La transition allemande, un exemple pour l’Europe

L’Allemagne va réussir sa sortie du nucléaire grâce aux renouvelables. Mais le futur gouvernement fédéral devra relever d’autres défis pour sortir du charbon et atteindre la neutralité climatique en 2045. Un modèle à suivre pour la Belgique et tous les pays européens.

L’Allemagne est en train de réussir son « tournant énergétique », amorcé il y a plus de 20 ans.  

La fermeture progressive des centrales nucléaires allemandes a été compensée par la croissance spectaculaire des énergies renouvelables. Le pays a ainsi évité les pénuries d’électricité, diminué ses émissions de CO2 et stabilisé les prix de l’électricité (lire notre article 10 ans après Fukushima, l’Allemagne réussit sa sortie du nucléaire grâce aux renouvelables). 

L’Allemagne fermera sa dernière centrale nucléaire fin 2022 ; tandis qu’une sortie du charbon est fixée pour 2038 – un choix politique plus tardif en raison des nombreux emplois concernés, et qui vise à être socialement juste. 

La plus grande économie d’Europe fait ainsi figure d’exemple à suivre pour les autres pays européens, et en particulier la Belgique qui s’apprête également à sortir du nucléaire d’ici 2025. 

L’Allemagne s’est fixé le nouvel objectif d’atteindre la neutralité climatique dès 2045, soit 5 ans plus tôt que l’objectif européen. 

Les élections fédérales du 26 septembre prochain seront déterminantes pour la suite de la transition énergétique allemande, mais aussi européenne. 

En effet, le prochain gouvernement devra changer d’échelle et faire des choix qui ressemblent plus à une « grande transformation », voire à une véritable « révolution » énergétique. Et ces choix politiques, sur des défis majeurs de sobriété énergétique, d’innovation, de citoyenneté énergétique ou d’électrification devront être relevés à la fois à l’échelle de l’Allemagne, de l’Europe et du monde. 

L’Institut français Jacques Delors publie une analyse très utile sur la transition énergétique allemande – bilan de 20 ans de choix politiques – et dresse les défis encore à relever. 

Un “policy paper” très inspirant pour tous les pays européens engagés dans leur transition énergétique. 

En voici quelques éléments clefs. 

L’énergie citoyenne, un levier clé de la transition énergétique allemande 

L’énergie citoyenne est un levier essentiel de la transition énergétique allemande et contribue grandement à son acceptabilité. En 2019, 40% des capacités d’énergies renouvelables électriques installées sont ainsi détenues par les citoyens et des agriculteurs, à titre individuel ou regroupés en coopératives et sociétés locales. 

Cependant, les projets d’infrastructure énergétique – éoliennes, centrales solaires, … – se heurtent à une résistance locale croissante. 

Des objectifs ambitieux 

Pour décarboner son approvisionnement énergétique sans nucléaire ni charbon, l’Allemagne déploie massivement des énergies renouvelables, qui doivent atteindre 65% dans la consommation électrique. 

Un prix national du carbone 

Afin d’attribuer à la pollution son juste coût et d’ôter aux énergies fossiles leur avantage compétitif, le gouvernement fédéral a renforcé le prix national du carbone. En complément du système d’échange de quotas d’émission sur les émissions de gaz à effet de serre qui fixe un prix carbone européen pour les secteurs électriques et industriels, l’Allemagne a introduit depuis janvier 2021 un système d’échange de quotas d’émission sur les carburants qui alimentent les transports et les bâtiments. 

Soutenir l’électromobilité 

D’ici à 2030, entre 7 et 10 millions de véhicules électriques devront être en circulation et un million de bornes de recharge devront être déployées sur le territoire allemand.  

Le prochain gouvernement fédéral devra s’y atteler pour décarboner le secteur du transport, angle mort de la politique énergétique des dernières décennies. 

Trois défis 

Selon l’Institut Delors, cette double sortie du nucléaire et du charbon pose trois principaux défis : 
 
1. Tout d’abord, elle ne peut fonctionner que si l’Allemagne parvient à mettre en place, massivement chaque année, des nouvelles installations d’énergies renouvelables. Si ce défi a été relevé dans la décennie 2010, un ralentissement marqué est perceptible depuis quelques années en partie dû aux résistances locales et aux réglementations des Länder qui compliquent l’installation de nouvelles éoliennes sur terre47. Cette situation se rencontre aussi dans nombre d’autres pays européens – et notamment en Wallonie. 
 
