Fin de la compensation pour les prosumers : menace ou opportunité ?

Le mécanisme de la compensation annuelle est remis en question dans les trois Régions. La fin « du compteur qui tourne à l’envers » va stimuler les prosumers à modifier leurs habitudes. Explication des flux du prosumer, sur base d’un cas concret mesuré en 2016.

Vis-à-vis du réseau électrique, le prosumer photovoltaïque est une personne raccordée au réseau qui prélève de l’électricité et qui en injecte. L’installation photovoltaïque produit de l’électricité au gré du soleil. Cette production alimente directement les équipements électriques sous tension. En cas de surplus, le solde est injecté dans le réseau. En cas déficit, de l’électricité est prélevée du réseau.

Bilan électrique et financier 2016

Chez un prosumer, trois flux d’électricité sont mesurés avec des compteurs : la production solaire photovoltaïque, l’injection dans le réseau du surplus de production solaire (index A-), le prélèvement d’électricité du réseau à des fins de consommation (index A+).

La consommation directe est la quantité d’électricité solaire qui est consommée instantanément sur place :

Consommation directe = Production PV – Injection

La consommation électrique est la quantité d’électricité consommée sur place :

 

Consommation = Production PV – Injection + Prélèvement

Nous analysons ci-dessous le cas du prosumer APERe, une association qui a équipé le toit de ses bureaux bruxellois d’une installation photovoltaïque en tant que locataire. La toiture est partagée en deux surfaces alimentant chacune le compteur d’un étage. La puissance totale solaire est de 7,85 kWc  répartie sur deux onduleurs de 5 et 3 kVA.

Fig. Bilan annuel 2016 des flux électriques du prosumer APERe

En 2016, le prosumer APERe a consommé 8 211 kWh d’électricité pour ses activités de bureau (éclairage, informatique, petits électroménagers). Son installation photovoltaïque (7,85 kWc) a produit sur l’année 7 401 kWh. Bénéficiant du mécanisme de la compensation annuelle, les quantités d’électricité facturées ont été de 810 kWh (8 211 – 7 401). Soit une réduction de facture annuelle de l’ordre de 1 450 €, avec un prix de l’électricité autour de 19,5 c€/kWh (prix marginal calculé à partir de la facture du fournisseur d’électricité en 2016).

L’autoproduction – ou l’autonomie solaire – annuelle a été de 36%, c-à-d que la consommation directe a fourni 36% de l’électricité consommée par les activités de bureau. En d’autres termes, pour une consommation électrique de 8 211 kWh, l’APERe a prélevé sur le réseau électrique 5 242 kWh soit 64% de ses besoins.

Avec une consommation directe de 2 969 kWh sur une production solaire de 7 401 kWh, l’autoconsommation annuelle a été de 40%. Autrement dit : 40% de la production photovoltaïque a été consommée sur place et 60% a été injectée sur le réseau électrique.

Nous insistons sur le fait que l’autoconsommation et l’autoproduction, ce n’est pas la même chose (lire notre article Et maintenant place à l’autoproduction !). Augmenter la consommation directe, tout en diminuant les prélèvements, renforce l’autoproduction (ou autonomie solaire). Augmenter la consommation directe, tout en diminuant les injections, renforce l’autoconsommation.

Quels changements avec la fin de la compensation en 2018 à Bruxelles ?

Le mécanisme de la compensation annuelle sera supprimé à Bruxelles début 2018.

Sans ce mécanisme, les quantités d’électricité facturées pour cette consommation annuelle de 8 211 kWh passeront de 810 kWh à 5 242 kWh. Par ailleurs, l’électricité injectée (4 432 kWh) pourra être vendue à un fournisseur à un prix tournant actuellement autour des 3 c€/kWh. Soit une réduction de la facture d’électricité non plus de 1 450 €, mais de l’ordre de 720 € (580 € de réduction de facture et 140 € de vente de l’injection).

Mise en route en septembre 2013, la production photovoltaïque de l’APERe bénéficie jusqu’en 2023 de quatre certificats verts (CV) par MWh électrique. En 2016, la production de 7 401 kWh a donné lieu à 29,6 CV. Le CV peut actuellement se négocier sur le marché autour de 90€. Le revenu annuel des certificats verts est donc de l’ordre de 2 650 €.

Récapitulons. Avec le mécanisme de la compensation, le revenu annuel brut du prosumer APERe a été de l’ordre de 4 100 € en 2016. Sans ce mécanisme, il aurait été de 3 370 €. Ce revenu annuel est à comparer à l’investissement de départ qui a été de l’ordre de 27 000 € en 2013. Le temps de retour simple (TRS) passerait de 6,5 à 8 ans. Ayant bénéficié de 4 années du mécanisme de compensation de 2014 à 2017, le TRS est ramené à 7,5 ans.

Pour les systèmes installés depuis 2015, le coefficient multiplicateur de certificats verts bruxellois tient compte de l’impact de la fin annoncée du mécanisme de compensation pour garantir un temps de retour de sept ans (lire notre article Photovoltaïque : fin de la compensation mais davantage de certificats verts à Bruxelles). Et en Wallonie, la méthodologie de calcul de la prime Qualiwatt en tient compte aussi, mais pour garantir un temps de retour simple de huit ans pour des installations de 3 kWc.

Le prosumer va changer ses habitudes pour réduire les prélèvements d’électricité

Le mécanisme de la compensation annuel a amené le prosumer à concevoir et dimensionner son installation photovoltaïque pour que la production électrique annuelle soit équivalente aux quantités consommées annuellement. Et ce sans se soucier des flux injectés et prélevés du réseau. Sans ce mécanisme, la logique de conception change.

L’objectif poursuivi par le prosumer sera de réduire les quantités d’électricité prélevée du réseau. Il s’agit de réduire l’index A+ du compteur électrique. Comment ? En augmentant la consommation directe avec une taille d’installation photovoltaïque plus grande (assurant une plus grande couverture en période de moindre ensoleillement), en diminuant les consommations nocturnes non déplaçables (économie d’énergie et efficacité énergétique, par exemple par de l’éclairage LED) et en amenant les consommations électriques déplaçables à se mettre en phase avec la production photovoltaïque de jour. Le site « Va vers le Soleil » vous donne les prévisions photovoltaïques c-à-d les périodes de meilleure production solaire et vous conseille sur les actions possibles.

Ainsi, la fin de la compensation qui ne fait pas l’option d’un tarif capacitaire fixe (redevance) est une réelle opportunité pour amener le prosumer à être un acteur vertueux d’un réseau électrique mieux maitrisé. D’une part, il participe à la réduction de la demande électrique et renforce son autonomie solaire et, d’autre part, au travers des quantités d’électricités injectées, il alimente le réseau d’une production électrique propre et renforce l’autonomie énergétique de la Région. Osons espérer que dans les discussions actuellement en cours en Wallonie, le placement de compteur double flux l’emportera sur le tarif capacitaire (voir cette décision de la CWaPE, pp 45-46).

Lire également notre article Pourquoi une taxe sur l’injection d’électricité photovoltaïque est une (très) mauvaise idée.