La société civile se mobilise en vue du sommet climatique de Paris. La Plateforme Justice climatique nous explique les enjeux de cette mobilisation de grande ampleur.
La France accueillera en novembre et décembre tous les décideurs politiques de la planète afin de fixer nos engagements pour le climat (lire notre article Un climat d’ouvertures). De nombreux mouvements comptent leur rappeler l’urgence d’agir avec ambition.
En Belgique, 70 associations environnementales, des mouvements Nord-Sud, des syndicats et des citoyens se réunissent au sein de la Coalition Climat, une coupole qui prépare une mobilisation de grande ampleur. Parmi les défis : réunir 10.000 personnes pour une marche citoyenne dans Paris.
Sur le plan politique, c’est la Plateforme Justice Climatique, co-animée par le CNCD-11.11.11 et son homologue flamand 11.11.11, qui prépare l’interpellation politique commune de cette grande « famille ». Interview.
Jean Cech (Renouvelle) : Est-il difficile pour la société civile de parler d’une seule voix sur une thématique comme le climat ?
Véronique Rigot (Plateforme Justice Climatique) : Ce n’est effectivement pas simple de réunir tous les représentants de la société civile dans toutes ses dimensions et d’obtenir un consensus sur une telle problématique. Le but d’une plateforme comme la nôtre étant d’aboutir à un rapport de force qui pèse réellement dans le contexte politique qui entoure un tel événement. Ce n’est certainement pas un exercice facile de réunir les points de vue tant des organisations environnementales que des syndicats et des organisations axée sur les dynamiques de développement. Il y a toute une série de sujets où il n’est pas évident de trouver LA formulation qui nous permette idéalement de défendre tous ensembles un positionnement commun. Mais on y arrive, la Plateforme fonctionne depuis 2011 et nos interpellations gagnent en poids et en impact au fil des années.
J.C. : Il y a tout de même, au départ, un fil commun, une convergence naturelle de points de vue, non ?
V.R. : Absolument. Depuis 2007, la société civile belge se réunit sur le sujet au sein de la Coalition Climat. Mais si tout le monde se rejoint sur le constat de départ et l’ambition d’œuvrer pour plus de justice climatique, il s’avère plus difficile de dégager un point de vue commun lorsqu’on entre dans des définitions et des situations plus concrètes. Quand on parle du nucléaire par exemple, autant on est d’accord pour dire que c’est une fausse solution en termes de durabilité sur le plan climatique, autant il est difficile pour les syndicats de relayer les implications que cela suppose en termes d’emploi. Et c’est normal. Même au sein d’une même famille, les divergences peuvent être très fortes. Il n’est pas rare qu’au sein des organisations environnementales, on trouve des positions sensiblement différentes, y compris selon les zones géographiques considérées. Dès lors qu’on veut avoir une analyse critique et des positions nuancées, les divergences de point de vue sont inévitables. L’important, c’est qu’on soit tous d’accord sur les constats et sur la nécessité d’y apporter des solutions. Sur le climat, il n’y a aucune hésitation là dessus.
J.C. : Quand on suit, au fil des ans, les négociations sur le climat, on a souvent l’impression que les résultats obtenus ne sont jamais à la hauteur des enjeux et du travail accompli pour les préparer. C’est inévitable ?
V.R. : C’est un peu le propre de ce type de négociations internationales au plus haut niveau. Quand on voit la complexité des problèmes évoqués et le nombre de pays autour de la table, je crois qu’effectivement, d’une certaine manière, c’est inévitable. Au sein d’un couple, il n’est déjà pas toujours évident de se mettre d’accord, alors imaginez à 192 autour de la table !
J.C. : S’agissant des négociations sur le climat, il y a pourtant des centaines et des centaines d’heures de discussions préalables impliquant des centaines et des centaines d’experts. Or, dès l’entame de la conférence, on constate que le flou demeure !
V.R. : Le flou est bien là, mais le point positif pour la COP21, c’est qu’on a déjà un texte préparé à Lima, peaufiné durant une semaine à Genève, et qu’on reprend durant deux semaines à Bonn pour le préciser. Toutes les propositions des pays concernés s’y retrouvent dans moins d’une centaine de pages. L’idée est de ramener, à Paris, ce texte nettoyé à une trentaine de pages. A partir de là, c’est la négociation finale qui compte. Ce qu’on a constaté ces dernières années, c’est une négociation « à la dur » et au finish, qui fait qu’en finale on a souvent un texte très dilué. De sorte que, c’est vrai, on est toujours un peu déçu. Copenhague a été révélateur à ce niveau. On attendait un accord final et on le préparait depuis 2007, mais les pays n’ont pas été capables de s’entendre et ce fut un échec à ce niveau. Par contre, ce qui ressort de Copenhague n’est pas un échec dans le sens où quelques pays se sont mis autour de la table pour conclure un accord dont le procédé était contestable, mais dont le contenu était très positif : pour la première fois, des engagements chiffrés ont été avancés en termes de financement.
J.C. : Concernant le fameux fond vert, n’était-ce pas un simple coup de pub puisqu’en définitive les pays n’ont quasi rien mis sur la table ?
V.R. : Depuis 2009, il y a eu des avancées sur ce plan. Les négociateurs internationaux sont en train de préciser comment ce fond vert va fonctionner. Le fond vert est aujourd’hui opérationnel : il est en mesure de sélectionner les premiers projets et un appel à financement a été lancé au printemps 2014 pour renforcer son secrétariat, mais aussi pour financer les premiers projets. Lors de la COP de Lima, l’objectif était de dégager 10 à 15 milliards de dollars, dont un peu plus de 10 milliards ont déjà été récoltés. Au niveau belge, une promesse de financement a été faite, mais – hormis pour la Région bruxelloise – l’argent n’a pas encore été déboursé.
