Grâce aux 35 millions € levés auprès des citoyens belges, la banque NewB pourrait être créée en 2020. Cette coopérative éthique et durable amorcerait ainsi un véritable financement de la transition énergétique en Belgique.
Encore inconnue du grand public il y a peu, la coopérative belge NewB, dédiée aux financements éthiques et durables, a réussi son pari de lever 35 millions € lors de sa campagne de capitalisation, du 25 octobre au 4 décembre 2019.
Un succès populaire et médiatique qui a surpris beaucoup de monde.
Plus de 71.000 investisseur.euse.s ont souscrit des parts. Il s’agit principalement de citoyens, dont la moyenne d’âge était de …29 ans. Une jeunesse qui estime que les banques et l’argent doivent être mis au service de la société et de l’environnement (lire ces témoignages : Pourquoi les jeunes ont-ils investi dans NewB ? ).
Mais le secteur associatif s’est également mobilisé : de nombreuses associations – dont l’APERe, qui édite votre revue Renouvelle.be -, des mouvements de jeunesse, des coopératives, des universités, des syndicats, … ont également investi dans le capital de cette coopérative.
Enfin, la Wallonie et la Région bruxelloise ont également pris des parts importantes, au travers des institutions régionales chargées du soutien à l’économie sociale et coopérative (la Société Wallonne d’Économie Sociale Marchande – SOWECSOM – et Finance&invest.brussels).
Assurée de son financement, NewB doit désormais obtenir son agrément de la Banque Centrale Européenne – attendu pour le 15 mars 2020 au plus tard – et pourrait ainsi démarrer ses activités bancaires dans les mois qui suivent (comptes courants, comptes d’épargne et prêts à tempérament à moyen terme pour les particuliers).
D’où vient ce succès ?
Et surtout : pourquoi cette future banque citoyenne changerait profondément le paysage bancaire belge ? Quel rôle NewB peut-il jouer dans le financement de la transition énergétique en Belgique ?
La crise financière de 2008 : une prise de conscience
Aux origines du succès de NewB se trouve d’abord un électrochoc : la crise financière mondiale de 2008. Aux abois, l’Europe doit injecter 1.000 milliards € pour sauver le secteur bancaire, piégé par la spéculation sur les marchés financiers.
En Belgique, l’Etat doit injecter 32,6 milliards € pour sauver les banques belges (lire cette analyse de Financité).
Les citoyens – et contribuables – belges découvrent que le secteur bancaire privé joue avec leur épargne comme avec le feu.
L’idée d’une banque citoyenne commence à germer.
La coopérative NewB est crée en 2013, soutenue par 50.000 coopérateurs et 150 partenaires associatifs et institutionnels. Un long travail de conscientisation de la société civile commence.
Désinvestir des énergies fossiles
La prise de conscience climatique et notamment l’Accord de Paris sur le Climat (la COP21 en 2015) jouent également en faveur d’un projet de banque éthique et durable.
Car, à l’origine du projet NewB, se trouve cet enjeu fondamental : « Notre épargne confiée à la banque continue à financer le carbone », explique la coopérative sur son blog. « Le Fossil Fuel Finance Report Card 2019 révèle ainsi que les 33 principales banques mondiales ont accordé 1.688 milliards d’euros de financements aux énergies fossiles depuis la COP21 de 2015, soit plus que le produit intérieur brut (la valeur de la production économique) du Canada ou de l’Espagne… Tant que cela n’aura pas changé, nous pouvons oublier la transition sociale et environnementale pourtant aussi indispensable qu’urgente ! »
En Belgique, le constat est similaire : Une étude réalisée en 2017 par la Coalition Climat a ainsi montré que les 4 plus grandes banques belges – Belfius, BNP Paribas Fortis, ING et KBC – ont investi 40 milliards d’euros dans l’industrie des énergies fossiles.
Dans un communiqué, la Coalition Climat souligne ainsi qu’investir dans les énergies fossiles est non seulement nocif pour le climat mais représente aussi un risque financier. Ainsi BlackRock, le plus grand gestionnaire de patrimoine au monde, a-t-il averti que les combustibles ou centrales fossiles coûteront bientôt plus que ce qu’elles ne rapporteront.
