« Le chauffage au bois trouve aujourd’hui sa place dans une architecture contemporaine à haute performance énergétique »

Thomas Duquesne est l’un des acteurs wallons qui ambitionnent de ramener le chauffage au bois dans le jeu d’une architecture contemporaine soucieuse des plus hautes performances énergétiques. Il est responsable de la stratégie de développement scientifique et technologique au sein de la société Stuv.

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Jean Cech (Renouvelle) : Quand on parcourt votre gamme de produits et votre show room, on a du mal à faire le rapprochement avec le bon vieux poêle à bois de nos grands-parents…

Thomas Duquesne (Stûv) : Aujourd’hui, il y a, dans notre approche, un élément qui nous tient fort à cœur : c’est de préserver le lien entre une démarche qui devient de plus en plus technologique et complexe, et un objet qui, par essence, se veut sympathique et chaleureux, agréable à la fois à regarder et à vivre, à savoir le foyer à bois. C’est notre challenge du moment. Il est lié à l’histoire des produits et fait partie de notre ADN. Je crois que c’est un peu aussi le challenge de l’ensemble de notre secteur. Par ailleurs, nous veillons dans le même temps à ce que nos produits soient les plus simples possible dans leur conception, faciles à installer et à utiliser, intuitifs…

J.C. : Cela suppose un effort de recherche et développement considérable, auquel le secteur traditionnel des poêles à bois ne nous avait pas habitués…

T.D. : C’est vrai. Et il ne date pas d’hier. Outre le souci de qualité qui a toujours été le nôtre, on doit cet effort à des contraintes relativement récentes, tant en matière de conception de produits que de choix des matériaux, qui se sont concrétisées à travers des normes et des réglementations internationales de plus en plus strictes.

Nous disposons désormais d’une équipe de R&D d’une quinzaine de personnes. Elles ont développé en interne de réelles compétences, en matière d’hygiène de combustion, d’étanchéité, etc. Nous entretenons également des collaborations avec des centres de recherche et des universités, dans le cadre de plusieurs projets de recherche nationaux et internationaux. Ce qui nous a valu notamment un prix, le Vesta Award for Best Wood Product, lors de la foire HPBA qui s’est tenue à Nashville (TN, USA) en mars 2015.

 J.C. : Mais cela ne débouche-t-il pas nécessairement aussi sur un certain élitisme ? On est dans des gammes de prix qui n’ont plus rien à voir avec les bons vieux poêles que j’évoquais…

T.D. : Il faut bien constater que les exigences d’aujourd’hui en matière de normes, de performance ou de qualité – à quoi nous avons à cœur d’ajouter la volonté de travailler localement avec des partenaires du cru – nous conduit fatalement à proposer des produits qui, pour ce qui est du prix, ne sont pas forcément à la portée de tout le monde.  Même si nous nous efforçons de conserver, dans notre gamme, des appareils plus basiques. Parce que si nous voulons crédibiliser et populariser l’idée d’une alternative aux énergies fossiles, nous nous devons de rester abordables. Ceci admis, nos produits ne sont pas en décalage complet avec le marché. Si vous comparez l’un de nos poêles avec son équivalent d’un autre fabricant, en matière de performances et de fiabilité, on est dans la même fourchette de prix. Mais, en comparaison avec un poêle que vous pouvez acheter en grande surface, on ne joue évidemment pas dans la même division. Même si ces derniers vous apparaîtront, le cas échéant, aussi performants sur papier. Mais c’est sans doute sur la durée que nous ferons la différence, les aspects esthétiques mis à part.

J.C. : Parlons-en justement. Pourquoi ajouter cette contrainte supplémentaire que constitue ce souci évident du design qui transparaît dans tous vos produits ?

T.D. : Il faut savoir qu’à l’origine l’entreprise était un bureau d’études en design industriel. Le design fait donc naturellement partie de notre personnalité. Une façon de gérer la complexité et d’en faire une synthèse, via des solutions les plus simples possible. On n’échappe pas à ses origines (NDLR : Stûv a reçu en juillet 2016 un Red Dot Award « Product Design », un des prix de design les plus prestigieux au monde.).


