Les mesures politiques actuelles pour atténuer le choc de l’inflation s’avèrent peu pertinentes et socialement injustes, dénoncent deux associations. Tandis que l’économiste Philippe Defeyt plaide pour une politique des revenus au bénéfice des ménages, qui serait plus efficace et moins coûteuse.
L’inflation des prix du gaz et de l’électricité inquiète depuis plusieurs mois, à juste titre, les ménages et le politique. Une situation qui risque de s’installer dans la durée avec le choc géopolitique lié à la guerre en Ukraine et la volonté européenne de s’affranchir du gaz russe.
Comment éviter l’appauvrissement de nombreux ménages ?
Jusqu’ici, le gouvernement fédéral prend des mesures ciblées sur les prix de l’énergie : baisse temporaire de la TVA sur le gaz et l’électricité, chèque-mazout, tarifs sociaux, cliquets, etc.
Or ce dispositif s’avère globalement peu efficace et socialement injuste.
Deux associations dénoncent des mesures « court-termistes »
L’association Inter-Environnement Wallonie (IEW) et le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté ont ainsi dénoncé les mesures « court-termistes »‘ du gouvernement fédéral pour enrayer la flambée des prix de l’énergie.
« Les mesures du gouvernement ne sont pas ciblées socialement », déplore Arnaud Collignon, chargé de mission à IEW. « En consacrant 1,3 milliard d’euros à une politique de chèques énergie, l’État se prive du moyen de protéger les bas revenus à long-terme. Cette crise n’est pas un problème d’énergie mais de pouvoir d’achat. »
D’un point de vue environnemental, Inter-Environnement Wallonie regrette des décisions qui « vont aider tous les automobilistes, ceux qui roulent beaucoup dans le cadre de leur travail mais aussi ceux qui roulent pour de mauvaises raisons. » Par ailleurs, l’association wallonne plaide pour la mise en place de projets d’investissements en matière, notamment, de mobilité.
Le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté insiste également sur la nécessité d’investir dans la transition énergétique grâce à la mise en place d’une « politique collective et solidaire. »
La prolongation du tarif social élargi de trois mois, jusqu’en septembre, préoccupe également le Réseau wallon. Il déplore que cette mesure ne soit pas structurelle et puisse être gelée à une période de l’année où la consommation d’énergie est la plus importante. Il demande le gel des prix du tarif social. En un an, il a augmenté de 35,7% pour l’électricité et de 45% pour le gaz.
Selon le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, le fonds du problème réside dans « l’insuffisance des revenus. » Tout comme Inter-Environnement Wallonie, l’ASBL appelle à une réforme fiscale générale.
« A long-terme, on sait que l’énergie va coûter plus cher, il faut donc déjà commencer à s’inquiéter pour l’hiver prochain », prévient Christine Mahy. « Il faudrait notamment réfléchir à une TVA progressive selon les moyens des ménages et ce, afin d’aider ceux qui en ont le plus besoin et éviter les effets d’aubaine. »
Une étude résume la situation
Une étude sur le sujet, réalisée par 6 universitaires belges et publiée en mars 2022, résume la situation dans son titre : “Nous faisons face à la même tempête, mais pas avec le même bateau.”
Voici les points-clefs de cette analyse :
- Lʼimpact de la hausse des prix du gaz et de lʼélectricité varie grandement selon les ménages et dépend en grande partie de la consommation et du type de contrat.
- En terme absolu, le choc augmente avec le revenu des ménages. Mais lorsquʼon le compare au revenu des ménages, le choc le plus grand est subi par les bas revenus.
- Les ménages avec un contrat à prix fixe ne subissent pas le choc tant que leur contrat nʼexpire pas.
- Lʼindexation automatique des salaires et des allocations contribue le plus à la compensation de la perte de pouvoir dʼachat. Mais le mécanisme indemnise davantage les ménages à hauts revenus que ceux à bas revenus.
- Le tarif social préexistant à la crise et lʼindexation sont insuffisants pour faire face au choc. Des mesures de soutien sʼavéraient donc bien nécessaires.
- Le tarif social et son extension sʼadressent principalement aux ménages situés dans le bas de la distribution des revenus. Lʼextension des conditions dʼéligibilité permet à la plupart des ménages des deux premiers déciles de voir leur perte de pouvoir dʼachat être compensée.
- L’impact de la réduction temporaire de la TVA sur l’électricité est limité, notamment par rapport à l’effet de l’indexation automatique et du tarif social.
- La situation de perte de pouvoir dʼachat après le choc et les mesures compensatoires est contrastée et dépend autant de la consommation que des revenus du ménage.
Agir sur les revenus plutôt que sur les prix
Face à cette situation, Philippe Defeyt, économiste au sein de l’Institut pour un Développement Durable, plaide pour une politique des revenus au bénéfice des ménages, qui serait plus efficace et moins coûteuse.
“Cette politique des revenus viserait en priorité les ménages précaires et la classe moyenne inférieure, soit, au total, environ la moitié des ménages”, explique-t-il dans une carte blanche publiée dans La Libre Belgique.
Cette politique s’appuierait sur un monitoring administratif des revenus et passerait aussi par une harmonisation et une révision des mécanismes d’indexation des salaires, pour garantir que les revenus nets évoluent à due concurrence des revenus bruts.
L’Institut pour un Développement Durable a déjà formalisé une proposition concrète, qui a tout son sens en période d’inflation forte. Lire cette analyse : L’indexation des salaires et des barèmes fiscaux : des mécanismes à améliorer.
Au lieu d’agir sans cesse sur les prix de l’énergie, la Belgique se doterait ainsi d’un outil capable d’agir structurellement sur le pouvoir d’achat, face à la perspective de prix durablement élevés – non seulement pour l’énergie, mais également différents biens essentiels (blé, huile…).