Faire tourner des réacteurs nucléaires, des centrales au gaz ou des éoliennes ?

Depuis mars 2020, la Belgique connaît régulièrement une surabondance d’électricité sur le réseau par rapport à la demande, ce qui provoque des prix négatifs, au détriment des producteurs éoliens. Le politique doit faire ici des choix cruciaux pour la transition énergétique. 

Depuis mars 2020, la Belgique connaît régulièrement une surabondance d’électricité sur le réseau, étant donné la faiblesse de la consommation intérieure, ce qui provoque des prix négatifs. 

Deux raisons expliquent ce phénomène : d’une part, le confinement et l’arrêt des activités économiques ont fait chuter la demande d’électricité (environ – 10%) et, d’autre part, une météo favorable – le soleil brille et le vent souffle – permet une grande production d’énergies renouvelables (photovoltaïque et éolien). 

Dans ce contexte de surplus d’électricité, les opérateurs d’un marché idéal devraient donc réduire leur production afin d’équilibrer l’offre et la demande. 

Or, il s’avère qu’il est plus facile de mettre des éoliennes à l’arrêt plutôt que réduire la production nucléaire, tant d’un point de vue technique que d’un point de vue sécuritaire. 

La Belgique se prive donc actuellement d’une production renouvelable – pourtant prioritaire sur le réseau – et maintient la production des centrales nucléaires, du fait de leur inflexibilité c-à-d leur incapacité à moduler rapidement leur puissance. 

Le contexte de marché est par ailleurs très différent pour ces deux types d’acteurs : les producteurs nucléaires bénéficient d’un volume de vente garanti ets’inquiètent donc beaucoup moins des prix négatifs, ce qui ne les incite pas non plus à réduire leur production ; tandis que les producteurs éoliens voient leur modèle économique menacé par les prix négatifs et par l’arrêt forcé de leurs parcs éoliens. A ce titre, l’existence de subsides à la production, soit un interventionnisme correctif de l’état, permet heureusement de maintenir l’activité à long terme, mais démontre aussi l’inadaptation du marché actuel à accueillir plus de renouvelable. 

Cette situation pousse dès lors les acteurs éoliens à monter au créneau. 

 

Une menace pour les producteurs éoliens 

 

Dans une lettre ouverte publiée dans les journaux belges, Eneco s’insurge : “L’offre d’énergie électrique d’origine nucléaire est surabondante, à un tel point qu’Eneco doit mettre à l’arrêt une grande partie de ses 104 éoliennes faute d’une volonté claire de moduler ou de mettre à l’arrêt les centrales nucléaires, et ce, en vue d’éviter une production excessive. C’est comme si on vous interdisait de consommer des légumes bio cultivés localement, alors que les grands producteurs inondent le marché sans aucune retenue. Cela réduit à néant toutes nos ambitions durables.”

Même constat du côté de la Belgian Offshore Platform (BOP), qui réunit les producteurs éoliens en mer du Nord.  

Dans une intervention à la Commission Energie et Climat du Parlement fédéral, le BOP a expliqué que les parcs éoliens offshore sont mis régulièrement à l’arrêt : “Une diminution de 500 MW est de plus en plus fréquente, mais certains jours, comme le lundi de Pâques, environ 900 MW, donc plus de la moitié de la capacité disponible, ont été temporairement mis à l’arrêt en raison de la baisse de la demande et d’une offre excédentaire d’électricité “grise”. 

Or cette situation risque de se prolonger, notamment en été, où la demande est faible et la production d’électricité élevée. 

Vu l’impact financier pour les producteurs éoliens, le BOP poursuit : “La régulation et l’arrêt des installations d’électricité verte en faveur de la production d’électricité grise constituent non seulement une violation du principe de priorité pour les énergies renouvelables, tel que défini dans la Loi relative à l’organisation du marché de l’électricité de 1999, mais également une contradiction avec la politique de transition énergétique qui tend vers une part plus importante de production d’énergie renouvelable.” 

 

Trois scénarios possibles

 

Cette situation révèle un dysfonctionnement du marché belge de l’électricité et pose la question d’une compatibilité ou non entre le nucléaire et les énergies renouvelables. 

Comment sortir de cette situation ? 

La loi prévoit un calendrier de sortie progressive du nucléaire d’ici 2025. Mais le politique, sous la pression du lobby nucléaire, doit se prononcer sur une prolongation ou non de la durée d’exploitation de certains réacteurs, malgré les risques posés par leur vieillissement et les incidents déjà constatés (fissures, mises à l’arrêt forcées pour leur réparation, …). 

Selon les acteurs de la transition énergétique, trois scénarios sont possibles. 

