Fin 2013, les biométhaniseurs agricoles wallons faisaient cause commune au sein d’une nouvelle fédération, la FEBA. Quelques mois plus tard, ils obtenaient du gouvernement wallon l’engagement sur un soutien public amélioré visant une rentabilité de 8 % minimum au sein de la filière via une augmentation des certificats verts. Relance en vue ?
Tous ceux qui suivent l’actualité énergétique depuis une bonne décennie auront maintes fois entendu évoquer les perspectives prometteuses de la biométhanisation agricole en vue de relocaliser la production d’énergie et diversifier les revenus de l’agriculture. En Wallonie, les développeurs sont longtemps restés sur leur faim. Le contexte est-il en train de changer ?
Le carnet de la biométhanisation agricole publié en juillet dernier par le Réseau wallon de Développement Rural fournit une analyse détaillée de la situation qui prévaut actuellement chez nous et des perspectives qui s’y dessinent aujourd’hui. On y découvre un paysage européen contrasté où les initiatives se concentrent dans des pays comme l’Allemagne (près de 9 000 installations à ce jour), l’Italie (1264), la Suède (606) ou la France (557), la Belgique se contentant de 119 installations de ce type dont une quinzaine à peine pour la Wallonie. Une situation qui devrait s’améliorer dans les prochaines années puisque, sous la précédente législature régionale, le gouvernement s’était engagé à soutenir plus fermement les projets de ce type pour mieux tenir compte des contraintes particulières qui s’imposent à eux dans le la cadre administratif wallon et européen.
Voyons cela avec Gaéthan de Seny, cheville ouvrière de la FEBA et administrateur délégué de la SC Biogaz du Haut Geer.
Jean CECH (Renouvelle) : Ce qui surprend, en parcourant le document bilan de la biométhanisation agricole, c’est qu’on y retrouve à peu près les mêmes obstacles techniques et administratifs qui étaient évoqués il y a près de vingt ans…
Gaethan de Seny (FEBA): Il faut reconnaître que le cadre législatif en la matière et les politiques de soutien à cette filière n’ont pas fondamentalement changé ces dernières années. Si vous faites la comparaison avec l’Allemagne, qui est loin devant dans le développement de la biométhanisation, vous constaterez par exemple que le soutien public à la filière est resté relativement important et stable depuis près de vingt ans. Or vous avez vu avec le photovoltaïque à quel point cet élément peut être déterminant dans le décollage d’une filière.
J.C. : Et où en est-on sur ce terrain en Wallonie ?
G.d.S. : Le gouvernement wallon s’est accordé avant les élections sur un taux de rentabilité de 8 % pour la biométhanisation. La méthode de calcul proposée par la CWaPE n’est pas encore fixée, mais c’est le principe. On a également défini un système de quotas de puissances nouvelles à installer annuellement par filière pour éviter les dérives que nous avons connu avec le photovoltaïque. On devrait donc pouvoir progresser lentement dans un développement accéléré de la biométhanisation agricole, ce qui n’est pas plus mal puisque ce type d’installation demande une organisation assez rigoureuse, constante et progressive en termes de flux.
J.C. : L’avantage, pour positiver, c’est qu’on dispose aujourd’hui d’un gros capital d’expériences engrangées ici, mais surtout ailleurs…
G.d.S. : Oui. Et c’est ce qui nous a amenés à créer voilà un an la fédération des biométhaniseurs, la FEBA. En Europe, la puissance totale installée en biométhanisation de ce type n’est pas loin de 8 000 MW répartis sur près de 13 000 exploitations. Dans ce contexte, la FEBA regroupe les entreprises wallonnes – une quinzaine actuellement – qui ont déjà à leur actif de la production de biogaz. Nous avons besoin de capitaliser toutes les expériences en la matière – techniques, administratives, opérationnelles, etc. –, quelle que soit la taille de l’installation et où qu’elle se situe.
J.C. : Mais en terme d’équipement, l’essentiel du savoir-faire actuel est allemand…
G.d.S. : C’est vrai. Les trois quarts des équipements spécialisés que nous utilisons actuellement sont de fabrication allemande. Mais une fois sortis des délais de garantie, nous serons parfaitement en mesure de travailler et de poursuivre notre évolution avec des entreprises wallonnes. Ce sont elles qui, à terme, prendront la relève lors des remplacements de matériel. Le savoir-faire est là et ce n’est pas inintéressant que cette industrie et sa main d’oeuvre locale puissent faire leurs armes et se développer en bénéficiant de l’expérience de nos voisins allemands.
