Inflation : Quelles politiques pour une énergie durable et abordable ?

Tarif social, signal prix environnemental, tarifs incitatifs et soutien spécifique aux pompes à chaleur, partage de la rente nucléaire, fournisseur public d’énergie, … De nombreuses mesures sont possibles pour protéger les ménages et garantir une transition socialement juste.

L’inflation des prix de l’énergie inquiète – à juste titre – de nombreux ménages et les acteurs sociaux et politiques. 

Energie Commune a mis à jour son Observatoire des prix de l’énergie, qui confirme la hausse actuelle sur le marché belge : 

Consulter le graphique dynamique.

Mais il est important de garder à l’esprit quelques éléments importants pour orienter notre société vers une énergie durable et accessible à tous. 

Inflation ? Pas partout, pas pour tous… 

De manière générale, la hausse actuelle des prix de l’énergie affecte le budget de la classe moyenne, et plus encore les ménages en situation de précarité énergétique (1 ménage sur 4 en Wallonie). 

L’institut de développement durable (IDD) a publié mi-janvier 2022 une brève note prenant plus de hauteur. Elle compare le prix des différents vecteurs énergétiques à plus long terme. Surtout, elle propose de les étudier en tenant compte de l’évolution des revenus c’est à dire en part relative. Il ressort de cette analyse (à revenu constant) que : 

  • Les vecteurs les plus polluants (mazout de chauffage, essence et diesel) ont tendance à rester stables ces dernières années, y compris en intégrant la hausse récente des prix. En d’autres termes, on consacre proportionnellement une part moins importante de nos revenus pour acheter un litre d’essence de mazout ou de diesel de chauffage, voire par exemple beaucoup moins qu’en 2012.  
  • Pour le prix de l’électricité par contre et dans une moindre mesure pour le prix de gaz, les prix actuels sont effectivement exceptionnels (par rapport aux prix passés) mais dans des proportions moins interpellantes que les comparaisons de court terme.   

Elargir le tarif social 

Selon l’IDD, “les inégalités entre ménages ont tendance à s’accroître, en fonction du type de contrat, du type de combustible et des performances énergétiques de leur logement”, sans oublier les pertes de revenus qui ont affecté certaines catégories de population durant la crise du Covid. 

A ce titre, le tarif social qui est moins impacté par les hausses de prix récentes – est un puissant outil de lutte contre la précarité.  Mais comme le soulignent les organisations de lutte contre la pauvreté, il apparaît que beaucoup de ménages en situation de précarité énergétique ne peuvent en disposer. Il serait donc crucial d’étendre son périmètre a tout ceux qui en ont besoin (lire la carte blanche Face à la flambée des prix de l’énergie, le tarif social comme dernier rempart avant la précarité). 

A noter que l’IDD a également analysé une grande différence entre les tarifs sociaux du gaz et de l’électricité. 

Une TVA sociale à 6% peut également permettre de soutenir les ménages qui en ont besoin. Par contre, une baisse générale de la TVA à 6% serait socialement injuste car elle favoriserait les hauts revenus, tout en décourageant les mesures d’économie d’énergie. 

L’importance du signal prix environnemental 

Au-delà des fluctuations de prix à court terme, il est crucial de rappeler le rôle que peut jouer le prix de l’énergie dans la transition énergétique.  

Le prix peut envoyer différents signaux aux consommateurs : Il peut pousser à diminuer, flexibiliser/déplacer et électrifier les consommations d’énergie. 

Diminuer : Le prix au KWh de notre énergie à fortiori pour les énergies fossiles et nucléaire reste bien trop bon marché par rapport à l’impact de ces énergies sur l’environnement et le climat. Ce prix trop bas nous maintient dans une certaine illusion d’une énergie illimitée et sans impact et ne pousse pas à prévoir des investissements économiseurs d’énergie.  

Une certaine augmentation des prix du KWh des énergies polluantes est dès lors sans doute souhaitable mais doit être lisible et prévisible. Elle doit être accompagnée d’incitants aux économies d’énergie (isolation, appareils économes, comportements, équipements de productions renouvelables, …) pour tous les ménages, y compris les locataires (via des incitants et pénalités pour les propriétaires par exemple). 