Premier scénario : Le politique prolonge toute la capacité nucléaire au-delà de 2025. Cela maintiendrait la situation actuelle, avec des épisodes de surabondance d’électricité – et donc des phénomènes de prix négatifs défavorables aux producteurs d’énergies– de plus en plus fréquents, ce qui exacerbera les tensions sur le marché de l’énergie.  

Ceci ne nous offre pas de garanties, non plus, de gestion des épisodes de pénurie (phénomène inverse à la surabondance). 

La sortie du nucléaire a été si longtemps débattue et postposée que le secteur de l’énergie n’a pas pu investir dans les infrastructures alternatives telles que les capacités de stockage – pour stocker les productions renouvelables lorsqu’elles sont abondantes – et les outils de flexibilité – pour réduire la demande d’électricité lorsque les productions renouvelables sont plus faibles. Et ce scénario ne permet pas d’envisager un investissement clair et massif dans ces alternatives. 

Ce scénario constitue un n-ième status-co dans la transition énergétique belge. 

Deuxième scénario : Le politique compense l’arrêt programmé des réacteurs nucléaires par la construction de 4 nouvelles centrales au gaz fossile, subsidiées par l’Etat. C’est l’option actuellement défendue par le Gouvernement fédéral. Un projet coûteux pour les citoyens et nocif pour le climat (lire notre article Une facture d’électricité plus chère et plus polluante ? Réduisons plutôt la puissance ! ).

Ce scénario constituerait un véritable coup de frein à la transition énergétique car, non seulement ces 4 nouvelles centrales au gaz monopoliseront de l’argent à fond perdu etaugmenteraient les émissions de CO2 de la Belgique, mais elles seraient plus longtemps en compétition avec les productions renouvelables. En effet, contrairement au nucléaire, les productions au gaz sont facilement modulables et flexibles et peuvent donc facilement compenser les variations des productions renouvelables. Mais ces productions au gaz seraient tellement modulées, quitte à fonctionner seulement quelques heures de temps en temps, qu’elles ne seraient pas rentables. Le politique risque donc de maintenir à tout prix cette production au gaz car elle devra être subsidiée – et donc être payée par les citoyens -, quitte à limiter les investissements dans les énergies renouvelables. 

Troisième scénario, préférable pour la transition énergétique : Le politique prolonge, au besoin en fin d’analyse, l’exploitation de certains réacteurs nucléaires pour une durée de 5 à 10 ans, mais en réduisant fortement les capacités opérationnelles – par exemple 2 GW au lieu des 6 GW actuels. 

Cette nouvelle sortie progressive du nucléaire créerait un appel d’air pour investir dans les infrastructures alternatives : nouvelles productions renouvelables, développement massif des capacités de stockage et des outils de flexibilité, réserve citoyenne, … 

Ce scénario permettrait de synchroniser la diminution de la production d’électricité nucléaire au même rythme qu’une croissance des productions renouvelables.  

Plusieurs conditions doivent cependant être réunies, notamment : 

  • La création structurelle d’excédents renouvelables à l’horizon 2040, via un plan massif d’équipement dont le solaire est la plus grande source, l’éolien la seconde.
     
  • La création de nouveaux marchés ouvrant la flexibilité aux consommateurs basse tension, supportés par un déploiement organisé et massif de compteurs communicants. En matière de flexibilité, ces compteurs permettraient de déclencher automatiquement des milliers de boilers électriques pour faire de l’eau chaude lors des pics de production photovoltaïque, à un prix intéressant pour les ménages. Ces compteurs sont également nécessaires pour développer les communautés d’énergie et rendre possible la vente d’électricité solaire et éolienne à ses voisins (via les principes de l’autoconsommation collective), à un prix intéressant.
     
  • La création de marché offrant une rentabilité pour le stockage, afin de stocker et garder nos excédents renouvelables  pour les moments de pénurie (nuit, hiver). Nous passons d’une logique de « fourniture à tout prix » à une logique d’adaptation de l’offre et de la demande en profitant des moments d’abondance des énergies renouvelables (prix faibles) pour minimiser les moments de pénurie (prix élevés). 

 

Il revient donc aux Gouvernement fédéral et régionaux de choisir une voie d’avenir dans ces scénarios et de se parler pour construire conjointement les solutions permettant sa mise en œuvre. Cette dernière sera progressive, il est plus qu’urgent de ne plus attendre. 

Les compteurs intelligents permettent de mieux intégrer les productions d’énergie renouvelable et rend possible la vente d’électricité solaire et éolienne à ses voisins (via les principes de l’autoconsommation collective), à un prix intéressant. Lire notre article Et si les compteurs intelligents offraient un bénéfice aux ménages ?.