2. Un second défi est spécifique à l’Allemagne et est lié à sa géographie. La fermeture des centrales nucléaires, et dans une moindre mesure des centrales à charbon, implique une baisse de la production d’électricité dans les zones du sud et de l’ouest de l’Allemagne, fortement industrialisées.  

Les grandes installations d’énergies renouvelables, notamment éoliennes, sont pour l’instant développées dans le nord et l’est du pays. Ainsi, pour réussir son pari, l’Allemagne doit encore mettre en œuvre des plans de redimensionnement de son réseau électrique de manière à ce qu’il puisse transmettre plus d’électricité  
du Nord/Est vers le Sud/Ouest par des lignes à haute tension mal acceptées par les  
populations concernées.  

L’action trop lente des pouvoirs publics allemands sur ce sujet est par ailleurs devenue un problème à dimension européenne, dans un marché de l’électricité désormais unifié.  
En Belgique, de nouvelles lignes à haute-tension doivent également être créées (telles que la boucle du Hainaut), afin notamment d’intégrer massivement la production éolienne en mer du Nord. 
 

3. Un troisième défi est la persistance de la dépendance au gaz naturel importé de Russie. L’État fédéral soutient fermement la construction du gazoduc Nord Stream 2, projet manifestement incohérent avec ses objectifs climat, sa politique européenne et sa politique étrangère vis-à-vis de la Russie et de l’Ukraine. Un tel soutien dépasse les seuls enjeux énergétiques et s’explique principalement par des raisons géopolitiques (relations Allemagne-Russie), mais aussi par le rôle clé de personnalités allemandes au service des plus grandes entreprises énergétiques russes. 
 
Au-delà des graves questions éthiques soulevées, il ne faut pas sous-estimer le rôle majeur des industries allemandes, notamment chimiques, grandes consommatrices de gaz naturel, dont la compétitivité dépend d’un approvisionnement sûr en gaz bon marché. À cet égard, le gaz transporté directement par le gazoduc de Russie à travers la mer Baltique jusqu’en Allemagne, sans transiter par des pays tiers, revient à un prix inférieur au gaz naturel liquéfié (GNL) quelle que soit son origine, même nord-américaine.  
 
Enfin, les investissements en infrastructures de transport consentis pour le gaz naturel ne peuvent être justifiés que par une durée de vie économique qui va bien au-delà de 2045, date fixée pour la neutralité climatique à atteindre par l’Allemagne. Il s’agit donc là aussi de la difficulté de revoir un projet pensé dans les années 2000, à l’aune des nouveaux choix stratégiques de l’Allemagne. 

Des prix de l’électricité élevés pour les ménages  

Les prix de l’électricité en Allemagne ont considérablement augmenté depuis que le pays a amorcé sa transition énergétique et ces prix comptent aujourd’hui parmi les plus élevés d’Europe. Ce n’est cependant pas la sortie progressive de l’énergie nucléaire qui aurait fait augmenter le coût de l’électricité.  

Les prix de gros de l’électricité en Allemagne sont parmi les plus bas d’Europe, en raison du faible coût marginal de production de l’électricité d’origines éolienne et solaire51.  

L’augmentation de la facture des ménages et des petites entreprises allemandes s’explique par une hausse de la surtaxe EEG (soutien aux énergies renouvelables), et des taxes et des frais de réseau qui constituent plus de la moitié du prix de l’électricité.  

Les grandes entreprises, elles, bénéficient d’une exonération de ces taxes alors qu’elles sont les premières consommatrices d’électricité en Allemagne.  

Les décideurs allemands ont donc fait le choix politique de faire porter aux citoyens et aux petites entreprises le coût économique du tournant énergétique allemand, au profit des grandes entreprises allemandes et notamment des plus énergivores, au nom de leur compétitivité sur le marché mondial.  

Vu le consensus démocratique au sein de la société allemande pour une sortie du nucléaire et la forte participation citoyenne dans les projets renouvelables, cette hausse de la facture d’électricité est largement acceptée.

