La Wallonie envisage de stocker son électricité renouvelable dans ses carrières

La Wallonie a cartographié 1.500 carrières qui pourraient être équipées de stations de pompage-turbinage. Le potentiel de stockage énergétique s’élève à 4 GWh. Le stockage hydraulique est testé au sein d’un micro-réseau à Froyennes.

En Belgique, les stations de pompage-turbinage (STEPs ou PHS en anglais) – telles que la centrale de Coo (1000 MW) ou de la Plate Taille (140 MW) – ont été conçues dans les années 70 pour permettre une meilleure intégration des centrales nucléaires dans le réseau électrique belge et offrir une réserve primaire et secondaire d’énergie au gestionnaire de réseau de transport (GRT).

Aujourd’hui, les STEPs reviennent à l’avant-scène de la stratégie énergétique belge et internationale.

Les STEPs suscitent dès lors un regain d’intérêt dans les centres de recherche (lire notre article Stockage : Les STEPs font de la résistance).

Le programme de Recherche & Développement Smartwater (2014-2018), initié par la Wallonie, vient précisément de livrer quelques résultats intéressants lors de la journée du 17 mai 2018 à Froyennes près de Tournai.

Le pompage-turbinage, c’est quoi ?

Le pompage-turbinage est une technique de stockage hydraulique de l’énergie. Le principe consiste à pomper de l’eau pour stocker l’énergie hydraulique dans des bassins d’accumulation lorsque la demande d’énergie est faible (pompage) afin de turbiner cette eau plus tard pour produire de l’électricité lorsque la demande est forte (turbinage).

Il n’est pas nécessaire d’avoir un relief géographique pour implanter une installation de STEP. Le réservoir inférieur peut être dans le sous-sol comme l’illustre la figure ci-dessus.

Valoriser un réseau de 1.500 carrières

Le projet Smartwater s’est intéressé aux sites carriers et souterrains pour le stockage énergétique par pompage-turbinage hydroélectrique.

En effet, certaines anciennes carrières de Wallonie sont aujourd’hui inondées, les nappes phréatiques ayant repris leur droit. Elles pourraient donc être équipées de systèmes de pompage-turbinage.

Le projet étudie également la valorisation potentielle des anciennes mines d’ardoise ou de charbon.

Les chercheurs ont identifié 1.500 carrières dont 160 en activité (illustration ci-dessous). Soit un réseau potentiel de stockage énergétique utile et bien réparti sur le territoire pour la gestion de l’équilibre sur le réseau d’électricité.

Inventaire des exploitations de surface. Sources des données : SPW/DGO4.

Le potentiel de stockage global s’élève à environ 4 GWh, réparti sur 76 sites. A titre de comparaison,4 GWh représente 1h30 de la consommation électrique moyenne annuelle de toute la Wallonie (21 TWh de consommation électrique annuelle).

Une partie est mobilisable rapidement : 823 MWh, répartis sur 18 sites.

En outre, donner une seconde vie à ces bassins ou cavités souterraines permet de réduire l’impact paysager. On évite la construction de STEPs 100% artificiels.

Enfin, le projet vise à acquérir les compétences d’analyse technico-économique et valoriser cette technologie en Wallonie et à l’export.

Un quartier pilote

Le projet Smartwater a développé un quartier pilote, baptisé Negundo, dans la commune de Froyennes près de Tournai, afin de valider les modèles analysés.

Le pilote vise à gérer l’électricité et la chaleur pour l’ensemble des bâtiments au départ de sources renouvelables au sein d’un micro-réseau, à l’image de ce qui se teste actuellement sur le zoning de Mery (lire notre article MeryGrid, un micro-réseau local en pilotage intelligent).

Le quartier Negundo compte des installations photovoltaïques, 4 « mini » éoliennes, 4 bornes pour véhicules électriques, une batterie REDOX FLOW et un dispositif Smartwater avec moteur/alternateur et système de turbino-pompage placé sur un bassin d’orage.

Le site est désormais opérationnel et servira de démonstrateur de technologies innovantes.

Une technologie compétitive

Notons que les avancées technologiques (notamment les pompes « as turbines » à vitesse variable) permettent aujourd’hui des temps de réponse plus rapides (moins d’une seconde), ce qui rend possible de nouveaux services anciennement inaccessibles.

La technologie offre également un net avantage environnemental par rapport au stockage par batterie. Le ratio entre l’énergie stockée au cours du cycle de vie et l’énergie nécessaire à sa construction est ainsi au minimum 21 fois plus élevé.

Le stockage hydraulique via pompage-turbinage s’avère ainsi l’une des meilleures solutions aux niveaux écologique, de la durée de vie, de la sûreté et de la simplicité technique.

Enfin, les coûts de mise en œuvre s’avèrent compétitifs sur le « grand » hydro (< 100 MW) mais également sur le petit hydro (< 25MW).

Concernant les STEPs (ou PHS), les travaux d’ingénierie civile représentent le principal coût d’investissement. Une réduction des coûts viendra probablement par la recherche de sites ou de techniques d’excavation moins chers, d’où la cartographie des carrières.

De manière globale, les solutions de stockage de l’électricité voient leurs coûts de revient diminuer fortement au niveau international, comme le démontre une récente étude de IRENA (lire notre article Stockage: Le coût des batteries en chute libre d’ici 2030).

Instaurer un cadre de marché

Cependant, il n’existe pas encore de marché pour développer le stockage énergétique en Wallonie.

Actuellement, le stockage est considéré alternativement comme consommateur et producteur d’électricité. La STEP est sujette aux taxes (surcharges, coûts réseaux, …) pour chaque MWh prélevé et réinjecté sur le réseau. La rentabilité est donc impossible dans le contexte actuel.

Les chercheurs plaident dès lors pour un changement législatif qui instaurerait un véritable statut pour le stockage énergétique en Wallonie.

Et de citer le cas de l’Allemagne :

  • Exemption des frais d’accès au réseau pour 20 ans pour les nouvelles installations de stockage énergétique ;
  • Exemption de la taxe sur la consommation d’électricité pour les STEPs de moins de 10 MW de puissance installée ;
  • Taxe réduite sur l’utilisation de l’eau (prise d’eau et rejet d’eau de volumes élevés).

Il s’agit également de trouver un modèle rémunéré pour les services rendus aux gestionnaires de réseaux d’électricité.

Le gouvernement wallon saisira-t-il cette opportunité pour instaurer un cadre de marché pour les solutions de stockage énergétique ?