“La face cachée des énergies vertes” : un docu qui pose questions

Un documentaire largement diffusé accuse la voiture électrique et les technologies renouvelables de générer de nombreux dégâts écologiques, sociaux et sanitaires. Malgré de nombreuses contre-vérités, le docu a le mérite de remettre en question un modèle économique insoutenable et nous rappelle la nécessaire sobriété de la transition énergétique.

Le documentaire “La face cachée des énergies vertes”, diffusé récemment et disponible sur Arte.tv et RTBF-auvio, interpelle le grand public sur les dégâts écologiques, sociaux et sanitaires – réels ou supposés – du développement massif des voitures électriques et des technologies renouvelables dans le monde.

Malgré de nombreuses contre-vérités et un ton volontairement polémique, ce docu a le mérite de pointer les ravages d’un modèle économique insoutenable, basé sur la surexploitation des ressources limitées de la Terre, au service d’une croissance industrielle qui se croit infinie.

Cette boulimie d’énergie et de matières premières concerne tous les secteurs industriels. Elle a commencé au XIXème siècle avec la révolution industrielle et s’est progressivement mondialisée. 

L’essor récent des technologies renouvelables – éolien, photovoltaïque, … – et de la voiture électrique s’inscrit dans ce modèle économique dominant et soulève des questions légitimes. 

Nos sociétés vont-elles par exemple remplacer leur dépendance au pétrole par de nouvelles dépendances à d’autres ressources, telles que les “terres rares”, le graphite, le cobalt et le lithium, utilisés dans certains modèles de voitures électriques ? Or ces métaux sont parfois extraits dans des conditions épouvantables pour l’environnement et la santé des habitants et des travailleurs des pays concernés (Chine, Chili, Bolivie, Afrique, …). 

Sur le site de Baotou (Chine), la plus grande raffinerie de « terres rares » au monde rejette des résidus radioactifs dans un lac artificiel adjacent. Les « terres rares » sont des métaux utilisés pour la fabrication de nombreux objets : pots catalytiques automobiles, smartphones et tablettes, téléviseurs LCD, ordinateurs, … mais aussi certaines éoliennes et certaines voitures électriques.   Photo : Unknown Fields

Le développement d’une transition énergétique propre en Occident ne peut se faire au détriment des écosystèmes et des êtres humains ailleurs dans le monde. 

Nous rejoignons dès lors les conclusions de ce documentaire : la sobriété doit être placée au cœur de la transition énergétique, afin de réduire fortement cette extraction minière. 

C’est en effet à cette condition que les énergies renouvelables et la mobilité électrique pourront trouver leur place dans un projet de société résiliente, capable de stabiliser le réchauffement climatique. 

Notre société sera-telle capable de freiner sa boulimie énergétique ? L’urgence climatique nous y pousse. Mais le déclin pétrolier imminent nous l’imposera peut-être plus rapidement encore. Comment vivrons-nous ces profonds changements d’habitudes ? Et avec quels impacts sur nos libertés individuelles ? (lire notre article Entre déclin pétrolier et réchauffement climatique, voici le temps de la sobriété énergétique).

Pour réussir, la transition énergétique ne peut se limiter à une approche technologique. Elle devra d’abord être sociale et porter de nouveaux modèles économiques et démocratiques, à l’exemple de l’économie circulaire sobre en énergie et matières premières (lire notre article Territoires et climat : la transition sera d’abord culturelle !).

Et en matière de sobriété énergétique, les scénarios de l’association française négaWatt s’avère très utiles pour nous guider.

Pour illustrer ces questions, voici comment la voiture électrique – principal accusé de ce documentaire – peut s’intégrer dans un modèle économique plus sobre et plus durable, dans la perspective d’une Europe Zéro carbone d’ici 2050. 

Des “voitures raisonnables”

En matière de mobilité, nos sociétés devront avant tout développer et encourager la mobilité douce (marche, vélo, trottinette) et l’usage des transports en commun et, dans le même temps, réduire fortement l’usage individuel de la voiture et donc diminuer la construction de véhicules. La voiture la moins polluante est celle que l’on ne fabrique pas !

Mais ce qui roulera sera électrique, car c’est l’option la plus crédible pour abandonner progressivement les moteurs thermiques polluants (essence, diesel) et rouler avec des sources 100% renouvelables (lire notre article Pourquoi la voiture électrique ne résoudra pas notre mobilité …mais jouera un rôle déterminant).

Les constructeurs automobiles devront également s’appuyer sur la sobriété énergétique, et donc concevoir des voitures plus légères, moins puissantes, moins consommatrices d’énergie et de matières premières (lire notre article Nous avons besoin de “voitures raisonnables”).

A ce titre, la course actuelle pour concevoir des batteries de voitures électriques toujours plus grandes et donc plus consommatrices de matières est à proscrire (lire notre article Voitures électriques : « J’ai besoin d’une grande autonomie ». Vraiment ?).

Utiliser des matériaux alternatifs

De nombreux acteurs de la transition sont également conscients des ressources limitées ou nocives actuellement utilisées et se montrent responsables. 

Ainsi, des constructeurs automobiles et des développeurs éoliens fabriquent désormais des voitures électriques et des éoliennes sans « terres rares », grâces à des matériaux alternatifs non-problématiques (lire notre article L’énergie durable se développera sans “terres rares”).

Quant au lithium ou au cobalt (en quantités limitées sur terre), l’industrie automobile pourra progressivement diminuer leur usage voire s’en passer. L’innovation s’oriente en effet vers les batteries au soufre, au sodium, au zinc ou les piles salines, autant de matériaux abondants et/ou à faible impact environnemental.

Dans la même logique, l’Europe a initié en 2020 un large programme pour développer des batteries plus durables et réduire l’empreinte carbone et la quantité de déchets produits aux différents stades de la production. Il s’agit également de mettre au point un démantèlement, un recyclage et un raffinage selon les principes de l’économie circulaire (lire notre article L’Europe développera des batteries plus durables).

Deuxième vie et recyclage 

Après 10 années d’usage, les batteries de voitures électriques doivent généralement être remplacées. 

C’est ici qu’intervient le principe essentiel de l’économie circulaire car ces batteries peuvent encore servir, pour d’autres finalités, pour au moins 10 années supplémentaires. 

En effet, ces batteries usagées (notamment au lithium-ion) peuvent être reconditionnées en capacité de stockage, afin de stocker des surplus de productions photovoltaïques ou éoliennes et contribuer ainsi à l’équilibrage du réseau. En Belgique, la jeune entreprise Watt4ever s’est spécialisée dans ce type de solutions. 

On évite ainsi de jeter et fabriquer trop rapidement de nouvelles batteries, en donnant une deuxième vie aux batteries usagées. 

Enfin, de nouvelles filières de recyclage se mettent désormais en place en Europe pour recycler les véhicules électriques et hybrides, y compris les batteries. 

En Belgique, cette filière est particulièrement performante (lire notre article Les batteries de voitures électriques trouvent une deuxième vie et un recyclage quasi complet en Belgique).

Comme on peut le voir, la mobilité électrique peut ainsi se développer à l’avenir dans un modèle économique sobre, circulaire et respectueux des ressources limitées de la Terre. 

Tout dépendra des volontés politiques et des innovations et solutions déployées par les acteurs de la transition.