renouvelable, il y a clairement un contrepied dans le fait que, contrairement à l’éolien ou au solaire, la biomasse utilise des ressources matérielles et donne donc le sentiment – erroné – de puiser dans le capital naturel commun. Par ailleurs, l’éolien comme le solaire font appel à des technologies qui sont relativement simples à expliquer, alors que les filières biomasse nous font entrer dans des technologies et des pratiques beaucoup plus complexes à détailler dès lors qu’on veut démontrer leur efficacité et leur pertinence environnementale.

Enfin, ce débat sur les ressources de la filière occulte souvent celui sur les ressources principalement fossiles qu’elles évitent, tout particulièrement au niveau de la chaleur verte où les alternatives aux fossiles utilisées sont très limitées.