Malgré leurs divergences d’opinions et d’actions, ces deux mouvements citoyens se rejoignent peu à peu. Car ils se mobilisent pour un monde plus juste et plus durable. Et si la justice fiscale permettait de financer la transition énergétique ?
Quel lien il y a-t-il entre les « Gilets jaunes » et les 75.000 citoyens qui ont manifesté pour le climat ce dimanche 2 décembre à Bruxelles ?
Les premiers – en France comme en Belgique – s’insurgent contre la hausse des prix des carburants, bloquent les routes, les stations essence et les dépôts pétroliers, dans un mouvement spontané infiltré par des groupes de casseurs.
Les deuxièmes appellent le gouvernement belge et la communauté internationale à agir d’urgence pour limiter le réchauffement climatique, alors que se déroulait en Pologne la 24ème conférence des Nations Unis pour le Climat.
Ces deux mouvements sont bien plus reliés qu’il n’y parait. Ils expriment les soubresauts d’une transition inévitable – planifiée ou subie – entre une économie de croissance basée sur une ressource polluante en voie de disparition – le pétrole – et une société profondément plus sobre et vivant au rythme des énergies renouvelables.
La fin d’un modèle où le pétrole et la voiture sont roi et reine
Nous atteignons aujourd’hui la fin d’un modèle où l’habitat et les zones d’activités économiques pouvaient s’étendre partout dans les campagnes, « loin de tout », puisque la majorité des habitants pouvait se déplacer en voiture individuelle grâce à un carburant bon marché.
La hausse récente des prix des carburants, notamment due à la hausse du prix du baril de pétrole (mais aussi des taxes), vient mettre un terme à ce modèle puisque la volatilité du prix du pétrole s’accentuera au fur et à mesure que cette ressource fossile deviendra rare et restera convoitée au niveau international (lire par exemple les explications de Europe1).
Les habitants des zones rurales – ou plutôt « rurbaines » – en sont les premières victimes, eux qui ont vu fermer les gares et arrêts de bus de proximité, les petits commerces et les services publics décentralisés. Les voici contraints à se déplacer en voiture toujours plus loin et plus fréquemment, pour trouver du boulot, faire des courses, pratiquer des loisirs ou faire des démarches administratives.
Ce modèle, très émetteur de gaz à effet de serre, touche à sa fin. Avec un prix à la pompe plus élevé, les ruraux navetteurs – sans autres alternatives que la voiture – seront soit nantis soit précarisés. Et c’est ici que les « Gilets jaunes » s’insurgent.
Justices sociale et climatique se rejoignent
Mouvement spontané, sans réel programme ni représentants élus, les « Gilets jaunes » fustigent principalement les taxes sur les carburants ainsi que la taxe carbone et sont aujourd’hui rejoints par tous les citoyens qui réclament une plus grande justice fiscale.
Le mouvement climatique, quant à lui, estime nécessaire de taxer les produits polluants et carbonés afin d’orienter les investissements vers une économie bas carbone. Dans cette logique, les recettes fiscales doivent en priorité financer un nouveau modèle sociétal plus durable, au bénéfice de tous.
Inconciliable ? Pas sûr. Ces deux mouvements citoyens, initialement divergents, se rejoignent aujourd’hui peu à peu.
En novembre, des « Gilets verts » se déclarent ainsi solidaires des « Gilets jaunes » :
« On vient du même milieu social, on a du mal à boucler les fins de mois, donc on partage totalement cette colère et on soutient le mouvement des gilets jaunes », explique ainsi à Novethic Stéphane Cuttaïa, initiateur des « Gilets verts ». « Mais on aimerait conjuguer la justice sociale avec l’urgence écologique ».
Début décembre, des marches citoyennes se déroulent partout en France sous un slogan commun : « Fin du monde, fin du mois, changeons le système, pas le climat » (lire ce reportage de Reporterre.net).
Les deux mouvements citoyens souhaitent ainsi s’affranchir d’un même modèle économique, qui induit à la fois des inégalités sociales et des dégâts environnementaux et climatiques.
Comment financer la transition ?
Le sentiment d’injustice sociale et fiscale est d’autant plus grand que de nombreuses multinationales et personnalités ont recours à l’évasion fiscale – révélations des LuxLeaks, SwissLeaks, Offshore Leaks, Panama papers et Paradise papers – ; tandis qu’un grand nombre de gouvernements européens – notamment pour compenser ces évasions fiscales – appliquent des politiques d’austérité et réduisent les budgets publics, touchant en premier lieu les citoyens les plus démunis. A cela s’ajoute la fraude fiscale, qui représente en Belgique une perte annuelle de 30 milliards € pour les caisses de l’Etat, selon le réseau Financité qui lutte contre l’impunité fiscale.
Or la transition en cours nécessite, précisément, des investissements publics (et privés). Et toute la question est de savoir qui va les financer : les citoyens ? les entreprises ? selon quelle répartition ? et pour mener quelles actions ?
En France, toutes ces questions se cristallisent sur la taxe carbone, à juste titre.
Selon l’économiste Jean Gadrey, les Français les plus fortunés émettent 40 fois plus de carbone que les pauvres, mais ces derniers paient 4 fois plus de taxe carbone en % de leurs revenus (lire son analyse).
De plus, selon le mouvement ATTAC, 1400 sites industriels et polluants sont complètement exonérés de la fiscalité carbone qui pèse sur la consommation des carburants. Tandis que les transports aériens et maritimes, également polluants, ne contribuent pas non plus à la fiscalité environnementale.
Enfin, seul un cinquième des recettes de cette taxe carbone sert actuellement à financer la transition énergétique en France.
Dans une note détaillée, ATTAC plaide dès lors pour une fiscalité carbone permettant de 1) réduire les inégalités 2) réduire l’empreinte écologique des plus riches et des entreprises les plus polluantes 3) développer les alternatives au « tout-voiture » et à l’étalement urbain.
En outre, la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales permettrait de renflouer les caisses de l’Etat et d’investir dans la transition énergétique.
Voilà qui résume sans doute les préoccupations de nombreux citoyens, qu’ils soient « Gilets jaunes » ou manifestants pour le climat.
Une transition socialement acceptable
L’exemple français montre ainsi que, pour réussir une transition énergétique socialement acceptable, l’effort fiscal doit à la fois être équitable – selon les revenus et les taux d’émissions de CO2 – et servir réellement et entièrement à financer des alternatives accessibles à l’ensemble des citoyens, notamment en matière de mobilité.
A ce titre, notons que le Plan Air Climat Energie récemment adopté en Wallonie vise notamment à réduire drastiquement notre dépendance à la voiture et aux carburants fossiles d’ici 2030 : densifier l’habitat et les activités économiques proches des transports en commun, améliorer l’offre de trains, trams et bus, stimuler la mobilité douce (marche, vélo), favoriser le covoiturage, développer la mobilité électrique, encourager le télétravail et les bureaux locaux partagés, instaurer des zones de basses émissions à l’exemple d’Anvers et Bruxelles, etc (lire nos articles La Wallonie fixe ses ambitions climatiques pour 2030 , Une mobilité wallonne plus durable d’ici 2030 et AL-LEZ Bruxelles !).
Notons également que plusieurs associations environnementales belges plaident pour une Conférence nationale sur la transition juste vers une société bas carbone, avec différentes pistes socialement inclusives (lire cette carte blanche).