Cette aide de l’État allemand à ses entreprises a d’ailleurs été autorisée par la Commission européenne et d’autres États membres s’en sont également inspiré. 

Notons cependant que le développement des Communautés d’énergies renouvelables en Europe permettra aux citoyens de bénéficier d’une électricité propre à un tarif plus attractif qu’un fournisseur d’énergie (lire notre article Energie chère et précarité énergétique : la rénovation et l’électricité renouvelable sont des solutions). 

La précarité énergétique, un phénomène limité en Allemagne 


La part de la population allemande souffrant du froid chez elle en hiver est relativement  
réduite, avec seulement 2,5% de la population estimant ne pas être en mesure de chauffer suffisamment son domicile en 2019, contre 6,2% en France et 6,9% en moyenne dans l’Union européenne.  

Cette part est, de plus, en constante diminution depuis 2010. Cela s’explique en partie par une action aux niveaux régional et local allemands, qui luttent contre la précarité énergétique. Le gouvernement fédéral, lui, ne reconnaît pas la précarité énergétique comme un problème en tant que tel et soutient les foyers à faibles revenus par le biais des aides sociales.  

Avec l’instauration du prix national du CO2 en début d’année qui a conduit à une hausse des coûts de chauffage, le gouvernement a introduit une composante climat dans les allocations logement des foyers à faibles revenus afin de compenser l’augmentation des prix de l’énergie. Plus de 600 000 foyers reçoivent en moyenne 15 euros supplémentaires par mois. 

Un leader européen 

Se fondant sur un consensus démocratique profondément ancré dans la société allemande, l’Allemagne est en train de réussir son premier objectif de politique énergétique : la sortie du nucléaire dès 2022. 

Les prochaines étapes seront nettement plus structurantes et difficiles puisqu’il s’agira  
pour l’Allemagne de réussir à se passer presque intégralement des énergies fossiles en  
l’espace d’une génération, afin d’atteindre la neutralité climatique dès 2045. 

Pour faire de cette transformation énergétique un succès économique, social et environnemental, l’Institut Delors formule plusieurs recommandations, notamment : 

  • Faire de l’Allemagne un leader de la transition énergétique européenne non seulement sur l’enjeu de la production d’énergie renouvelable, mais aussi sur tous les autres enjeux clés de la transition énergétique, comme la sobriété énergétique, la rénovation des bâtiments, l’investissement dans des infrastructures permettant de limiter l’usage de la voiture individuelle, ou encore la décarbonation des productions industrielles. Une forte impulsion allemande sur ces sujets pourrait favoriser l’émergence d’un leadership franco- 
    allemand, voire d’un leadership avec l’Espagne et l’Italie, pays où les gouvernements accélèrent la transition énergétique. 
     
  • Réviser les règles européennes afin de permettre aux États et aux collectivités locales de réaliser les investissements publics nécessaires au succès de la transition énergétique. 
     
  • L’Allemagne devrait décupler ses investissements publics dans la recherche et l’innovation pour l’énergie. Cet engagement allemand devrait pousser d’autres États, dont la France, à faire de même, et devrait s’articuler avec les outils européens existants comme Horizon Europe ou le Conseil européen de l’Innovation. 
     
  • Enfin, les expériences allemandes de citoyenneté énergétique devraient servir de point de départ à l’élaboration d’une stratégie permettant aux citoyennes et citoyens allemands d’avoir un contrôle plus direct sur les décisions énergétiques. Sur ce point, une coopération franco-allemande pourrait s’avérer utile vu la similarité croissante des dynamiques à l’œuvre dans les deux pays ces dernières années 

Nos autres articles sur la transition allemande. 

Malgré un contexte énergétique très différent, la Belgique va elle aussi sortir du nucléaire et devoir minimiser le rôle du gaz et développer massivement les énergies renouvelables pour atteindre une neutralité carbone en 2050. 

Lire à ce propos : 

CRM: Minimiser le rôle du gaz et viser 100% d’énergies renouvelables 

Tinne Van der Straeten (ministre fédérale de l’énergie) : “Nous réaliserons la transition énergétique avec les citoyens”