Depuis peu, l’Agence wallonne de l’Air et du Climat (AwAC) propose aux communes un calculateur permettant d’établir le bilan carbone de leur patrimoine et de leurs activités. Explications de Cécile Batungwanayo, qui se charge notamment de la politique climatique au niveau communal.
L’AwAC présente son calculateur carbone ici.
Jean Cech (Renouvelle) : Comment établit-on le bilan carbone d’une commune ? Est-ce que, pour des raisons commodité, cela ne nous ramène pas – d’une manière ou d’une autre – à faire un bilan des énergies mises en œuvre sur un territoire donné ?
Cécile Batungwanayo (AwAC) : En fait, ce sont deux approches complémentaires. Le bilan énergétique réalisé par l’ICEDD pour le compte du Service Public de Wallonie (DGO4) est une spatialisation du bilan énergétique régional. A travers des clés de répartition, on va désagréger différents postes du bilan énergétique régional pour dégager un bilan à l’échelle de la commune : on parle communément d’un bilan territorial. Pour le secteur résidentiel par exemple, on prendra en compte les critères tels que les degré-jours, les revenus des ménages, la situation du bâti, etc. pour répartir au niveau local les consommations finales d’énergie. C’est donc une modélisation top-down qui donne une image approximative des émissions sectorielles à l’échelle de la commune. Mais la grande qualité de ces bilans territoriaux est qu’ils sont totalement cohérents avec le bilan régional.
L’outil carbone développé par l’AwAC permet quant à lui d’établir un bilan patrimonial de la commune dans une approche bottom-up. On part de constats de terrain et on y attribue des facteurs d’émissions permettant de donner le poids CO2 par activité. La commune dispose d’un formulaire où elle encodera ses propres données : les consommations d’électricité ou de combustibles reprises dans ses factures par exemple. Ce sont des chiffres réels constatés sur le terrain qui vont être encodés dans un outil informatique qui en déduira un poids carbone lié à une activité : la consommation d’énergie dans les bâtiments communaux, la consommation de carburant du parc automobile communal, etc. Il faut noter que notre outil va plus loin que juste la consommation d’énergie car les activités telles que les achats communaux de consommables, la production de déchets dans les bâtiments communaux, etc. sont également concernées et émettrices de gaz à effet de serre.
Le bilan territorial fourni par la DGO4 et le bilan patrimonial établi grâce à notre outil permettent aux communes de remplir la matrice de rapportage de la Convention des maires.
J.C. : Où se situe la complémentarité de ces outils ?
C.B. : Le bilan patrimonial permet d’apprécier la contribution à l’effet de serre des activités qui relèvent strictement de la compétence communale. En effet, le bilan territorial ne permet pas de distinguer les émissions patrimoniales du total des émissions du tertiaire et du transport. Or la matrice de rapportage de la Convention des maires demande de distinguer les émissions liées aux compétences de la commune de celles des autres secteurs. Par ailleurs, plus les communes transmettront leurs données réelles de consommation, plus cela permettra d’adapter le bilan territorial à leurs réalités.
J.C. : Les lois de la physiques étant les mêmes partout, pourquoi ne pas avoir repris tout simplement l’un des outils développés en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, etc. ?
C.B. : C’est vrai que tous ces outils sont basés sur des méthodologies internationales reconnues, largement inspirées elles-mêmes de la méthodologie du GIEC suivie pour établir annuellement les inventaires nationaux/régionaux de Gaz à Effet de Serre (GES). Plus proche de nous, en France, nous avons la méthodologie et les outils de bilan carbone ® de l’ADEME. Dans le monde anglo-saxon, le protocole des Gaz à Effet de Serre (le GHG Protocol) est beaucoup plus répandu. Nous nous sommes basés sur la méthodologie du GHG protocol pour structurer notre outil et sur les facteurs d’émissions de l’ADEME spécifiquement pour les émissions indirectes. Le fait d’élaborer notre propre outil présente comme avantage de le rendre plus spécifique à la réalité communale wallonne et de s’assurer de la cohérence des données partant de l’inventaire régional des émissions de GES jusqu’aux bilans d’émissions de GES des acteurs bien identifiés (entreprises privées ou publiques, communes, particulier, etc.). Enfin, l’utilisation de l’outil est gratuite alors que l’utilisation des outils du bilan carbone® de l’ADEME nécessite une licence payante par exemple.
J.C. : Mais toutes ces données que vous évoquez restent néanmoins toujours des approximations. Est-ce que, comme dans le cas des sondages d’opinion, on peut parler de marges d’erreur ou de fourchette ?
C.B. : On pourrait le faire. Nous ne l’avons pas encore intégré dans l’outil actuel.