L’Accord de Paris sur le Climat stipule que 85% des réserves de charbon, pétrole et gaz connues à ce jour doivent rester dans le sol. Selon Frank Vanaerschot, coordinateur des recherches sur les banques chez Fairfin, ces énergies « ne valent donc plus rien. Continuer à investir dans celles-ci relèverait d’une politique financière irresponsable », conclut-il dans ce même communiqué.
La prochaine crise financière pourrait éclater avec cette bulle du carbone.
Investir durablement
Notons qu’il existe déjà une banque privée éthique et durable en Belgique, Tridos, spécialisée dans l’épargne et le placement pour les particuliers et le crédit aux entreprises.
NewB se démarquera par son fonctionnement coopératif et son offre de comptes courants et de crédits aux particuliers (pas de placements prévus).
Ces deux acteurs ne se considèrent pas comme concurrents. Au contraire, avec plusieurs acteurs éthiques sur le marché belge, la finance citoyenne se renforcera.Le nouveau Scan des banques, réalisé par une coalition de 7 ONGs, témoigne d’ailleurs du dynamisme des petites banques dans tous les domaines évalués tels que : éthique, climat, droits de l’homme, fiscalité, transparence et égalité des genres.
Triodos arrive largement en tête, suivie de vdk bank et Argenta.
Les grandes banques, qui dominent le secteur, présentent toutes un mauvais bulletin (Belfius, BNP Paribas, Deutsche Bank, ING, KBC).
Une véritable éthique bancaire
En prenant la forme d’une coopérative, NewB se démarque également des banques capitalistes orientées vers la seule maximisation du rendement financier à court terme.
Dans une carte blanche, Philippe Lamberts, Co-président des Verts au Parlement européen, salue la démarche de NewB. « Des institutions telles que BNP Paribas, Deutsche Bank ou ING continuent de profiter de leur statut de banque « trop grande pour faire faillite », non seulement, pour spéculer, mais également pour se livrer à des activités délictueuses. Ces dernières années, elles ont toutes les trois été condamnées à verser des centaines de millions d’euros d’amendes pour diverses affaires de corruption et de blanchiment d’argent. Dans le même temps, leurs dirigeants continuent de s’octroyer des rémunérations indécentes tout en supprimant massivement des emplois.
Dans ce contexte, l’arrivée sur le marché d’une banque coopérative dont l’ambition affichée est de retourner aux fondamentaux du métier bancaire – à savoir, mettre l’épargne au service de la société – ne peut être que salutaire. »
Des exemples inspirants à l’étranger
Il est donc urgent d’imaginer un autre modèle bancaire.
Loin d’être utopistes, les fondateurs de NewB s’inspirent ainsi d’exemples pertinents en Europe.
« Si la tendance générale est à la diminution du nombre de banques ou à la fusion des banques existantes, certains pays se démarquent par la diversité des acteurs en présence », expliquent-ils sur leur blog. « C’est le cas de l’Allemagne par exemple. Les 400 banques d’épargnes publiques y jouent un rôle important dans le financement de l’économie régionale et il en va de même pour les 900 banques coopératives dans le financement de projets de leurs coopérateurs. Même constat pour le petit voisin autrichien. L’Autriche, c’est environ 600 banques et une diversité d’acteurs impressionnante : banques privées, banques de crédit hypothécaire publiques, banques coopératives ou caisses d’épargne par exemple. Ne pas laisser l’entièreté du marché dans les mains d’une poignée de banques privées, comme en Belgique, c’est donc apparemment possible. »
Les penseurs de NewB tirent également les leçons de certaines expériences coopératives en Europe et veulent éviter les dérives. « Si les banques coopératives sont monnaie courante dans certains pays, il faut certes nuancer leur capacité à être toutes des acteurs éthiques exemplaires. Si fondamentalement, les banques coopératives ont des logiques de gouvernance collective et qu’elles répondent aux besoins économiques concrets de leurs membres, certaines ont pu tomber dans les dérives des banques conventionnelles. A l’étranger, certaines banques coopératives sont cependant de réelles sources d’inspiration pour NewB. C’est le cas par exemple de la banque GLS en Allemagne (50.000 membres), de Banca Popolare Etica en Italie (50.000 clients), du Crédit Coopératif en France (300.000 clients) ou de Ekobanken en Suède. »
Des valeurs et une gouvernance démocratique
Inspirée par ces exemples européens, NewB a d’ores et déjà adopté un cadre et un mode de fonctionnement en cohérence avec ses objectifs :
- Un cadre coopératif qui permet une gouvernance horizontale. Chaque coopératrice et coopérateur dispose en effet d’une voix à l’AG quel que soit le capital qu’il ou elle a investi. Ce fonctionnement coopératif permet d’instaurer de la participation, de la transparence et un contrôle démocratique au sein de NewB.
