« La question de l’énergie et du climat pousse les communes à plus de transversalité »

Marianne Duquesne (UVCW) vient de co-publier un ouvrage sur « La commune et l’énergie ». L’occasion d’aborder avec elle les enjeux auxquels sont ou seront confrontés les acteurs locaux.

 

Marianne Duquesne, ingénieur civil architecte, exerce depuis 2008 la fonction de Conseiller à la cellule énergie de l’Union des Villes et Communes de Wallonie (UVCW). Ses principales préoccupations visent la construction durable et la maîtrise de l’énergie.

Elle vient de co-publier « La commune et l’énergie » aux éditions UVCW/Politeia, dans la collection « Les indispensables des pouvoirs locaux », en collaboration avec Isabelle Callens, ex-FEB et Bureau du Plan, aujourd’hui directeur Public Affairs & Communication pour ORES. L’occasion d’une mise en perspective…

Jean Cech (Renouvelle): Comment, au fil du temps, l’énergie est-elle remontée dans les préoccupations des communes au point d’amener aujourd’hui nombre d’entre elles au premier plan de la transition énergétique?

Marianne Duquesne  (UVCW): Ce n’est pas d’hier que les communes se préoccupent d’énergie. Instituées par la révolution française, elles s’y sont d’abord intéressées pour des raisons de sécurité liée à l’éclairage des localités. Sécurité qui reste un des fondements de la politique communale. Avec le développement des technologies – électricité, lampes à gaz, vapeur, etc. – elles se sont ensuite intéressées au développement des réseaux en accordant des concessions à des sociétés privées. Les communes ont repris leur exploitation en régie ou en créant des intercommunales dans l’entre-deux-guerres. Puis d’autres préoccupations ont pris un temps le pas sur l’énergie, avant que des accords-cadres internationaux comme le protocole de Kyoto ramènent le sujet en haut de l’agenda comme enjeu sociétal. Des communes ont alors voulu être proactives et mettre en place des actions pour participer à l’effort commun.

J.C. : Elles ne disposaient cependant pas de tous les leviers pour ce faire !

M.D. : C’est vrai. Mais certaines évolutions comme la libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité, début 2007, ont contribué à une prise de conscience en enlevant aux intercommunales, via la séparation des métiers, une partie de leurs revenus. Les communes se sont notamment rendu compte, par ce biais, de ce que leur coûtait l’éclairage public. Toutefois, une série d’initiatives étaient déjà en cours çà et là en matière de développement durable, via le Programme communal de Développement Rural (PCDR), le Programme d’Actions Locales Energie (PALE), etc. Ensuite, en 2008,  la Commission européenne a lancé la Convention des Maires visant à encourager et à accompagner les communes désireuses de dépasser l’objectif européen 20/20/20 du paquet énergie-climat.

J.C. : Qu’est-ce qui a amené ce relatif engouement des acteurs locaux qui sont peu à peu passés de politiques très utilitaristes – développement des réseaux, action sur les prix, etc. – à des visées plus ‘idéalistes’ tournant autour de notre avenir climatique?

M.D. : La sensibilité à l’environnement s’est peu à peu étendue à un public de plus en plus large et l’intérêt des gens pour des projets plus participatifs s’est manifesté de plus en plus clairement. La société civile a été « contaminée » peu à peu via les commissions, les groupes de travail, les éco-teams, qui accompagnent généralement les projets communaux comme ceux qui tournent autour des PCDR. Idem pour la Convention des Maires où très vite des équipes se mettent en place pour renforcer la dimension transversale des actions proposées. Des dynamiques se sont ainsi installées au travers des territoires, assurant un relais vers l’ensemble des citoyens, via les sites et bulletins communaux (lire nos articles Climat : ces communes qui prennent les devants et Le bilan carbone communal: un outil d’aide à la décision).

J.C. : Constituant ainsi peu à peu une véritable tradition de gouvernance locale en somme ?

M.D. : Exactement. Et là où cette gouvernance est en place, une action plus globale des communes s’en trouve facilitée, ce qui est important sur des thématiques très transversales comme l’énergie et le développement durable. L’impact positif, y compris financier, au niveau communal, apparaît alors plus clairement et se diffuse mieux dans le public qui se focalise dès lors moins sur le seul volet ‘dépenses’ liées aux investissements.