Actuellement, l’outil donne un résultat en tonne de CO2 équivalent (tCO2e) qui est un produit entre des chiffres (par exemple de consommation énergétique) encodés par l’utilisateur et des facteurs d’émissions déjà intégrés dans l’outil. Deux sources d’incertitudes sont possibles : les chiffres encodés par l’utilisateur et les facteurs d’émissions. Nous pouvons dire raisonnablement que l’incertitude du calcul d’émissions liées à la combustion énergétique est faible dès lors que l’utilisateur encode des données directes et correctement mesurées. En effet, le facteur d’émission qui donne le poids carbone par unité énergétique consommée est basé sur le contenu carbone des combustibles. Par contre, l’incertitude du calcul d’émissions liées aux étapes en amont de la combustion – à savoir l’extraction, le traitement et le transport des combustibles – est plus grande car le calcul du facteur d’émission est fait en posant un certain nombre d’hypothèses. Néanmoins, le logiciel doit être considéré comme un outil d’aide à la décision permettant d’apprécier l’évolution de l’empreinte carbone entre une situation initiale et une situation après mise en œuvre des mesures correctives.
J.C. : L’inconvénient du bilan carbone par rapport au bilan énergétique, c’est peut-être qu’il fait référence à des réalités, des tonnes de CO2 émises ou évitées, moins parlantes au niveau de la population…
C.B. : C’est clair qu’au niveau du grand public, l’indicateur tCO2e est moins parlant que l’indicateur de consommation d’énergie mais il ne faut pas comparer les deux car ils ne remplissent pas la même fonction. L’indicateur tCO2e consiste à confronter une activité donnée (comme la consommation d’énergie) à la disponibilité future de combustibles fossiles et à sa contribution à la pression exercée sur le climat. On peut utiliser l’indicateur de consommation d’énergie pour rendre l’indicateur tCO2e plus parlant, par exemple 1 tCO2e représente environ 325 litres de consommation de diesel ou l’équivalent de plus ou moins 8 allers-retours Bruxelles-Paris en véhicule passager consommant du diesel. Ce genre d’exercice est régulièrement proposé par différents canaux de sensibilisation aux changements climatiques. Nous réfléchissons actuellement à faire de même pour donner du sens à nos évaluations carbone et sensibiliser au mieux à la lutte contre les changements climatiques. Par ailleurs, ce travail de communication est prévu dans la formation des agents communaux inscrits dans le cadre du projet POLLEC 2 (Politiques Locales Energie Climat). Il faut constater par ailleurs que, en grande partie à travers les politiques européennes, le climat est devenu une question d’actualité et a bénéficié d’une importante médiatisation.
J.C. : Cela dit, l’impact du patrimoine et des activités communales sur le bilan carbone territorial reste relativement marginal. Qu’est-ce qui peut pousser une commune à s’investir dans une évaluation de ses émissions propres ?
C.B. : C’est vrai que, par rapport au transport, au logement ou à l’industrie, la part de la partie « patrimoine et service » de la commune dans le bilan territorial reste relativement marginale. On se situe entre 4 et 7%. Mais c’est une question de leadership et d’exemplarité. Si la commune ne s’applique pas d’abord à elle-même l’effort de maîtrise énergétique qu’elle sera nécessairement amenée à exiger de ses habitants et de ses entreprises, quelle chance aura-t-elle d’être entendue et suivie ? L’outil carbone de l’AwAC présente donc une formidable opportunité pour la commune : elle sert de base au suivi annuel de l’empreinte carbone et permet ainsi de mettre en évidence des réductions d’émission de GES après mise en œuvre des mesures. Elle peut donc s’appuyer sur cette évaluation quantitative pour communiquer aux autres acteurs du territoire mais aussi à son personnel. En outre, en réduisant ses émissions, la commune réduit ses coûts grâce à la performance énergétique des bâtiments par exemple et il est important qu’elle le communique pour mobiliser. Cette mobilisation, elle en a besoin d’autant qu’au-delà de la lutte contre les changements climatiques, elle devra aussi se faire entendre de manière plus large sur la manière d’anticiper l’ensemble des impacts climatiques auxquels elle et ses habitants devront faire face à l’avenir.
L’outil carbone de l’AwAC permet à la commune de montrer des réductions d’émission de GES après la mise en œuvre de mesure locales.
Un diagnostique de la vulnérabilité à l’échelle communale
Signalons que l’AwAC a également développé un autre outil qui permet à chaque localité d’établir un diagnostic de la vulnérabilité de son territoire aux effets des changements climatiques : inondations, érosion des terres agricoles, perturbation des écosystèmes forestiers, … Sur base des priorités identifiées, les autorités locales peuvent orienter leurs actions afin de réduire ou prévenir ces risques.
En savoir plus cet autre outil
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