- 13 valeurs inscrites au sein des statuts, qui forment une matrice que les organes de NewB sont tenus de suivre dans l’organisation de la gouvernance et le développement des services bancaires.
- Un comité sociétal, un comité indépendant élu par l’assemblée générale, qui a pour mission de veiller à ce que les orientations et les décisions prises au sein de NewB restent conformes à ces 13 valeurs.
- Enfin, une série de règles internes interdisent les voitures de société et les bonus, qui limitent les salaires ou imposent une sobriété stricte (des bureaux de l’équipe aux diners professionnels par exemple).
NewB devra faire ses preuves
Certains observateurs ont émis des critiques envers la future gouvernance de NewB, notamment sur la capacité des coopérateurs de type C (parts de 200.000€) de bloquer les décisions des catégories A (2.000€) et B (20€). Gageons que la coopérative se montrera pragmatique et plus exemplaire que le secteur privé.
Deux autres autres critiques récurrentes concernent les pertes déjà engrangées par NewB (environ 10 millions €) et le risque que les parts investies soient perdues dans le cas où cette future banque n’assure pas assez de rentabilité dès les premières années d’expérience.
Notons simplement que la mise en place d’une nouvelle banque nécessite l’engagement d’une équipe d’experts, la création et le financement en fonds propres d’outils informatiques et de services, le recours à des experts juridiques et la diffusion d’une campagne de promotion. Ce pari – inédit en 50 ans en Belgique – est déjà réussi. NewB devra ensuite faire ses preuves.
Certes, divers acteurs bancaires classiques ont récemment exprimé leurs critiques envers le business model de NewB. Mais cela révèle surtout qu’ils se sentent menacés et que cette nouvelle banque citoyenne pourrait profondément modifier le paysage bancaire en Belgique. L’expérience nous le dira.
Investir dans l’isolation et les énergies renouvelables
À l’inverse des grands groupes bancaires présents en Belgique, la coopérative NewB entend, elle, concentrer 100% de ses activités de crédits sur l’économie locale.
La coopérative s’est également engagée à orienter 100% de ses financements vers la transition climatique, en proposant trois types de crédits : pour la mobilité douce, la performance énergétique des bâtiments et la petite production d’énergies renouvelables.
Si NewB obtient son agrément, cette banque inédite en Belgique pourra notamment accorder des prêts aux citoyens et aux entreprises qui souhaitent investir dans ces trois types d’actions.
Sans doute modeste au démarrage, ce financement bancaire « pour un monde meilleur » pourrait grandir avec le temps et même entraîner dans son sillon les banques privées classiques, désormais interpellées par le succès populaire de NewB.
Quand l’on sait que 270 milliards € dorment actuellement sur les comptes bancaires belges, on peut espérer qu’un grand nombre de citoyens décident de quitter leur banque pour placer leur épargner chez NewB.
Une finance réellement durable
Par ailleurs, notons que l’Europe va sérieusement clarifier ce qu’est – ou non – un investissement durable. En effet, malgré la pression des lobbys financiers, l’Union européenne s’est accordée sur une taxonomie des investissements durables. « C’est la fin du greenwashing ! », applaudissent les associations environnementales. Voici comment la finance devra soutenir la transition : lire notre article L’Europe définit une finance réellement durable.
Dans une même logique, le Pacte Finance-Climat propose de créer une banque européenne du Climat et une taxe sur les bénéfices des entreprises selon leur empreinte carbone, afin d’aider les Etats et les citoyens à investir massivement dans la transition énergétique (lire notre article Comment financer la transition énergétique).
Avec cet excellent slogan : « Si le climat était une banque on l’aurait déjà sauvé ! »