J.C. : … Ce qui nous amène, en Belgique, au problème du « burden sharing », la fameuse répartition des efforts entre les Régions et le fédéral.
V.R. : C’est un vrai scandale. De notre point de vue, il est inacceptable de se retrouver depuis si longtemps dans le blocage où nous sommes. Cela a des conséquences énormes pour l’ensemble de la société. Seule une répartition claire des objectifs d’émissions de gaz à effet de serre et d’énergies renouvelables entre les Régions et le fédéral peut réellement favoriser la transition écologique et sociale que la société civile appelle de ses vœux. Dans les discours comme dans les accords de gouvernement conclus en 2014, tous les politiques se disent décidés à ce que cela se règle rapidement.
C’est aussi un élément décisif dans la question cruciale du financement climat. Lors de la COP à Lima, en décembre dernier, la Belgique a été pointée du doigt sur cette question au niveau international. Sans accord de répartition cette année, la Belgique risque de se retrouver à nouveau bloquée et incapable d’annoncer à Paris un financement climat prévisible pour la période 2015-2020. Or, comme l’a rappelé Laurent Fabius – qui présidera la COP21 –, le financement climat, c’est un élément clef. Ce partage des efforts est la pierre angulaire d’une politique belge concertée et efficace au niveau climatique.
J.C. : N’est-ce pas aussi le signe que la stratégie actuelle en matière de climat, avec ses sommets en cascade, est arrivée au bout de sa logique puisque les déclarations tonitruantes ne débouchent pas sur des mises en œuvre d’ampleur correspondante ?
V.R. : D’abord, tout le monde n’est pas à mettre dans le même sac. Il y a des responsables politiques qui s’investissent vraiment. Mais il y a aussi, à côté de cela, des situations spécifiques qui enrayent le système. Comme en Belgique où l’arrivée de la NVA dans le gouvernement fédéral complique tout. Ce parti souhaite toujours déconstruire la Belgique et tout ce qui témoigne du mauvais fonctionnement du fédéral est bon à prendre. L’accord de « burden sharing » tombe à point nommé pour une telle démonstration.
J.C. : La lecture des comptes rendus relatifs aux discussions de préparation en cours témoigne d’une incroyable dispersion des sujets abordés par les différents pays. N’y a-t-il pas là une tentation de noyer le poisson ? La plateforme justice climatique va-t-elle arriver à Paris avec des demandes non seulement unanimes mais cohérentes sur la ligne stratégique à adopter ?
V.R. : Nous mettons très clairement en avant un certain nombre de priorités, à commencer par la question de la réduction des gaz à effet de serre. C’est la question centrale et la clé pour l’avenir du climat. La suite du protocole de Kyoto se prépare depuis 2007 et comporte, c’est vrai, une multitude de sous dossiers. Mais cet élément est clairement le fil conducteur. Cette diversité des sujets est malheureusement inhérente au sujet abordé. Et elle embarrasse surtout nombre de « petits » pays participants qui n’ont pas les moyens de se payer les experts qui devraient défendre leur cause dans chacune des discussions.
Ce qui nous ramène à nos priorités justement : pour les pays en développement, la question du financement est aujourd’hui cruciale. Dans la convention initiale sur le climat (1992), il était déjà prévu que les pays industrialisés soutiennent les pays en développement confrontés à la crise climatique. Les premiers engagements chiffrés ont été mis sur papier à Copenhague et il est grand temps de concrétiser tout cela au-delà des discours. Mais la question se pose aussi au niveau belge à travers notamment le financement des énergies renouvelables et d’une transition juste pour l’ensemble des travailleurs concernés.
Le troisième élément que nous voulons mettre en avant, c’est la prise en charge des personnes qui sont victimes de changements climatiques. Que fait-on ? Comment les dédommager ? Quel mécanisme international mettre en place – assurance ou protection sociale – pour assumer une partie des pertes et préjudices consécutives aux changements climatiques ? Ce sont des vraies questions de fonds.
J.C. : Ce qui frappe, c’est que toutes ces questions à connotations financières se posent au plus mauvais moment, pourrait-on dire. Celui d’une crise financière qui n’en finit pas. Comment en tenir compte ?
V.R. : Je voudrais d’abord souligner que, en dépit de la crise financière, de l’argent, il y en a. Et il n’est pas trop difficile de savoir où il est. Pendant que nous faisons mine de gratter les fonds de tiroir, les Etats continuent à subventionner l’exploration et l’exploitation d’énergies fossiles à hauteur de quelque mille milliards de dollars chaque année. Au regard des cent milliards de dollars évoqués pour le fond vert, ce sont des montants colossaux. Or ils sont alloués à des fins qui vont précisément à l’encontre des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’environnement que nous poursuivons. Cela fait des années que la société civile s’insurge contre cette anomalie. Et cette question ne cesse de prendre de l’ampleur.
J.C. : Concrètement, quelles actions la société civile a-t-elle prévu pour se faire entendre à Paris en décembre prochain et dans quel sens ?
V.R. : Une multitude d’actions sont prévues, dont une grande manifestation au début des négociations. Et elles convergeront toutes pour exiger une plus grande ambition politique. La société civile ne se contentera pas de la conclusion d’un accord international a minima. Elle se montrera très critique sur son contenu.
Cet été, des forums Alternatiba seront organisés. Enfin, un train de la société civile – le Climate express – partira le 29 novembre pour emmener les participants à Paris. Le CNCD-11.11.11 sera de la partie et affrétera un wagon « Nord Sud ». Une initiative que nous avons baptisée « Paris à prendre ».