Les modèles actuels parviennent à gérer l’évacuation des fumées et l’alimentation en air de combustion, sans interférence avec les systèmes de ventilation d’un bâtiment.
J.C. : D’où un marketing qui, pour prendre une référence automobile actuelle, ressemble plus à celui d’une Tesla qu’à celui d’une Logan… Ce marketing vise à pénétrer le marché par le haut de gamme.  Le choix de la marque, Stûv qui fait diablement scandinave et évoque des pays dont la réputation en la matière est connue de tous , procède-t-il du même raisonnement ?

T.D. : Vous allez rire. Un « stûv », c’est un poêle à bois, en wallon. C’est ce qui nous a amené, voici trente ans, à choisir le nom de notre entreprise. Disons que le hasard a bien fait les choses.

J.C. : Revenons à la contrainte prix et à la nécessité de mettre la chaleur durable à la portée du plus grand nombre. Quelle stratégie envisagez-vous pour y arriver ?

T.D. : Il en existe plusieurs. Une des stratégies – et elle est techniquement réaliste – pourrait consister à sortir le poêle à bois de l’image de « chauffage d’appoint » où on l’a longtemps confiné, pour en faire une réelle alternative au chauffage traditionnel, basé sur les carburants fossiles. Là, en tant qu’élément central de chauffage, nous rentrerions parfaitement dans les prix du marché. Certains modèles développés aujourd’hui sont parfaitement adaptés à cette approche. Notamment en matière d’étanchéité. Les technologies développées pour certains de nos modèles leur permettent en effet de s’intégrer sans problème à des conceptions architecturales où l’étanchéité constitue un critère crucial. Par exemple, aujourd’hui, on arrive à gérer l’évacuation des fumées et l’alimentation en air de combustion sans interférence avec les systèmes de ventilation d’un bâtiment.

Par ailleurs, avec l’amélioration de l’enveloppe des bâtiments, les besoins en chaleur de ceux-ci diminuent de plus en plus, alors que les besoins en eau chaude sanitaire restent constants, voire augmentent pour des raisons de confort. A ce niveau, il y a aussi des stratégies à développer pour mieux valoriser la combustion de bois dans la production d’eau chaude sanitaire. Encore une piste parmi d’autres (lire notre article Optimiser la chaleur bois).

J.C. : En fait, aujourd’hui, ce qui pénalise le plus  les sociétés comme la vôtre, actives dans la production de chauffage individuel au bois, n’est-ce pas le décalage de l’image traditionnelle que le poêle à bois peut avoir, dans le public, avec la réalité des produits actuels commercialisés ?

T.D. : C’est un peu cela. Je crois que si actuellement les pouvoirs publics n’osent pas trop se positionner par rapport à ces nouvelles technologies, c’est d’une part parce qu’ils redoutent les problèmes que la concurrence entre filières de valorisation de la biomasse pourrait susciter. Mais c’est aussi largement lié à ces questions soulevées récemment en matière de pollution atmosphérique et de particules fines. Or, si vous approchez un détecteur de CO de certains de nos modèles, il ne se produira tout simplement rien. Ce qui veut dire que la solution est techniquement à notre portée.

Mais c’est vrai que tout cela conduit à une forme d’immobilisme dans les politiques publiques. De ce fait, on aurait plutôt tendance, en haut lieu, à minimiser les avancées réalisées en matière de chauffage au bois. On reste dans un discours un peu uniforme qui fait l’amalgame entre les appareils bas de gamme et les produits très performants qui se développent aujourd’hui. Et le lobby de ceux qui ne voient pas d’un bon œil le développement d’une filière bois-énergie moderne, y contribue fortement. D’où une image de marque volontairement réductrice, qui freine le développement du secteur.

Or, le cadre légal existe pour soutenir les efforts de celui-ci. Un arrêté royal de 2010 impose des exigences qui, dès la fin de cette année, seront comparables à celle qu’exige l’Europe pour 2022, à travers la régulation EcoDesign. Les outils normatifs existent bel et bien mais force est de constater que les contrôles peinent à suivre : résultat, malgré ce cadre légal, on continue, çà et là, à vendre n’importe quoi.