Grèves scolaires : une bonne nouvelle pour la citoyenneté et le climat

En Belgique, les élèves du secondaire amplifient leur mouvement de grèves pour le climat. Des acteurs de la société civile appellent les écoles et les parents à soutenir cette mobilisation citoyenne inédite.

Le mouvement de « grèves pour le climat » dans les écoles secondaires en Belgique a surpris tout le monde, à commencer par les deux initiatrices : Kyra Gantois (19 ans) et Anuna De Wever (17 ans, respectivement à gauche et à droite sur la photo ci-dessus). 

Fin 2018, ces deux jeunes Anversoises initient le mouvement Youth for Climate et appellent les étudiants belges à sécher les cours tous les jeudis et à marcher ensemble à Bruxelles pour demander aux politiques de passer à l’action. 

L’appel se propage rapidement sur les réseaux sociaux : 3.000 jeunes marchent ensemble pour la première fois le 10 janvier 2019, ils seront près de 13.000 le jeudi suivant, puis – trouvant un écho dans les écoles francophones, y compris dans le primaire et le supérieur – le mouvement atteint désormais plus de 35.000 manifestants et se dissémine dans plusieurs villes : Bruxelles, Liège, Charleroi, Louvain, … 

Ces ados marcheront tous les jeudis jusqu’aux élections régionale, fédérale et européenne du 26 mai prochain. 

Un mouvement inédit et déterminé 

Pourquoi un tel succès ? Une bonne excuse pour sécher les cours, comme le disent certains ? Certainement pas, car ces jeunes s’exposent parfois à des sanctions dans leurs établissements scolaires. 

Ces grèves scolaires inédites étonnent tous les acteurs de la société belge ainsi que la presse internationale. Ce mouvement citoyen de grande ampleur s’inscrit dans la durée et avec détermination. Comme si une génération entière avait pris conscience de l’inertie des adultes d’aujourd’hui et de l’urgence à prendre la relève. Car c’est bien le spectacle d’un monde adulte irresponsable qui a déclenché ce mouvement. Ces ados ne sont pas dupes du populisme climato-sceptique à la Donald Trump ni de l’inaction climatique de la Belgique. 

Entre inquiétude et engagement citoyen  

Dans une vidéo postée sur Facebook, Youth for climate donne la parole à différents jeunes, qui résument ainsi leurs préoccupations : 

– « Pourquoi devrions-nous continuer à aller à l’école quand aucun futur de nous attend ? » 

– « Les scientifiques continuent à dire à quelle vitesse nous creusons notre tombe, mais personne ne prend d’action. » 

– « 75.000 personnes marchent pour soutenir un pacte écologique (marche climatique du 2 décembre 2018 à Bruxelles, NDLR). Deux jours plus tard, nous sommes un des rares pays à ne pas signer (les deux directives européennes qui fixent les objectifs en efficacité énergétique et en énergies renouvelables pour 2030, NDLR). 

Et cette jeunesse n’entend pas rester inactive face à cette démission politique : 

– « Maintenant, c’est à notre tour d’être entendu. Nous n’allons pas regarder comment notre futur nous est retiré. » 

La vidéo s’achève par ce slogan sur fond noir : « Respectez l’existence ou attendez-vous à la résistance ». 

Le mouvement structure désormais ses revendications et propositions politiques pour le climat sur le site collaboratif Youth4Climate. Les idées seront analysées par des experts, soumises au vote et présentées aux politiques avant les élections. 

Une jeunesse citoyenne et engagée 

Nous sommes donc loin des clichés sur une génération d’ados « je-m’en-foutistes », dépolitisés et sans compréhension des enjeux climatiques, comme le révélait une enquête belge en 2015 (lire notre article Comment se prépare la future génération « bas carbone » ?). 

Force est de constater que le travail pédagogique des enseignants et des associations d’éducation à l’environnement – en maternelle, primaire et secondaire – a éveillé nombre de jeunes aux enjeux climatiques et les a conscientisé sur leur rôle de citoyens (lire notre article L’éducation à l’énergie, un éveil citoyen). 

Ces grèves scolaires sont donc en soi une bonne nouvelle pour la citoyenneté et le climat. 

Sanctionner ou dialoguer avec les ados ? 

Face à ce mouvement de grèves, les directions et enseignants réagissent différemment. Certains rappellent que l’école est obligatoire jusqu’à 18 ans et qu’une absence injustifiée sera sanctionnée.  

D’autres soutiennent ces jeunes citoyens en action et organisent des sorties scolaires le jeudi pour aller manifester, parfois par petits groupes à tours de rôle pour maintenir les cours du jeudi et éviter un décrochage systématique ce jour là. Dans de nombreuses écoles, ces absences sont considérées comme justifiées si un mot des parents décharge la responsabilité de l’établissement.

Parfois, les sanctions deviennent l’occasion d’un réel débat citoyen au sein de l’école : les élèves en retenue le mercredi après-midi regardent un documentaire sur le climat puis participent à une discussion ouverte avec l’enseignant sur les enjeux climatiques. 

