La Wallonie picarde co-développe une centrale marémotrice ...en Ecosse. Tandis que le premier projet belge d’énergie houlomotrice pourrait voir le jour en mer du Nord.
La mer et les océans sont animés d’incessants mouvements : houle, courants et marées, qui peuvent être exploités pour une production d’électricité renouvelable.
Ces énergies marines sont encore peu connues du grand public car les différentes technologies nécessaires pour les valoriser en sont encore au stade de Recherche et Développement c-à-d largement exploratoires.
Et pourtant, depuis plus de 10 ans, des prototypes, des projets pilotes et de démonstration sont réalisés au large des côtes européennes – particulièrement au Royaume Uni, en Irlande, dans les pays Scandinaves, aux Pays-Bas, en France et au Portugal – afin de tester et améliorer ces nouvelles technologies de production d’énergie.
Chaque année, des centaines de scientifiques et professionnels se réunissent ainsi pour partager les défis, innovations et avancées technologiques en cours lors de la European Wave and Tidal Energy Conference.
Ce grand laboratoire de “l’énergie bleue” en vaut la chandelle puisque, selon Ocean Energy Europe – le réseau des professionnels du secteur -, les énergies marines pourraient atteindre 100 GW de capacité de production d’ici 2050 et couvrir ainsi 10% de la demande d’électricité en Europe, soit l’équivalent de la consommation électrique de 76 millions de ménages.
L’Europe a déjà investi 300 millions € en R&D afin de faire émerger ces technologies et pouvoir, à terme, les intégrer dans ses objectifs climatiques.
Cette industrie pourra alors créer 400.000 emplois qualifiés en Europe.
Mais de quelles énergies parle-t-on ici ?
Les énergies marines sont multiples mais les deux principales sont :
- L’énergie des vagues – ou énergie houlomotrice (wave energy) – produit de l’électricité à partir de la houle, c’est-à-dire des vagues successives nées de l’effet du vent à la surface de la mer. Les turbines sont immergées ou à flots.
- L’énergie marémotrice (tidal stream) exploite le flux et reflux des courants marins ou des marées. Les turbines sont immergées.
En savoir plus sur les énergies marines
Le Royaume Uni mise sur son potentiel
Le Royaume Uni figure parmi les pays les plus avancés en Europe et dans le monde. La raison en est simple : les mers britanniques disposent d’un important potentiel et les entreprises spécialisées actives en milieu marin, autour des plateformes pétrolières et gazières locales, y voient une opportunité de diversifier et pérenniser leurs activités (les gisements de pétrole et de gaz diminuent, alors que les énergies marines se renouvellent).
La fédération britannique des énergies renouvelables a d’ailleurs réalisé une carte interactive avec les nombreux projets d’énergies marines actuellement testés (ci-dessous).
De la Wallonie picarde à l’Ecosse
Or des acteurs belges commencent à s’intéresser à ces nouvelles filières de production d’énergies renouvelables.
L’Agence IDETA, active en Wallonie picarde, fut la première à co-investir, en 2016, dans une centrale hydrolienne aux larges des îles Shetlands, au Nord de l’Ecosse, en injectant 1,8 million € dans ce projet baptisé Bluemull Sound, en partenariat avec un acteur local, Nova Innovation, et en bénéficiant d’un fort soutien du Gouvernement écossais.
Le projet comprend 6 turbines à axe horizontal et à rotor bi-pales de 0,1 MW chacune (illustration ci-dessous), pour une capacité totale installée de 0,6 MW donc (en savoir plus sur cette technologie). Les machines sont en opération depuis plus de trois ans, ce qui en fait un des projets les plus matures du secteur en Europe.
Mais pourquoi la Wallonie picarde prend-elle la mer ?
Renouvelle a voulu en savoir plus et a interrogé Olivier Bontems (photo ci-dessous), Directeur « Energie et Projets spéciaux » à l’Agence IDETA.
« Le fait d’avoir été parmi les premiers en Europe, avec nos collègues écossais, à déployer des hydroliennes, nous a permis d’être sélectionnés dans le cadre d’un projet de Recherche européen inscrit dans le programme Horizon 2020. Le projet, baptisé EnFait, vise à étudier le développement et l’exploitation d’une ferme hydrolienne significative (six turbines) sur une période de cinq ans, afin d’établir un parcours de réduction des coûts de l’énergie marémotrice et de prouver que cette dernière peut être concurrentielle, par rapport à d’autres formes d’énergie renouvelable. », explique-t-il.
