Hydrogène vert et Covid-19 : entre émergence industrielle et inquiétudes financières

Raphaël Schoentgen, expert international en hydrogène, a présenté les évolutions récentes de la filière lors d’un Webinaire du cluster TWEED. Le secteur connaît une forte émergence industrielle au niveau international, y compris en Europe et en Wallonie, mais s’inquiète de la crise liée au Coronavirus.

Le cluster TWEED organisait le 20 mai dernier un Webinaire sur les technologies émergentes et sur l’hydrogène (H2) avec un orateur expert en ce domaine : Raphaël Schoentgen (vous pouvez consulter ici les présentations et revisionner le Webinaire). 

Voici l’occasion de synthétiser dans Renouvelle l’actualité de l’hydrogène vert, produit à partir d’électricité verte, une filière essentielle et complémentaire à la croissance des énergies renouvelables. 

 

Pourquoi l’hydrogène vert est le chaînon manquant 

 

Quand l’on parle de transition énergétique, le politique le répète sans cesse : il nous faut plus d’électricité verte, plus de voitures électriques et de batteries. 

« Or les enjeux sont nettement plus larges », explique Raphaël Schoentgen. Comme le montre ce graphique, l’électricité ne représente que 21% des besoins énergétiques en Europe, contre 33% pour le transport (essence, diesel) et 46% pour le chauffage et le refroidissement (combustibles principalement sous forme gazeuse). 

Comme le montre la proportion de renouvelables sur ce graphique, la décarbonation du secteur électrique est plus facile que les autres secteurs. Mais quand bien même l’Europe consommera 50% d’électricité renouvelable en 2030, on constate une difficulté à décarboner les trois secteurs. 

Pour les verdir plus encore, il faut dès lors recourir à l’hydrogène vert dans le secteur électrique, ce qui permettra ensuite de l’utiliser dans le transport et le chauffage & refroidissement. 

“A partir du moment où l’on développe de l’hydrogène vert, c’est tout un nouveau champ d’applications qui s’ouvre”, explique Raphaël Schoentgen, en présentant le schéma ci-dessous. 

Il s’agit d’abord de remplacer l’hydrogène gris (produit à partir de gaz naturel) utilisé dans de nombreux process industriels, par de l’hydrogène vert. Ce dernier peut également être utilisé comme substitut au gaz pour chauffer les logements et bâtiments. On trouve ensuite toutes les applications de mobilité (voitures, camions, bus, trains, bateaux, avions, …), qui sont en train de fortement se développer dans le monde. 

De plus, le fait de développer de grandes capacités de production d’hydrogène vert appliqué aux systèmes électriques, ouvre une valorisation possible dans le Demand Side Management (gestion efficiente de la consommation électrique). 

Voilà pourquoi l’hydrogène vert constitue le chaînon manquant de la transition énergétique. 

 

Une intense émergence industrielle 

 

Et bonne nouvelle : depuis 6 mois, on constate l’intensification des initiatives politiques et industrielles au niveau international, prélude à un large déploiement commercial de l’hydrogène vert. 

La carte ci-dessous montre les lieux les plus actifs (points rouges) et en émergence (points orange). 

L’Europe focalise aujourd’hui toute l’attention avec l’annonce, en mars dernier, de la création d’une Alliance pour l’hydrogène propre, sur le modèle de l’Airbus de la batterie, et qui devrait voir le jour dans les prochains mois (lire le communiqué). 

Le Royaume Uni se montre également très actif, ainsi que la Norvège qui compte exporter de l’hydrogène vert vers le continent européen à travers un important réseau de pipelines.  

Trois grands acteurs asiatiques se démarquent également : le Japon et la Corée du sud, deux territoires qui doivent importer leur énergie, et la Chine qui a un besoin énorme de décarbonation de ses villes.  

Enfin, l’Australie, la Californie, le Canada et le Chili se positionnent également fortement sur cette filière, ainsi que le Moyen Orient qui prépare l’ère de l’après-pétrole (lire notre article Comment l’Arabie Saoudite pourrait nous vendre du renouvelable demain). 

Parmi les acteurs émergents (points oranges), citons l’Inde, l’Afrique, la Russie et la côte Est des Etats-Unis. 

 

La Wallonie bénéficie d’un positionnement stratégique

 

La Belgique voit également un écosystème émergent d’entreprises actives dans cette filière (lire notre article La Wallonie adopte sa vision stratégique pour l’hydrogène et La Belgique prépare la production et le transport à grande échelle d’hydrogène vert). 

Raphaël Schoentgen souligne les atouts de la Wallonie :  

  • Un positionnement central, à la croisée des réseaux électriques, de gaz et de transports routiers et fluviaux ;
  • Une capacité à implémenter très rapidement des innovations technologiques. 

 

On voit par exemple émerger un corridor à hydrogène entre la Wallonie et la Catalogne, avec 10-15 stations H2, pour acheminer des fruits et légumes du Maroc, de l’Espagne et du Portugal sans carbone, via des camions et remorques à hydrogène. 

 

La crise Covid-19 : coup de frein ou d’accélérateur ? 

 

La crise économique liée à la pandémie Covid-19 va impacter de nombreuses activités économiques dans le monde. Mais qu’en est-il de la filière émergente de l’hydrogène ? 

Raphaël Schoentgen se montre plutôt rassurant : “Les entreprises H2 résistent mieux à la crise et leur valeur progresse même en bourse”. Et de souligner les tendances attendues sur les marchés : une chute des coûts du stockage hydrogène et des coûts de production des énergies renouvelables, ce qui devrait booster la filière. 

Du côté de Hydrogen Europe, fédération industrielle de la filière, l’analyse est plus inquiète : “La crise économique consécutive à la pandémie de Covid-19 pourrait retarder considérablement l’adoption et le déploiement commercial de l’hydrogène propre. Il pourrait même mettre en péril de manière permanente la capacité du secteur de l’hydrogène propre à jouer son rôle de chaînon manquant dans la transition énergétique”, estime la fédération dans une analyse publiée en mai 2020. 

Face à ces risques, Hydrogen Europe plaide pour une action européenne rapide, décisive et coordonnée. 

Pourquoi ? Parce que « l’hydrogène est un secteur essentiel dans les efforts européens de décarbonation » et offre également « un potentiel à long terme pour soutenir une croissance économique durable ». 

Selon la fédération, l’Europe doit dès lors soutenir cette industrie, financièrement mais aussi politiquement, afin de conserver une main-d’œuvre hautement qualifiée et restaurer la confiance des investisseurs. 
 
 

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