Du côté des parents, on oscille entre interdiction de sécher les cours et dialogue constructif avec les ados. 

La maman de Anuna explique ainsi pourquoi elle soutient le mouvement initié par sa fille : « À l’école, on enseigne aux enfants que la science est importante. Mais en même temps, ils voient les responsables politiques faire fi de toutes ces connaissances et de toutes ces données. Si les travailleurs ont le droit de faire grève pour défendre leurs principes, j’estime qu’il doit en être autant des écoliers. Ma fille porte haut ses valeurs et est prête à en accepter les conséquences. » (lire l’interview de Gazet van Antwerpen traduite par Daar daar).

Le rôle citoyen de l’école 

Des équipes pédagogiques et des acteurs de la société civile s’interrogent ainsi sur l’attitude à adopter. « Ne formons-nous pas les jeunes à développer un regard critique, à avoir le courage de défendre des valeurs et principes qui leur semblent justes ? N’est-ce pas là un des rôles de l’école ? », écrit ainsi Tatiana Stellian, chargée d’éducation au développement dans cette carte blanche

De son côté, l’association Oxfam appellent les parents et les écoles à soutenir ces grèves scolaires pour le climat : « Les jeunes qui iront manifester, continuent à apprendre. Ils apprennent à créer leur avenir en ayant une lecture globale de l’actualité et en se positionnant par rapport à celle-ci. Ils apprennent à argumenter. Ils apprennent à s’organiser et à structurer leur mouvement. Ils apprennent à choisir, présenter et défendre des revendications devant les ministres de ce pays. Et ils le font, tout en essayant de sauver réellement notre peau et celle de toute l’Humanité. » 

Barbara Hendricks, célèbre chanteuse lyrique et ambassadrice de l’ONU pour les réfugiés, explique également à la RTBF pourquoi elle soutient cette désobéissance scolaire : « Heureusement que les jeunes se lèvent. Une journée qui est ratée à l’école, ce n’est pas grave. Parce que manifester, c’est aussi de l’éducation, c’est de l’activisme, l’éducation de prendre leurs responsabilités pour l’avenir. À quoi ça sert d’avoir un diplôme en mains si on ne peut pas respirer l’air ? Si on ne peut pas boire l’eau ? Si on est tous malades, si on a des guerres et des conflits à cause d’une pénurie de ressources ? Ces jeunes nous disent à nous, les adultes, qu’il faut faire quelque chose. Et il faut les écouter. » 

Tandis qu’un groupe de 3.400 scientifiques et universitaires belges soutient toutes les manifestations pour le climat et appellent à Plus d’ambitions climatiques 

Grève internationale le 15 mars 2019 

Cette mobilisation des élèves belges s’inspire de la suédoise Greta Thunberg (15 ans, photo ci-dessous) qui, depuis septembre 2018, se met en grève scolaire chaque semaine et proteste devant le Parlement suédois pour interpeller les responsables politiques. 

Cette jeune militante, très mature pour son âge, a particulièrement marqué l’opinion publique internationale lors de son discours à la tribune de la COP24 : « Où que vous soyez, qui que vous soyez, on a besoin de vous maintenant. S’il vous plaît faites la grève du climat avec nous. Mettez-vous devant votre parlement ou votre représentation locale, même si c’est un court instant, pour leur dire qu’on veut de l’action pour le climat » (visionner son discours complet en vidéo).  

L’exemple de Greta Thunberg est désormais suivi par des milliers d’élèves, notamment en Australie, au Canada, en Allemagne, en Suisse et en Belgique. 

Elle a qualifié de « héros » les 35.000 élèves qui ont manifesté le 24 janvier dernier à Bruxelles, la plus grande manifestation scolaire pour le climat connue à ce jour. 

Une grève scolaire internationale est annoncée pour le 15 mars 2019. Cet appel est d’ores et déjà suivi par de nombreux acteurs de la société civile, tels que « Teachers for climate » et « Workers for climate » ainsi qu’un groupe de scientifiques.

Ce jour s’annonce d’ores et déjà comme le cri de plusieurs générations conscientes des défis à relever pour que notre planète reste vivante et vivable. Mais ne nous y trompons pas : ce sont bien les générations adultes actuellement aux commandes qui sont appellées à agir dès maintenant.

Ce sont les adultes qui doivent agir

Greta Thunberg, qui a rejoint la manifestation des élèves belges ce 21 février, résume bien l’enjeu :

« Les gens nous disent toujours qu’ils sont plein d’espoir. Ils espèrent que nous allons sauver le monde. Mais ce n’est pas possible. Nous n’avons pas le temps d’attendre de devenir des adultes, de devenir, nous, les responsables. En 2020, il faudra avoir inversé la courbe des émissions, les faire diminuer. C’est l’année prochaine ! Nous savons que la plupart des responsables politiques ne veulent pas discuter avec nous, ok. Nous non plus ! Nous voulons qu’ils parlent à la communauité scientifique et qu’ils l’écoutent. Parce que nous ne faisons que répéter ce qu’ils disent depuis des dizaines d’années. » (lire ce reportage de la RTBF).

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