J.C. : Cela dit, j’imagine qu’on ne passe pas facilement d’une politique énergétique subie – comme cela a longtemps été le cas-, à une politique locale choisie par l’ensemble des citoyens…

M.D. : L’énergie, c’est véritablement, pour la commune, une question transversale qui bouscule complètement le mode de fonctionnement en Services de l’organisation locale. L’énergie intervient dans l’aménagement du territoire et les permis d’urbanisme, dans la mobilité, les finances, les marchés publics pour lesquels des clauses spécifiques doivent être introduites, etc. Quand en 2007, le programme « Communes énerg-éthiques » a été lancé, le conseiller en énergie appelé à orchestrer le mouvement a eu d’abord du mal à trouver sa place. Parce qu’il donnait un peu le sentiment autour de lui qu’il voulait se mêler de tout. Sa démarche pouvait être ressentie comme une tentative de prise de pouvoir et parfois on n’aimait pas çà. Depuis, ils ont pris leur place et les choses se sont stabilisées. Le climat stratégique autour des politiques européennes  y a beaucoup aidé. On a pu se rendre compte que dans les politiques à mettre en œuvre, comme le paquet énergie-climat, la dimension la plus pertinente était l’échelon local. La Région, mais surtout la commune étaient clairement interpellées.

J.C. : Ce qui ne veut pas forcément dire pour autant que le citoyen y voit clairement son intérêt immédiat.

M.D. : C’est vrai. Mais vous constaterez avec moi qu’au niveau local, les initiatives se sont multipliées, comme les commissions de concertations, pour impliquer concrètement les citoyens. Et les retombées de certains événements climatiques comme des  inondations ou de fortes périodes de sécheresse ont eu, à ce niveau, un effet didactique indéniable. Le récent volet « Major Adapt » développé par la Convention des Maires, comme les recherches menées par la Région wallonne pour cerner le niveau de résilience des communes wallonnes dans le cadre des changements climatiques, vont clairement dans ce sens. On n’est plus dans une perception théorique ou philosophique. Les retombées au niveau micro-économique et individuel sont clairement perceptibles. Mais il y a et il y aura toujours des personnes plus portées que d’autres à prendre l’initiative et à lancer de nouvelles pistes de solutions positives. Vous le constatez au niveau des premières communes engagées dans le projet POLLEC (Politiques Locales Energie Climat), vous le voyez dans la construction durable. La dynamique communale fonctionne comme cela.

J.C. : Pensez-vous réellement que la commune soit mieux outillée, par rapport à l’échelon fédéral, pour mener une politique climatique volontariste et ambitieuse ?

M.D. : J’en suis convaincue. Ne fut-ce que parce qu’elle est moins soumise à l’influence des lobbys qui  tentent régulièrement de freiner les évolutions et de privilégier des intérêts particuliers. Les communes ont la chance d’avoir pu identifier des pistes cohérentes sur leur territoire et de pouvoir s’y investir avec de bons appuis notamment régionaux. Même si elles n’en ont pas toujours les moyens et que la norme SEC 2010 sur les investissements locaux pose de sérieux problèmes de financement.

 

La commune et l’énergie

Par Marianne Duquesne et Isabelle Callens, éditions UVCW/Politeia, collection « Les indispensables des pouvoirs locaux », 2015. Commander cet ouvrage

Qui sait à quel point les communes sont impliquées, de longue date, dans le domaine de l’énergie et sont aujourd’hui encore des acteurs incontournables pour relever les défis actuels de maîtrise énergétique et de développement des sources d’énergies renouvelables ? Cette réalité est très rarement contée et dès lors peu connue…

Le présent ouvrage vous invite à découvrir les nombreuses connexions qu’entretiennent les pouvoirs locaux et le vaste domaine de l’énergie : de la mise en place des réseaux de distribution de gaz et d’électricité aux siècles passés à leur gestion et leur évolution vers des « smartgrids », du suivi énergétique des bâtiments communaux au rôle de sensibilisation des utilisateurs, de l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments au recours aux énergies produites localement, …

Ce large panorama, qui ouvre la collection « énergie », s’adresse en particulier aux mandataires et aux agents techniques des communes mais également à toute personne désireuse de mieux comprendre et de s’approprier les enjeux énergétiques locaux.