« Cela peut paraître curieux mais la Wallonie picarde, déjà très active dans la coopération transfrontalière, a pu faire valoir ses compétences en développement territorial et sa forte collaboration bilatérale avec une entité du gouvernement écossais, à travers ce projet de coopération transrégionale en Europe du Nord-Ouest. Au bout du compte, grâce à un financement européen de plus de 20 millions d’euros, nous avons pu donner un sens profond à notre démarche, en passant d’une « simple » unité de production d’électricité renouvelable vers un véritable démonstrateur industriel de ce que l’Europe peut faire de mieux quand ses acteurs publics et privés, collaborent en gommant les frontières. »
« Cette collaboration est d’autant plus essentielle si on garde à l’esprit que la Wallonie picarde, comme d’autres territoires, ne pourra couvrir sa consommation énergétique – 15.000 GWh/an – uniquement en autoproduction verte locale. Nos territoires atteindront un jour leurs limites et il est logique d’aller rechercher la ressource d’énergies renouvelables vers d’autres territoires qui en disposent abondamment. Avec l’interconnexion Nemo et des réseaux électriques européens en général, cette stratégie prend tout son sens. » (lire notre article La Belgique et le Royaume Uni sont désormais interconnectés).
Mais pourquoi l’énergie hydrolienne ?
« L’énergie marémotrice dispose d’un potentiel énorme en Europe et s’avère très prévisible, le rythme des marées étant connu pour une centaine d’années. Cette énergie est donc très complémentaire de l’éolien et du solaire », explique Olivier Bontems.
« On connaît également le courant maximum sur chaque site, par exemple 7 mètres par seconde. On peut donc dimensionner les machines pour chercher cette force et atteindre ainsi un facteur de charge de 45-50%, ce qui est plus élevé que l’éolien offshore. De plus, la technologie est relativement similaire. Une hydrolienne, c’est une éolienne qui fonctionne sous l’eau avec la même chaîne électromécanique : un rotor, une génératrice, etc. Nous travaillons d’ailleurs, par exemple, avec Siemens, qui fabrique aussi des éoliennes. »
Déploiement d’une hydrolienne sur le site Bluemull Sound, à proximité des îles Shetlands, par l’Agence IDETA et ses partenaires.
En quoi consiste ce projet de Recherche ?
« Le projet EnFait, qui réunit neuf acteurs européens, vise principalement à optimiser le déploiement et la maintenance des machines, notamment en augmentant leur fiabilité. Il ne faut pas oublier que nous travaillons en milieu marin, et donc potentiellement « hostile » et, uniquement entre les marées montantes et descendantes – ce que l’on appelle l’étale -, période réduite pendant laquelle nous disposons d’une fenêtre pour mener à bien nos opérations. Or la météo impacte fortement cette gestion, en cas de tempête par exemple. Le projet permet également d’étudier les effets de positionnement et configuration des turbines marémotrices sur le rendement et la réduction des coûts de l’énergie, en utilisant un logiciel de modélisation développé par l’Université d’Edimbourg pour déterminer la solution la plus efficace. »
A mi-parcours, où en est le projet ?
« La ferme hydrolienne tourne et produit de l’électricité », poursuit Olivier Bontems. « Et l’objectif est de faire évoluer le coût du MWh hydrolien – 350€/MWh en début de projet – vers le coût de l’éolien offshore – environ 150 €/MWh -, c’est-à-dire diviser le coût par deux. Et nous sommes en bonne voie. Entre la première et la troisième hydrolienne installée, le coût des opérations navales, qui représentent un poste important, a effectivement été divisé par trois. L’objectif pour 2020 est d’approcher un coût de 240 €/MWh. Nous sommes très satisfaits. Le projet européen se terminera en 2022, nous avons encore du pain sur la planche mais les choses évoluent positivement ! Le projet EnFait participe donc concrètement à l’émergence d’une technologie renouvelable qui sera compétitive demain. C’était bien la feuille de route que nous avait donné l’Europe en validant le projet. »
Premier projet en mer du Nord
Autre signe intéressant : La première exploitation belge de l’énergie marine pourrait également voir le jour dans les prochaines années en mer du Nord, sous l’impulsion de l’industrie florissante de l’éolien offshore.
En effet, le goupe Otary, qui gère déjà le parc éolien Rentel, construira prochainement les parcs éoliens Seastar et Mermaid. Le développeur prévoit d’y intégrer un projet de production d’électricité à partir des vagues. Une première en Belgique.
La centrale houlomotrice serait intégrée à l’un des 2 parcs éoliens en cours de construction, Seastar ou Mermaid, qui seront opérationnels en 2020.
Le développeur s’annonce prudent mais a d’ores et déjà créé une entreprise dédiée : North Sea Wave.
“Le développement de convertisseurs d’énergie des vagues n’est pas encore arrivé à maturité technique et financière mais sera suivie de près par North Sea Wave”, explique le développeur dans un communiqué. “Le développement de ce projet dépendra de la maturité technique et commerciale, mais aussi de la faisabilité financière et économique, possiblement dans un cadre régulatoire plus large.”
Ce projet pilote aura en effet besoin d’un soutien financier spécifique à inventer, car les mécanismes belges ne prévoient pas encore de soutien pour l’énergie marine.
C’est tout l’enjeu de ces technologies émergentes : Comment se développer grâce à un mécanisme de soutien puis atteindre progressivement une rentabilité et devenir aussi compétitives que l’éolien et le photovoltaïque ?