Avec ces économies d’énergie, la facture finale ne sera pas plus élevée pour les consommateurs. 

Flexibiliser : Les énergies renouvelables sont souvent variables (éolien, photovoltaïque) d’où l’importance de déplacer certaines consommations « déplaçables » (charger une voiture électrique, faire tourner certains électroménagers ou un boiler électrique…) au moment où la production est abondante (quand il y a du soleil ou du vent).  

Idéalement, nous devons aussi favoriser la consommation d’énergie produite au niveau local. A ce titre, le développement actuel des communautés d’énergie permet de partager une production locale d’énergie renouvelable avec différents consommateurs à proximité, tels que des logements sociaux. Des ménages à bas revenus peuvent ainsi bénéficier d’une électricité renouvelable à un prix avantageux. 

Pousser les consommateurs à utiliser l’énergie quand elle est abondante au niveau local permettrait aussi de limiter les investissements dans le réseau d’électricité ou les besoins de stockage. A nouveau, le signal prix pourrait jouer un rôle. 
 
Electrifier le chauffage et le transport : L’analyse de l’IDD montre une autre évolution préoccupante d’un point de vue environnemental. Le prix de l’électricité a augmenté beaucoup plus vite que celui des vecteurs énergétiques plus polluants comme le gaz ou le mazout. Cela rend l’électricité moins compétitive par rapport au gaz/mazout dans un contexte où l’électrification du chauffage et du transport est cruciale pour la transition – car plus efficace. 

Par conséquent, un consommateur équipé d’une pompe à chaleur paiera beaucoup plus cher qu’un consommateur de gaz ou de mazout pour son chauffage. Cette logique doit s’inverser, par exemple avec un tarif avantageux pour les pompes à chaleur. 

Comment financer le soutien aux ménages les plus faibles ? 

L’association Test-Achat a organisé ce 24 janvier un webinaire sur le thème “La facture d’énergie des ménages : quelles perspectives ?” (en replay ici). 

Parmi les intervenants, Eric de Keuleneer, professeur d’économie à l’ULB, proposait plusieurs pistes intéressantes pour financer des politiques de soutien aux ménages les plus faibles, tout en maintenant une transition énergétique durable pour tous : 

  • Développer une tarification carbone croissante à long terme sur les énergies fossiles, afin d’inciter à consommer moins de gaz et de mazout; 
  • Instaurer un tarif bas puis progressif sur l’électricité afin de protéger les ménages les plus faibles; 
  • Instaurer un tarif incitatif qui offre un avantage financier pour l’électricité non-consommée lors des périodes de pointes de consommation (tôt le matin et en début de soirée); 
  • Instaurer des tarifs spéciaux pour l’électricité consommée par les pompes à chaleur, car il s’agit d’un système de chauffage efficient (produire de l’eau chaude lorsque le tarif de l’électricité est intéressant); 
  • Lorsque les prix baisseront, augmenter les accises (taxe carbone) pour continuer à encourager les économies d’énergie car c’est une ressource rare et encore largement polluante. 
  • Partager la rente nucléaire avec tous les fournisseurs afin d’en faire bénéficier les consommateurs (à l’exemple de la France, l’Italie et la Grande-Bretagne); 
  • De même, partager la rente dans la rémunération des communes (via les intercommunales). 

Vers un fournisseur public d’énergie ? 

Notons enfin cette proposition intéressante, soutenue par les syndicats et diverses associations : 

“Les pouvoirs publics pourraient créer un fournisseur public avec une participation citoyenne, qui aurait pour objectif principal de garantir le droit à l’énergie de toute la population à travers une politique de prix juste, transparente et alignée sur les prix les plus bas du marché. Tous les profits éventuels générés par son opération seraient réinvestis dans le maintien des prix abordables, l’éradication de la précarité énergétique et la transition énergétique. Ce fournisseur proposerait par conséquent un service local, transparent et de qualité, avec une gouvernance participative et démocratique. 

Nous en sommes convaincus, les pouvoirs publics, avec les citoyens, doivent reprendre durablement la main sur le secteur de l’énergie, un secteur si déterminant pour la planète et ses occupants.” (lire la carte blanche). 

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