J.C. :Encore faut-il que la politique de soutien au renouvelable s’avère suffisamment stable à l’avenir pour que les industriels concernés se mobilisent sur cette filière…
G.d.S. : C’est en effet un point essentiel. Mais notre objectif n’est évidemment pas de dépendre uniquement de ce niveau de soutien. Il existe de nombreux paramètres sur lesquels on peut jouer pour augmenter la rentabilité de la filière. Et on les connaît de mieux en mieux. C’est de trouver des matières premières stables, moins chères et/ou plus méthanogènes pour le même prix, de mieux organiser le transport et le stockage, d’augmenter le potentiel de production de gaz par flux de matière, de mieux valoriser le digestat, etc. On a fait de gros progrès dans toutes ces directions, notamment via le brassage des expériences acquises sur le terrain. Mais la plupart de ces évolutions positives se heurtent à toute une série de contraintes administratives, normatives et réglementaires. Il existe treize points de contrôle – AFSCA, Office wallon des Déchets, Nitrawal, … – rien que pour les digestats. Nous ne nions pas en soi l’utilité de ces contrôles, mais il y en a aujourd’hui tellement que le risque pour le producteur et l’utilisateur de ne pas être aux normes est tout simplement dissuasif. Y compris pour les banques.
J.C. : Là encore je vous dirais que ce n’est pas vraiment nouveau…
G.d.S. : En effet, au fil des ans, le système a même gagné en complexité. Et ce qui rend les choses difficiles pour y remédier, c’est qu’on a affaire à différents services et ministères qui ne communiquent pas assez étroitement entre eux et dont l’autorité de tutelle veille avant tout à ne pas se mettre en défaut par rapport à l’Union européenne. Donc mieux vaut être plus sévère que moins. Les implications concrètes et quotidiennes au niveau du terrain – pertes de temps, frais d’analyse, etc. – ne sont que des effets collatéraux compte tenu des enjeux. Nous pouvons le comprendre et en tenir compte dans notre pratique, mais il faut que l’autorité se rende compte de son côté que plus elle complique le système sans veiller à la cohérence globale, plus la rentabilité de la filière risque d’être compromise.
J.C. : Mais le potentiel de valorisation du biogaz et de ses résidus de production n’est pas encore pleinement exploité ? Il y a encore des niches inexplorées ?
G.d.S. : En effet. Et nous y travaillons tant au niveau du biogaz lui-même que de produits connexes liés à sa production. Mais ces nouveaux marchés de niches ne se développent pas en quelques mois. Et là encore, comme dans la production d’alimentation pour le bétail, on retombe sur des règlementations spécifiques comme celle de l’ASFCA par exemple. Dans la filière de valorisation du biogaz en carburant automobile (CNG) pour laquelle nous étudions actuellement une formule de distribution en collaboration avec la Fédération du Gaz, c’est toute une organisation qu’il faut concevoir entre différents intervenants et utilisateurs potentiels. Un ensemble de partenaires qui ne s’engageront qu’avec l’assurance d’une certaine stabilité sur la durée. C’est un des objectifs de la fédération.
J.C. : Est-ce qu’il existe un profil idéal d’exploitation locale au sein de la filière biogaz, une sorte de clé sur porte… La comparaison avec le marché allemand semble plaider pour les structures de taille relativement réduite…
G.d.S. : Je crois que les conditions locales sont déterminantes. Chaque installation doit être étudiée en fonction de son contexte local. En Hesbaye nous disposons d’un gros potentiel en production maraichère donc de cultures à cycles courts. Dans le Condroz on ira plus vers des céréales, dans les Ardennes ce sera encore différent et à chaque fois on aura affaire à un autre type d’interlocuteurs et un autre modèle d’installation s’imposera. Les options politiques aussi vont peser. Par exemple, avec le nouveau taux d’octroi de certificats verts envisagé par la Région wallonne, nous n’avons plus l’obligation de valoriser la chaleur. C’est un changement considérable. Il nous permettra de nous focaliser sur la valorisation électrique de nos installations, la valorisation de la chaleur venant en sus, éventuellement par étape, ce qui réduit considérablement le risque financier de l’investisseur au départ. Cela dit, le modèle allemand auquel vous faites référence et qui semble privilégier les installations de taille moyenne, est principalement dicté par le système de soutien des pouvoirs publics qui fixe un plafond à 500 kW. Il n’est pas rare que vous trouviez côte à côte trois ou quatre installations distinctes de 500 KW chacun et appartenant à des entités juridiques différentes. Je vous l’ai dit, dans ce type de filière le soutien public est déterminant.